L’étalement urbain, à quel prix?

À Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, l’intersection de la route de Fossambault et de la route 369 subit fréquemment de la congestion automobile en raison de l’étalement urbain dans la région.
Francis Vachon Le Devoir À Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, l’intersection de la route de Fossambault et de la route 369 subit fréquemment de la congestion automobile en raison de l’étalement urbain dans la région.

À neuf mois des élections, une coalition d’organismes tiendra un Sommet pour enjoindre au gouvernement de muscler sa future politique sur l’aménagement du territoire et de lutter contre l’étalement urbain. On connaît la chanson, mais, cette fois, sera-t-elle la bonne ?

À Québec matin, les chroniqueurs qui suivent la congestion automobile mentionnent de plus en plus l’intersection de la route de Fossambault et de la route 369 à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier.

Il y a à peine quelques années, c’était encore un milieu semi-rural, que les gens de Québec visitaient les fins de semaine pour les attraits de la station touristique Duchesnay ou du lac Saint-Joseph. Or, poussée par un développement immobilier fulgurant, la municipalité est devenue une banlieue prospère.

À un de ses résidents qui s’enquerrait, l’an dernier, des problèmes de congestion automobile, la municipalité a rétorqué par écrit que cela découlait des municipalités encore plus en périphérie, comme Saint-Raymond, à 60 kilomètres de Québec. « Si un citoyen ne peut s’établir à Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier, il va s’établir à Saint-Raymond ou à Pont-Rouge, et il y a de fortes chances qu’il emprunte la route de Fossambault quand même. »

Pour le député caquiste de Portneuf, Vincent Caron, l’étalement urbain vers cette région ne pose pas nécessairement problème. « Je suis content que ça se développe parce qu’il y avait quand même beaucoup de résidences qui étaient à vendre depuis longtemps. » D’ailleurs, mentionne-t-il, le milieu a désormais beaucoup plus de facilité à attirer des médecins de famille.

Le territoire agricole continue d’être protégé, en dépit des nouvelles constructions, mentionne-t-il également. « Mais c’est sûr qu’il faut réfléchir à tout ça et ne pas prôner le développement à tout prix. »

Pour ce qui est de la congestion routière, la réponse est claire : il va falloir créer un nouveau lien routier vers l’autoroute. « On n’aura pas le choix », dit-il. « Les municipalités grossissent, et il va falloir répondre aux besoins de nos concitoyens. »

Un étalement urbain coûteux

 

Or, ce modèle est sérieusement remis en question dans un projet de politique lancé par le gouvernement de M. Caron : la Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire.

« En tant que mode de développement, l’étalement urbain est coûteux pour l’ensemble de la société, peut-on lire dans le document qui a fait l’objet d’une consultation cet été. En effet, le caractère éparpillé de l’urbanisation augmente le coût des réseaux linéaires (ex. : aqueduc et égout) et exige davantage d’investissements publics pour les services à la personne. L’étalement urbain coûte évidemment cher aux municipalités. »

La CAQ n’est pas la première à faire un tel diagnostic. L’ancienne ministre des Affaires municipales Nathalie Normandeau tenait le même discours… en 2009.

A-t-on affaire à une autre politique destinée aux tablettes du ministère ? À des vœux pieux ou à un exercice de communication ? Un groupe d’organisations de la société civile veut s’assurer que ce n’est pas le cas.

Le 27 janvier prochain, ils organiseront à Laval un grand Sommet québécois sur l’aménagement du territoire intitulé « Le courage d’agir ».

« Cet événement-là est l’occasion, pour tous les acteurs qui attendent quelque chose de la Politique, de mettre en avant les enjeux importants, de préciser les attentes et de rappeler que ces attentes sont élevées », explique Jeanne Robin, coprésidente de l’événement et porte-parole de l’Alliance Ariane, qui regroupe des organismes environnementaux, comme la Fondation David Suzuki, mais aussi des défenseurs du patrimoine bâti et agricole, comme l’Union des producteurs agricoles et Héritage Montréal, notamment.

Pour cet événement, l’Alliance Ariane s’est associée aussi à la Fédération des Chambres de commerce du Québec (FCCQ) qui s’est jointe au groupe G15+, qui milite pour une relance verte de l’économie post-pandémie.

Malgré le troisième lien ?

« On rassemble toutes les forces vives qui s’intéressent, au Québec, à l’aménagement du territoire. Je ne vois pas qui il manque », explique le p.-d. g. de la FCCQ, Charles Milliard. « C’est une politique qui va être extrêmement structurante pour les prochaines années. Et les gens auraient tort de ne pas s’intéresser à ça. »

Trois ministres du gouvernement ont confirmé leur présence. En plus de la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, les ministres Lucie Lecours (déléguée à l’Économie) et Nathalie Roy (Culture et Communications) sont attendues.

Mais peut-on vraiment croire à la volonté d’agir de la CAQ dans ce dossier quand on connaît son attachement au projet de tunnel Québec-Lévis ?

C’est une politique qui va être extrêmement structurante pour les prochaines années. Et les gens auraient tort de ne pas s’intéresser à ça. 


Jeanne Robin rétorque que les consultations sur la Politique cet été ont donné lieu à « une forte mobilisation » de citoyens et d’élus municipaux, que le gouvernement ne devrait pas ignorer. L’exercice a forcé les différents ministères concernés à réfléchir ensemble, dit-elle. « Et c’est une promesse électorale de la CAQ d’adopter une politique nationale. Les ingrédients sont donc réunis. »

Charles Milliard ajoute que la Politique n’est pas « une potion magique qui va régler tous les problèmes qu’on a en ce moment au Québec ». Bien sûr que le dossier du troisième lien « sera discuté », dit-il.

Chose certaine, il ne figure pas au programme de l’événement qui vise plutôt à tabler sur des thèmes qui font consensus.

« Les Québécois sont intéressés par la valorisation de l’achat local, la protection du patrimoine agricole, désireux qu’il y ait une meilleure mobilité durable dans les villes, mais aussi entre les villes. […] Je pense que l’aiguille d’intérêt des Québécois a bougé. Ils ne le nomment pas avec les mêmes mots que nous, mais le train a quitté la gare, et la CAQ n’a pas le choix de répondre à ces interrogations-là », estime le président de la FCCQ.

Reste à voir comment. « Le problème avec l’étalement urbain, c’est que ce n’est pas une orientation, une décision », fait valoir Mme Robin. « C’est la conséquence de petits choix faits par différents acteurs. […] Ce sont des décisions cumulées sans vision ou cohérence d’ensemble. »

Dans ce contexte, le simple fait de mettre tout cela dans une politique nationale à laquelle tous se rallient est « en soi, l’action la plus importante », dit-elle.

Encore faudra-t-il avoir ensuite le « courage d’agir », note M. Milliard. « Les gens ne meurent pas d’une mauvaise politique d’aménagement du territoire comme ils meurent de la COVID-19. On pourrait toujours reporter ça aux calendes grecques, et Dieu sait que ça a été fait. Ça prend du courage pour dire “C’est assez ! On remet le compteur à zéro”. »



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