De l’air du temps pandémique, entre technophobie et technophilie

Au Japon, les taux de CO2 sont mesurés et affichés dans les lieux intérieurs pour réduire la transmission de la COVID-19. Une technologie pourtant à la portée de tous les pays, mais peu déployée ailleurs.
Photo: Yasuyoshi Chiba Agence France-Presse Au Japon, les taux de CO2 sont mesurés et affichés dans les lieux intérieurs pour réduire la transmission de la COVID-19. Une technologie pourtant à la portée de tous les pays, mais peu déployée ailleurs.

On ne badine pas avec la qualité de l’air au Japon. Les relevés de concentration de CO2 y sont affichés en direct dans les salles de réunion des entreprises, dans les magasins et même dans les lieux de divertissement. Le principe justificateur tout simple et d’une stricte objectivité établit qu’une concentration trop élevée de CO2 dans un espace clos indique une mauvaise circulation de l’air et donc un risque accru de propagation de la COVID-19.

Les salles de cinéma et les salles de spectacle, comme leurs sites Web, sont équipées depuis 2020 de moyens de diffusion des relevés en temps réel. Le seuil acceptable se trouve en dessous de 1000 parties par million (ppm). En extérieur, la moyenne tourne autour de 400 ppm. Un concert expérimental mené en septembre 2020 à Tokyo a fait s’affoler les données, qui ont atteint des sommets de 10 000 ppm.

Voilà donc de bons exemples de l’utilisation des nouvelles technologies dans l’intervention contre la crise pandémique. En comparaison, au Québec, il a fallu des mois et des mois de critiques, de controverses et de négociations pour que des mesures de test et d’amélioration de la qualité de l’air dans les écoles soient mises en branle. L’Ontario, de son côté, a acheté l’an dernier plus de 50 000 appareils de filtration à haute efficacité pour les particules de l’air.

« On continue d’imposer aux non-vaccinés des mesures radicales, alors que la pandémie n’est pas de leur faute et que par ailleurs, on ne fait pas grand-chose de super intelligent pour endiguer la pandémie en général », affirme le professeur Damien Contandriopoulos, spécialiste des systèmes de santé à l’Université Victoria, qui cite lui-même le cas des contrôles de CO2 au Japon.

« Des mesures qui bénéficieraient à toute la population, comme l’adoption de normes beaucoup plus strictes sur la ventilation des lieux publics, des hôpitaux, des écoles, des centres commerciaux, seraient plus utiles. Sur les dix prochaines années, c’est probablement vers ça qu’on s’en va, sur des règlements obligeant par exemple la surveillance du taux de dioxyde de carbone lors de rassemblements à l’intérieur. »

La nouvelle normalité imposera donc des réformes des « structures de vie », comme le dit encore le professeur de la Colombie-Britannique, de nouvelles normes pour les bureaux, les écoles et les hôpitaux (pour la plupart encore très vétustes au Québec), mais aussi les résidences, les installations sportives et les transports en commun. Il existe d’ailleurs des détecteurs de CO2 portables vendus environ 400 $ qui peuvent être utilisés par n’importe qui, n’importe où, au Japon, ici, en Australie.

« Avec le nouveau variant, la centralité de l’intervention vaccinale contre la pandémie vient de prendre une méchante claque, ajoute M. Contandriopoulos. Cette situation laisse croire que l’approche vaccinale n’est pas la porte de sortie de la pandémie pour le futur, à moins d’un progrès exceptionnel de cette technologie. D’ailleurs, quand le coronavirus a été identifié, des vétérinaires ont averti qu’eux-mêmes cherchaient depuis des décennies des vaccins pour protéger les porcs, mais sans succès. »

Science et déficiences

 

La réaction sanitaire est passée par une panoplie de moyens techniques. Les tests rapides de détection des infections et les applications indiquant les contacts paraissent mal utilisés ou sous-utilisés. D’autres technologies ont par contre porté leurs fruits, comme le passeport vaccinal, maintenant exigé comme sésame universel.

Peut-on alors parler d’une sorte de technophobie limitée ? Notre société hypermoderne emploie-t-elle certains outils de l’âge numérique tout en continuant de se soumettre à de très vieux moyens prophylactiques comme le couvre-feu ?

Le professeur de physique à l’Université de Montréal Normand Mousseau répond qu’au contraire, notre société a péché par technophilie monomaniaque en misant tout sur la mise au point rapide et l’utilisation massive du vaccin, percée technoscientifique indéniablement formidable.

« Pour moi, la leçon, c’est qu’une crise comme celle-là ne se résout pas par des solutions miracles, dit Normand Mousseau. On pensait que les problèmes s’arrêteraient magiquement le jour où on aurait le vaccin. Beaucoup de pays jouent le même jeu. On s’est appuyé sur cette seule technologie pour éviter de faire une vraie stratégie. »

Normand Mousseau a signé l’essai Pandémie, quand la raison tombe malade (Boréal), qui porte sur les ratés de la gestion dans la première année de crise. « L’essentiel de mon message, dans mon livre, c’est qu’on gère la pandémie à la petite semaine depuis le début et, malheureusement, c’est ce qu’on continue de faire maintenant. Pas partout, mais au Québec, entre autres. On s’est d’ailleurs très peu inspiré des endroits qui faisaient ça comme il faut, comme la Suède, par exemple, qui a un taux de surmorbidité semblable au nôtre, mais qui a laissé les gens vivre normalement bien davantage. On s’est surtout inspiré de ceux qui faisaient ça tout croche. On le voit encore avec le confinement. »

Tactique et stratégie

 

Le professeur de communications Stéphane Couture, également de l’Université de Montréal, distingue la tactique et la stratégie dans l’action gouvernementale. « Même les médias tombent dans le panneau en demandant sans cesse ce qu’on fait là, là, là, immédiatement plutôt que de demander comment on se prépare pour dans six mois ou un an, dit le spécialiste des technologies numériques. En fait, le gouvernement prend des positions tactiques qui se défendent. C’est la vision à plus long terme qui est inadéquate. On va faire quoi maintenant pour se préparer pour le variant suivant ? »

Il donne l’exemple d’un masque dit intelligent, efficace comme le N95 et réutilisable, aperçu dans une grande surface de Montréal. « Est-ce qu’on va avoir des masques jetables pendant une décennie encore ? Le problème environnemental est le même avec les tests rapides en plastique : il faut penser à d’autres solutions. »

Cela dit, il ne veut pas non plus tomber dans le « solutionnisme », cette croyance en la toute-puissance de la technologie pour régler tous les problèmes médicaux ou environnementaux. L’intelligence artificielle a certes aidé dans la lutte sanitaire, sans toutefois devenir l’outil miracle espéré. De plus, certaines technologies posent des problèmes éthiques en rapport avec la surveillance des populations et l’usage des données.

« Il y aurait quand même moyen de faire plus et mieux », dit M. Couture. Il cite l’informaticien Paul Dourish, spécialiste de l’interaction société-machine, pour qui la pandémie a surtout prouvé la fabuleuse capacité d’adaptation technologique de nos sociétés, qui sont passées au télétravail et au téléenseignement de manière quasi instantanée.

« En une semaine, à l’Université de Montréal, on a viré en ligne 1800 cours. Ça montre à quel point on était prêts. Il y a dix ans à peine, on n’y serait jamais arrivés. Par contre, au début de la pandémie, les données de recherche de contacts étaient envoyées par télécopieur. Ça n’a pas de sens. Au moment des bilans, il faudra bien se demander, en concertation interdisciplinaire, comment le numérique pourrait mieux être utilisé. »

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