«Ça prend des gens sur le terrain» pour mieux vacciner à LaSalle Heights

Le milieu communautaire de LaSalle se mobilise pour relancer la « Brigade orange », une équipe d’agents de sensibilisation qui a cogné à plus de 20 000 portes cet été pour encourager les gens toujours hésitants à se rendre aux sites de vaccination. L’arrondissement comprend le dernier de classe de toute l’île de Montréal, le complexe résidentiel LaSalle Heights, où seulement 61 % des quelque 1500 habitants sont adéquatement vaccinés, un écart de plus de 20 % avec la moyenne de la métropole.
« On sent l’urgence », affirme d’emblée le directeur de Loisirs Laurendeau-Dunton, Sylvain Pilote. Son organisme a piloté la Brigade orange, dont la vingtaine de volontaires sillonnaient les rues du sud-ouest de la ville l’été dernier.
Mais le gilet fluo est rangé depuis octobre. Avec la fermeture du Consortium COVID Québec, une initiative qui a financé 26 plans d’action soutenus par la Croix-Rouge aux quatre coins de Montréal, les coffres sont à sec.
Malgré tout, le besoin est trop pressant pour attendre que des revenus tombent du ciel. Des habitants du quartier écrivent à Sylvain Pilote, inquiets de la vague Omicron et du retour en classe. « On a lancé l’invitation aux organisateurs communautaires qui se sont impliqués directement ou indirectement avec nous cet été pour remobiliser des bénévoles », explique-t-il.
Mardi, des enseignants de l’école secondaire Cavelier-De LaSalle ont manifesté « pour dénoncer les conditions de cette rentrée scolaire », notamment le fait que les mesures sanitaires « ont été considérablement diminuées » et que « rien n’est réglé pour la ventilation », écrit le Syndicat de l’enseignement de l’ouest de Montréal sur Facebook.
Les données ont de quoi confirmer les craintes : en date du 16 janvier, seulement 20,9 % des enfants de 5 à 11 ans avaient reçu une première dose de vaccin contre la COVID-19 à LaSalle Heights, un taux qui fait pâle figure aux côtés de ceux de 40 à 60 % des quartiers avoisinants.
Ce n’est pourtant pas faute d’efforts ; la Brigade orange a visité le secteur à sept reprises. « On avait un camion crieur qui circulait dans les rues pour diffuser l’information dans huit langues. On a aussi placardé le quartier avec des affiches en français et en anglais. On faisait aussi du porte-à-porte et on avait dans nos poches, comme un inspecteur Gadget, des affiches dans toutes les langues pour leur dire où et quand ils pouvaient se faire vacciner », se remémore Sylvain Pilote.
« C’est sûr que LaSalle Heights fait partie des secteurs où ça a été le plus difficile, admet Marie-Florente Démosthène, coordonnatrice des activités de santé publique au CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal. Mais la couverture qu’on voit actuellement, c’est le résultat des efforts qu’on a déployés pour aller chercher presque un à un chacun des citoyens. »
« Un microcosme de plusieurs réalités montréalaises »
Le quartier voit chaque année un nouvel afflux d’arrivants très diversifié, selon Hélène David, députée provinciale de la circonscription de Marguerite-Bourgeoys. « Dans les années 1950, l’immigration était typiquement italienne et c’était assez favorisé. Mais à Lasalle Heights, depuis quelque temps, j’ai aidé des familles qui arrivaient à Montréal qui n’avaient pas de vêtements d’hiver, qui ne savaient pas à quoi s’attendre, qui habitaient dans des sous-sols en attendant de trouver leur appartement », raconte l’élue libérale.
C’est aussi le constat auquel est parvenu Sylvain Pilote en se familiarisant avec les habitants du quartier. « Ils viennent de partout. Ce sont des réfugiés, de nouveaux arrivants qui cherchent un endroit où habiter, et souvent ils vont rejoindre leur communauté qui se trouve là. C’est pour ça que le secteur Heights est très distinct du reste de LaSalle », explique-t-il.
C’est aussi la raison pour laquelle les résidents de ce quartier sont plus difficiles à convaincre. Il y a bien sûr la barrière de la langue, mais aussi la méfiance envers les directives gouvernementales. « Certains n’étaient pas vraiment enclins à ouvrir leur porte, note celui qui menait l’équipe de la Brigade orange. Tout d’un coup, la télévision se ferme, personne ne bouge dans l’appartement parce qu’ils pensent qu’on est là pour les renvoyer dans leur pays. »
Leurs sources d’information peuvent aussi diverger des médias traditionnels, comme Radio-Canada ou TVA, ajoute Hélène David. Puisqu’ils s’informent souvent dans leur langue, par Internet ou sur les réseaux sociaux, ils sont plus à risque de faire face à de fausses nouvelles.
Par exemple, après avoir entendu plusieurs personnes mentionner le mythe selon lequel le vaccin peut rendre les femmes stériles, le CIUSSS a mis en place des rencontres virtuelles avec une femme médecin qui était en mesure de répondre à leurs questions à l’aide d’un interprète.
À ceux qui penseraient que ce « village d’irréductibles Gaulois » est peuplé d’antivaccins, Marie-Florente Démosthène rétorque que les non-vaccinés qu’elle a rencontrés vivent énormément d’anxiété face aux injections. « Juste le fait de se rendre sur les sites de vaccination, ça leur demande tout leur petit change », illustre-t-elle.
La clé pour rattraper le retard, selon la responsable du CIUSSS, c’est d’écouter les préoccupations de la population, de la prendre au sérieux, de lui faire sentir qu’on cherche à offrir des réponses, et non à la convaincre. Mais sans la Brigade orange, la tâche s’annonce ardue. Comment échanger sans face-à-face ?
« Si on n’avait pas été là, il y a plein de monde qui ne serait pas allé se faire vacciner, déplore Sylvain Pilote. C’est bien beau, d’investir des millions de dollars en publicités qui passent à la télévision et à la radio, mais ce que ça prend, ce sont des gens sur le terrain. »
LaSalle Heights est un microcosme de plusieurs réalités montréalaises. La différence par rapport au reste de ma circonscription est d’ordre linguistique évidemment, mais il y a aussi plus d’immigration et plus de défavorisation, plus de vulnérabilité