Les milieux de travail, des alliés pour lutter contre la violence conjugale

« Dernier bastion de liberté » et « unique fenêtre sur l’extérieur » pour certaines femmes victimes de violence conjugale, les milieux de travail sont un « endroit idéal » pour leur tendre la main. Pour outiller employeurs et collègues, le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale a lancé mardi un nouveau programme de sensibilisation — accompagné d’une certification « Milieux de travail alliés contre la violence conjugale » — qui est offert gratuitement à toutes les entreprises du Québec.
Selon Chantal Arseneault, présidente du Regroupement, les milieux de travail doivent faire partie de la solution pour contrer la violence conjugale. « Comme le conjoint n’est pas tout le temps à côté de la victime [lorsqu’elle travaille], c’est une fenêtre d’opportunité pour se dévoiler et se faire offrir de l’aide », explique-t-elle.
Une femme osera davantage s’ouvrir par une parole ou un geste qui pourraient changer sa vie si son employeur a mis en place un « environnement sécuritaire et soutenant pour les victimes », ajoute-t-elle. Le nouveau programme — dont la mise en place constitue une « très bonne nouvelle » pour les victimes, selon la ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest — bénéficiera d’un financement gouvernemental de 150 000 $ sur trois ans.
« Nous pouvons tous et toutes faire une différence, a déclaré la ministre en point de presse mardi. La meilleure manière d’aider c’est d’être bien renseigné sur le phénomène [de violence conjugale] et d’être à l’affût de ses manifestations, qui ne sont pas toujours évidentes. »
Des effets tangibles
Déjà, de grandes entreprises comme Desjardins et la Ville de Laval participent au programme du Regroupement. Chez Desjardins, des professionnels en ressources humaines ont été formés sur les enjeux de violence conjugale. Une page intranet répertoriant des ressources spécialisées en la matière a été créée. Et une conférence avec Ingrid Falaise, auteure du livre Le monstre, qui raconte son parcours de victime de violence conjugale, a été organisée.
Un effet salutaire a été noté en quelques mois, a souligné Geneviève Mérette, responsable du Bureau du respect de la personne de Desjardins. « À la suite de la conférence de Mme Falaise, on a eu des échos qu’une femme a quitté son conjoint violent. Ça l’a motivée et lui a donné l’énergie pour le faire. »
Durant le temps des Fêtes, une autre employée victime a contacté le Bureau du respect de la personne. Un accompagnement lui a été offert, a rapporté Mme Mérette, et celle-ci a décidé de quitter son conjoint violent. « Ça prouve que lorsque les gens sont bien accompagnés, ça leur donne du courage pour aller plus loin. »
Sandra El-Helou, membre du comité exécutif responsable du dossier de la condition féminine à la Ville de Laval, s’est dite « très fière » de ce nouveau pas franchi pour contrer la violence conjugale auquel participe sa municipalité. Elle a lancé une invitation à tous les employeurs et syndicats pour qu’ils se joignent « à cet important mouvement pour contribuer à créer une société bienveillante et aidante ».
« La violence conjugale, c’est l’affaire de toutes et de tous, a ajouté la conseillère municipale de Souvenir-Labelle. Et c’est seulement en unissant nos forces et en travaillant de concert que nous pourrons l’enrayer. »
Lever le tabou
D’autres organisations, comme l’Association québécoise des centres de la petite enfance (AQCPE) et le Syndicat des Métallos, ont déjà répondu présents à l’initiative lancée par le Regroupement.
Geneviève Bélisle, directrice générale de l’AQCPE, a dit souhaiter qu’une personne-ressource soit formée dans chaque CPE pour accompagner les employées qui seraient victimes de violence conjugale. Dans les CPE, 95 % des employées sont des femmes, a-t-elle rappelé.
Quant au Syndicat des Métallos, il a été secoué de plein fouet par un féminicide survenu l’hiver dernier, a rapporté Clairandrée Cauchy, responsable des communications pour le syndicat. Nadège Jolicoeur, mère de cinq enfants assassinée en mars 2021 par son conjoint qui s’est ensuite enlevé la vie, était une militante syndicale qui avait participé aux négociations en vue de la signature de la dernière convention collective des Métallos.
« Ça a été un électrochoc. On sait que ça existe, on en parle. Mais il y avait [désormais] un nom, un visage sur cette réalité », a mentionné avec émotion Mme Cauchy.
En plus de soutenir les victimes, un travail doit être fait auprès des agresseurs, a-t-elle ajouté, en spécifiant que le Syndicat des Métallos est composé à 80 % d’hommes. « Dans un syndicat de gars, l’apport qu’on peut avoir, c’est de lever le tabou, que ces choses-là se parlent. […] Il n’y a personne de mieux placé qu’un gars pour dire à un autre gars qu’il va trop loin ou qu’il a besoin d’aide », a-t-elle fait valoir.
Repérer les signes
Plusieurs signes pouvant laisser croire qu’une employée ou une collègue est victime de violence conjugale peuvent être décelés. Selon Chantal Arseneault, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale et coordinatrice générale de la maison d’hébergement L’Esther à Laval, des retards au travail peuvent être remarqués, tout comme un niveau d’absentéisme qui va en augmentant ou encore de la fatigue (« la violence conjugale, c’est épuisant »). Une personne victime pourrait aussi s’isoler de ses collègues, rester accrochée à son cellulaire pour répondre rapidement aux textos de son conjoint ou encore devenir moins productive en raison de son stress, ajoute-t-elle. Sans pour autant débarquer avec de gros sabots, on peut simplement tendre la main à une telle personne en lui demandant comment elle va ou ce qu’on pourrait faire pour l’aider, mentionne Mme Arseneault. « C’est ouvrir des portes comme ça pour leur montrer [aux victimes] qu’on est là et qu’elles peuvent nous faire confiance. Ça peut faire toute la différence. »
Si vous êtes victime de violence conjugale, vous pouvez appeler la ligne d’urgence de SOS violence conjugale au 1 800 363-9010.