La COVID-19, une prison dans la prison

Nicolas a fait l’expérience de l’isolement en raison de la COVID-19 dès son entrée à la prison de Bordeaux, il y a un an.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Nicolas a fait l’expérience de l’isolement en raison de la COVID-19 dès son entrée à la prison de Bordeaux, il y a un an.

La COVID-19 resserre, depuis 22 mois, l’étau déjà étroit de l’univers pénitentiaire. Conçus pour empêcher les détenus de sortir, et non pour empêcher une pandémie d’entrer, les établissements carcéraux se protègent comme ils le peuvent de la pandémie — souvent au détriment des prisonniers.

Nicolas en a fait l’expérience dès son entrée à la prison de Bordeaux, à Montréal, il y a un an. Arrivé en pleine éclosion, il a dû s’isoler pendant 14 jours dans sa cellule.

Nicolas passait alors 23 heures sur 24 dans le même local. Il avait droit à une seule heure de sortie quotidienne et à un minimum de deux douches par semaine — des acquis fragiles et parfois impossibles à respecter, en raison du manque de personnel.

« Il n’y a personne qui va dire qu’être enfermé pendant 15 jours, c’est bon pour la santé mentale d’un être humain », raconte Nicolas depuis son appartement à Montréal.

Aujourd’hui en libération conditionnelle, il a l’intention de refaire sa vie. Il a un toit, un emploi, un avenir à bâtir — et des souvenirs amers de son passage en prison.

Pour prévenir la propagation de la COVID-19, presque tout était inaccessible pendant les premiers mois de son incarcération. Sans gym ni école, sans bibliothèque ni lecture pour se nourrir l’esprit, Nicolas n’avait rien à faire, sinon ressasser des idées noires au fond de sa cellule.

« On n’avait rien pour ventiler tout ce qu’on vivait », se rappelle Nicolas. Et personne à qui confier ses états d’âme non plus : depuis le 15 mars 2020, les familles des détenus n’ont plus accès aux prisonniers, sinon par téléphone ou par visioconférence, à raison de 15 minutes une fois par semaine.

En période d’éclosion, ce sont aussi les intervenants sociaux, qui écoutent, accompagnent et encadrent les détenus, qui perdent leur droit de visite à l’intérieur des murs.

Seuls pour préparer l’après

Comme la COVID-19 raffole de la promiscuité, les éclosions sont nombreuses dans les prisons. Sur les 17 prisons provinciales du Québec, seule celle de Baie-Comeau ne rapporte aucun détenu contaminé depuis le début de la pandémie. Toutes ont cependant dû composer avec des employés infectés.

 

« On n’est pas en mesure de fournir, parce qu’on nous demande l’impossible », explique Mathieu Lavoie, président du Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec. « Il y a présentement 400 postes vacants, auxquels s’ajoutent 350 absences à long terme et 176 employés infectés par le coronavirus. Ça, c’est sans compter ceux qui sont en isolement. »

Présentement, le virus circule parmi les détenus de 12 établissements, avec des éclosions notables dans les établissements de détention de Montréal et de Saint-Jérôme, qui comptent respectivement 50 et 126 prisonniers positifs à la COVID-19 en date du 20 janvier. Dans l’établissement des Laurentides, l’éclosion touche 35 % de la population carcérale.

Chaque fois que la COVID-19 s’invite à l’intérieur, les prisons se referment sur elles-mêmes. « Au début, j’avais accès à des rencontres par téléphone », explique l’intervenant Steve Brouillard, qui travaille pour La Boussole, un programme du YMCA qui aide des citoyens judiciarisés dans leur recherche d’emploi ou dans un retour aux études. « Maintenant, personne n’a accès aux détenus. Ils sont en cellule, isolés. Ça tourne beaucoup dans leur tête. »

Depuis le début de la pandémie, ce travailleur social qui œuvre en milieu carcéral depuis 2006 a passé plus de temps à travailler de la maison qu’en prison.

Toutes les communications doivent désormais se faire par speedy notes — des notes qui portent bien mal leur nom, à son avis. « J’ai un participant qui m’a écrit récemment : “Steve, j’ai besoin de ton aide pour réintégrer la société.” Comment je fais ça, moi, par écrit ? Ça va prendre de deux à trois semaines avant qu’il reçoive ma réponse. Ça limite beaucoup ce qu’on peut faire. »

« 70 % de notre travail, c’est d’être là avec eux, renchérit la directrice de La Boussole, Maryse Paré. Les gens sont contents de sortir, mais ça leur impose un énorme stress : nous étions là pour les soutenir et les mettre en lien avec la communauté, avec des banques alimentaires, avec des ressources qui les aident à trouver un logement. C’est tout ça qu’ils ont perdu. »

La Boussole encadrait une centaine de détenus à la prison de Bordeaux avant qu’une éclosion interrompe sa prestation de services en décembre. « Ce sont des gens qui ont amorcé des démarches, mais qui n’ont pas pu les terminer », souligne Sauphie Fineus, une autre intervenante de La Boussole. « C’est nous qui allons recoller les morceaux après, parce qu’on va y retourner et on va devoir recommencer à zéro. »

Mme Fineus cite comme exemple un détenu qui doit fournir d’urgence un renseignement pour s’inscrire à un cours. Sur place, elle aurait pu régler le problème en l’espace de quelques heures. Avec les obstacles actuels, les délais s’allongent et le prisonnier risque de perdre sa place, faute d’avoir respecté l’échéancier.

« Un combat » continu

« Les intervenants qui viennent nous voir, ça fait une différence, assure Nicolas. Quand on est avec eux, on se sent beaucoup plus humains. »

Nicolas a dû vivre une deuxième quarantaine pendant son séjour en prison, après qu’un codétenu eut présenté des symptômes de la COVID-19. Presque 30 jours d’isolement cumulés pèsent lourd sur l’état d’esprit, selon lui.

« Il y a bien du monde qui ont pensé au suicide. Il y a bien du monde qui se sont suicidés, aussi », assure l’ancien détenu. Huit prisonniers se sont enlevé la vie dans les prisons provinciales en 2019-2020. Leur nombre a doublé l’année suivante, selon les chiffres du ministère de la Sécurité publique.

Aujourd’hui en libération conditionnelle, Nicolas constate que la pandémie complique aussi sa réinsertion.

Il avait réussi à trouver un emploi qu’il adorait. Le variant Omicron a frappé : son lieu de travail, considéré comme non essentiel, a dû fermer, et lui a dû trouver un autre boulot malgré un casier judiciaire, ses conditions de libération et les restrictions sanitaires.

« C’était un combat en prison, se souvient-il. En sortant, ça continue encore d’être un combat. »

Besoin d’aide ? N’hésitez pas à appeler la Ligne québécoise de prévention du suicide : 1 866 APPELLE (1 866 277-3553)

C’est nous qui allons recoller les morceaux après, parce qu’on va y retourner et on va devoir recommencer à zéro

 

Sauphie Fineus

 

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