Les mineurs bientôt bloqués des sites de pornographie ?

Un projet de loi déposé au Sénat vise à forcer les sites de pornographie à vérifier l’âge des utilisateurs.
Getty Images iStockphoto Un projet de loi déposé au Sénat vise à forcer les sites de pornographie à vérifier l’âge des utilisateurs.

La pornographie en ligne sera-t-elle bientôt hors de portée des moins de 18 ans au Canada ? La sénatrice Julie Miville-Dechêne a repris les rênes de ce cheval de bataille avec une version modifiée de son projet de loi qui vise à forcer ces sites Internet à vérifier l’âge de leurs utilisateurs.

Pour la sénatrice québécoise, anciennement présidente du Conseil du statut de la femme, il est grand temps d’agir et de mettre fin à cette incohérence. « Loin du Web, un enfant ne peut pas louer de film pornographique : pourquoi cela serait-il possible en ligne ? » a-t-elle demandé lors d’une conférence organisée cette semaine par le Laboratoire de recherche interdisciplinaire sur les droits de l’enfant et la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa.

Elle juge que la façon de faire de ces sites, qui est de demander aux clients de cocher une case pour certifier qu’ils ont plus de 18 ans, ne sert absolument à rien.

L’écosystème a changé il y a une dizaine d’années, quand les plateformes ont choisi un modèle de contenus téléversés par les citoyens et opté pour la gratuité. Puisque les utilisateurs n’ont plus besoin d’une carte de crédit, l’accès est devenu beaucoup plus simple pour les jeunes.

Criminaliser l’accessibilité pour les mineurs

C’est la sénatrice elle-même qui a déposé un projet de loi privé au Sénat, dont le titre abrégé est :Loi sur la protection des jeunes contre l’exposition à la pornographie.

Une version précédente avait été adoptée l’été dernier à la Chambre haute, mais était morte au feuilleton avec le déclenchement des élections. La sénatrice est revenue à la charge avec une nouvelle mouture « améliorée » du projet de loi, désormais nommé S-210, dont la portée est un peu plus restreinte.

L’essence de son projet est la suivante : que les plateformes permettant l’écoute de pornographie en ligne soient obligées de vérifier l’âge de leurs clients et de bloquer l’accès aux mineurs. Pour ce faire, il propose de criminaliser le fait de rendre accessible à un jeune de moins de 18 ans du matériel sexuellement explicite à des fins commerciales. L’amende maximale pour une première infraction est de 250 000 $, et de 500 000 $ en cas de récidive.

Dans le cas où les plateformes ne se conformeraient pas, la loi permettrait aussi à l’autorité responsable de demander à un tribunal de bloquer l’accès au site. Concrètement, le tribunal demanderait aux fournisseurs de services Internet, comme Bell et Vidéotron, d’empêcher, par différents moyens technologiques à leur disposition, les clients d’accéder au site contrevenant.

C’est le moyen le plus efficace pour agir contre les sites étrangers, soutient Mme Miville-Dechêne.

Car l’autoréglementation a été un échec, a-t-elle dit lors de la conférence. Les plateformes ne veulent pas empêcher les moins de 18 ans d’aller sur leurs sites : « Les clics d’enfants, c’est payant », puisqu’ils leur permettent d’avoir plus d’argent de la publicité.

La technologie permet de vérifier l’âge en ligne. « C’est plus sécuritaire qu’avant », souligne la sénatrice. Elle suggère que cette étape soit faite par une entreprise tierce, pour que le site pornographique n’ait pas accès aux données personnelles des clients.

Lors de la conférence, Mme Miville-Dechêne a répondu à certaines critiques.

À ceux qui soutiennent qu’il revient aux parents de surveiller leurs enfants, elle répond : Pourquoi ? On ne le fait pas pour l’alcool et les cigarettes. Et puis, les parents ne peuvent pas surveiller à temps plein ce que leurs enfants consomment sur Internet.

D’autres disent que les jeunes, habiles avec la technologie, réussiront à contourner les barrières installées. Mais la sénatrice se défend d’être naïve : si la loi ne peut pas tout empêcher, elle peut au moins diminuer le nombre d’enfants qui iront visionner du contenu sur ces sites.

Pourquoi faut-il agir ?

Parce que la pornographie en ligne est de plus en plus violente et dégradante pour les femmes, a notamment fait valoir la sénatrice.

 

Et elle cite ces chiffres, tirés d’une étude canadienne réalisée en 2014 : 40 % des garçons du secondaire ont rapporté avoir vu de la pornographie en ligne, 28 % la recherchent au moins une fois par jour ou par semaine, et 7 % des filles déclarent en avoir regardé.

D’autres études révèlent que la consommation de matériel sexuellement explicite par les jeunes est associée notamment au renforcement de stéréotypes sexuels et au développement d’attitudes menant au harcèlement et à la violence — en particulier à l’égard des femmes.

Mme Miville-Dechêne se dit consciente que ces études ont des limites, mais estime qu’elles commandent néanmoins l’application du « principe de la précaution ».

La France et l’Allemagne ont déjà adopté des lois similaires et même entamé les procédures nécessaires pour bloquer l’accès à des sites qui ont refusé de s’assurer que leurs clients étaient adultes.

Le projet de loi doit être étudié en comité sénatorial au début du mois de février. Il pourrait alors franchir une autre étape qui le rapprocherait de son éventuel statut de loi.

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