Des tribunaux sous influence du non-verbal

Comment déterminer qui dit vrai lors d’un procès ? La question est importante, car celui qui sera jugé « crédible » pourrait faire pencher la balance de la justice en sa faveur.
« La crédibilité est une question omniprésente dans la plupart des procès, qui, dans sa portée la plus étendue, peut équivaloir à une décision sur la culpabilité ou l’innocence », peut-on d’ailleurs lire dans une décision de la Cour suprême du Canada, datée de 2002.
Mais comment évaluer la crédibilité ? Outre les paroles et leur cohérence, nombreux sont ceux qui cherchent dans le « comportement non verbal » des signes perçus comme révélateurs : un témoin qui parle en baissant les yeux, celui-là dont la voix tremble, ou cet autre qui gigote en répondant. Mais les juges doivent faire attention, avertit un expert, car leurs idées préconçues — ou stéréotypes — sur la signification de ces comportements pourraient les induire en erreur sur qui dit la vérité et… qui ment.
Car il n’y a pas un seul signe, pas une gestuelle ou une expression faciale qui garantit à coup sûr la crédibilité — dans la vie de tous les jours comme à la Cour —, explique Vincent Denault, chercheur postdoctoral au Département de psychopédagogie et de psychologie du counseling de l’Université McGill.
Pas plus qu’il n’y a de comportement non verbal qui soit un indicateur infaillible des regrets ressentis par un condamné de meurtre. Les larmes peuvent couler sans réels remords, et les remords peuvent exister sans larmes. Bref, pas de nez de Pinocchio qui s’allonge avec chaque mensonge, poursuit en entrevue le chercheur, dont les travaux ont notamment porté sur ce sujet et qui a récemment offert une conférence à l’Université McGill.
« Les gens ressentent les émotions de façon différente », souligne M. Denault. Des propos qui font penser au personnage de Meursault dans le roman L’étranger, de Camus, à qui il fut reproché à son procès son absence d’émotions et même de ne pas avoir pleuré à la mort de sa mère.
Bref, l’évaluation de la crédibilité, « c’est très subjectif » et c’est en partie basé sur les attentes de l’observateur, ajoute-t-il.
Aucun signe non verbal n’est présent chez tous les menteurs, tranche l’homme qui cumule des études en droit, en droit social et en communications. « Mais le danger est que des gens pensent qu’il y en a.
Cette quête de la vérité pour délivrer la justice ne date pas d’hier, relate celui qui est le cofondateur et codirecteur du Centre d’études en sciences de la communication non verbale, au sein du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal.
Au Moyen-Âge, le fer brûlant était appliqué sur les accusés : le type de marques de brûlures laissées sur la peau permettait supposément de savoir s’ils disaient vrai. Le roi Salomon aurait, selon l’histoire, suggéré à deux femmes revendiquant la maternité d’un enfant de le couper en deux. Il a tranché que celle qui a plutôt renoncé au bambin, pour ne pas le voir mourir, en était la vraie mère.
Ainsi, M. Denault s’est intéressé à ce qui se passe actuellement dans les salles de cour des palais de justice, notamment au Québec.
Il relève ces exemples, trouvés dans des jugements : un jeune homme qui a regardé droit dans les yeux du juge en témoignant a été décrit comme « sincère ». Mais pas celui qui avait l’air agité en livrant son récit, ni ce témoin qui parlait avec hésitation.
Ce n’est que la pointe de l’iceberg selon lui, car il ne s’agit que des cas où cette évaluation de la communication non verbale a fait l’objet d’une mention écrite dans une décision.
Il donne d’autres exemples de stéréotypes et de préjugés : la vitesse de parole est souvent associée à la vérité. Mais un menteur peut avoir répété devant son miroir ses mensonges et être fin prêt à les raconter sans hésitation au magistrat alors qu’un autre qui dit la vérité n’a pas senti le besoin de faire pareil exercice préparatoire.
Le sujet n’est pas anodin.
Quel sera le sort de tous ces procès où la parole de l’un est opposée à la parole de l’autre ? Et quel sera celui d’une victime de violence conjugale appelée à témoigner au procès de son ex-conjoint ?
Si elle est hésitante et baisse les yeux en parlant, cela sera-t-il perçu comme une preuve qu’elle ment ? Ou reconnaîtra-t-on au contraire que ce comportement est dû à sa nervosité parce qu’elle se trouve en présence de l’homme qui l’a battue ?
Sans oublier que des avocats habiles en contre-interrogatoire peuvent exploiter ces stéréotypes pour faire apparaître le témoin plus nerveux, et donc potentiellement moins crédible aux yeux de certains.
L’exercice de la détermination de la crédibilité est vraiment « loin d’être simple », reconnaît M. Denault, qui « lève son chapeau » aux magistrats. Il aimerait que le sujet des stéréotypes sur le comportement non verbal soit plus souvent abordé et discuté dans les milieux d’enseignement et les milieux juridiques, notamment avec les futurs avocats lorsqu’ils sont encore sur les bancs d’école, pour qu’ils soient sensibilisés à leur existence.
Mais tous les juges n’ont pas de tels préjugés, souligne le chercheur. Et ce n’est pas parce qu’il existe des préjugés et des stéréotypes dans la salle de cour que le jugement final sera mauvais : « Ça peut être le meilleur des jugements ».
Malgré les difficultés, il ne croit pas que la solution soit de complètement écarter toute évaluation du langage non verbal : cela ne ferait que déplacer le problème, dit-il, car si la quête de vérité ne repose que sur les mots, certains témoins ayant moins de vocabulaire, par exemple, pourraient être désavantagés.
Et puis, selon lui, le langage non verbal joue un autre rôle, fort crucial : celui de faciliter les interactions humaines et d’aider à se comprendre les uns les autres. Dans une salle de cour, il permet de saisir ce que le témoin essaie réellement de dire.
Il faut donc apprécier le non-verbal à sa juste valeur, conclut-il, « avec ses forces et ses faiblesses. »