La hernie inconfortable de Michel

On entend souvent parler du délestage depuis le début de la pandémie, mais ses effets demeurent abstraits. Alors que les hôpitaux font face à un manque de ressources critique, Le Devoir a décidé de mettre des mots et des visages sur les statistiques. Aujourd’hui, l’histoire de Michel.
En novembre 2019, Michel Létourneau a été opéré pour un cancer du pancréas. « C’est une opération assez majeure, on t’ouvre le ventre de haut en bas », explique l’homme de 70 ans en entrevue au Devoir. Dans les mois qui ont suivi, une hernie ombilicale a commencé à se développer. « On m’a dit que c’est assez commun après l’opération que j’avais subie, notamment parce que le processus de cicatrisation est compromis par la chimiothérapie. C’est comme si les points de suture internes avaient lâché. »
À l’automne 2020, après plusieurs démarches, il s’est retrouvé sur une liste d’attente pour opérer cette hernie. Il a attendu, et attendu encore. « Le temps passait et mon hernie continuait de grossir pendant tout ce temps, à un point tel ou c’est devenu non seulement esthétiquement pas très agréable à regarder, mais je ne pouvais plus mettre de chemises. Ce n’était pas très agréable, mais a priori, ce n’était pas dangereux. »
De guerre lasse, un an plus tard, l’homme s’est tourné vers une clinique privée. Contre toute attente, celle-ci a refusé de le prendre en charge parce que l’opération était complexe et nécessitait une hospitalisation. Le privé l’a donc référé… au public.
Vivre avec un « deuxième bedon »
Aujourd’hui, la hernie de Michel Létourneau a la grosseur d’une balle de tennis. Il est à nouveau sur une liste d’attente au public, mais il ne se fait pas d’illusions : il se doute bien qu’il ne sera pas opéré de sitôt. Du bout des lèvres, il avoue qu’il commence à s’inquiéter parce qu’on l’a avisé que passé un certain point, sa hernie ne serait plus opérable. Et il craint de devoir vivre pour le restant de ses jours avec ce qu’il appelle son « deuxième bedon ».
Les visages du délestages
« À la grosseur que c’est rendu, c’est un peu préoccupant, avoue-t-il. Mais je ne veux pas trop m’en faire, j’ai tellement vécu pire ! Je suis chanceux d’être encore là et de pouvoir vous parler aujourd’hui. »
Heureusement, il ne souffre pas et n’est pas dysfonctionnel. Il continue de travailler et peut mener une vie à peu près normale. « C’est plus un inconfort qu’une douleur », précise-t-il.
Il doit également faire attention à ne pas forcer — particulièrement lorsqu’il s’entraîne — et a consulté en physiothérapie pour apprendre à se servir de ses muscles ventraux d’une autre façon afin d’éviter que le problème ne s’aggrave.
« Dans l’ensemble des horreurs du délestage, mon histoire est plus anecdotique, répète-t-il. Mais la perspective de traîner ça encore pendant des années et de ne plus être opérable, c’est quand même plate. »