Le pire est encore évitable dans les hôpitaux

Le protocole de triage en cas de dépassement de la capacité des hôpitaux est prêt à être mis en place. Mais nous n’en sommes pas là.
Photo: Graham Hughes La Presse canadienne Le protocole de triage en cas de dépassement de la capacité des hôpitaux est prêt à être mis en place. Mais nous n’en sommes pas là.

Personne ne souhaite en arriver au triage des patients en cas de surcharge du réseau. Un expert du protocole de triage pour l’accès aux soins intensifs avance plusieurs propositions avant d’en arriver là.

Le protocole de triage pour l’accès aux soins intensifs est prêt à être appliqué si les hôpitaux venaient à être saturés par la vague Omicron. Ses instigateurs pensent toutefois que plusieurs solutions peuvent être encore envisagées pour éviter le pire, notamment la désignation d’hôpitaux entièrement destinés aux patients atteints de la COVID.

Mercredi soir, les membres du comité national de priorisation pour l’accès aux soins intensifs se sont réunis pour s’assurer de la procédure la plus efficace pour mettre en œuvre ce protocole destiné, au besoin, à déterminer qui aura accès en priorité aux soins intensifs en cas de sursaturation des hôpitaux.

« Le plan avait déjà été mis à jour cet automne. Tout ce qu’on espère, c’est de ne pas avoir à l’appliquer. Il ne l’a jamais été jusqu’à présent. Les mêmes critères qu’en 2020 prévalent, mais une mise à jour a été faite pour préciser comment gérer les inégalités sur le plan clinique. Le but de ce protocole est d’identifier avec des critères cliniques et éthiques appropriés les patients qui ont les meilleures chances de survie », explique le Dr Joseph Dahine.

Normalement, ce protocole doit s’enclencher seulement si les hôpitaux atteignent 200 % de leur capacité, prévoit le ministère de la Santé. À l’heure actuelle, le nombre total de lits destinés aux patients atteints de la COVID est estimé à environ 800 à 900 lits, et 55 % sont déjà remplis. En théorie, il faudrait atteindre 1600 à 1800 hospitalisations pour que la capacité du réseau soit dépassée.

« On voit que la pression monte, et cela, parce qu’on a encore des patients COVID aux soins intensifs qui y sont depuis septembre dernier. Le tiers de nos ressources sont déjà mobilisées par ces “anciens” cas de COVID », explique le Dr Dahine, intensiviste et corédacteur du protocole national de triage destiné aux soins intensifs.

Au moment où la vague Omicron frappe de plein fouet les employés du réseau de la santé, il s’interroge sur le nombre réel de lits qui pourront être disponibles en cas de hausse marquée des hospitalisations dans les jours à venir. Le 23 décembre, pas moins de 5185 employés étaient absents en raison de la COVID-19, et ce nombre risque d’augmenter, croit-il.

« Le variant est tellement contagieux qu’on va devoir regarder d’autres options si on manque cruellement de personnel. Pourquoi ne pas attribuer des hôpitaux complets aux patients COVID ? », soutient le Dr Dahine.

Cette stratégie permettrait de limiter les éclosions et de protéger la capacité des autres hôpitaux à donner d’autres soins, en évitant tout contact entre patients « froids » et « chauds », et entre employés infectés asymptomatiques et les autres.

« Il y a tellement d’employés en isolement. Chaque jour, de nouveaux collègues médecins, infirmières ou d’autres professionnels complètement asymptomatiques sont déclarés positifs. Ça n’arrête pas de monter. Cette façon de faire permettrait de faire retourner au travail des centaines d’employés asymptomatiques auprès de patients infectés, dans les hôpitaux destinés aux patients COVID », dit-il.

Explosion du nombre d’absents

Selon les chiffres de l’Institut national de santé publique du Québec, on comptait, le 22 décembre, 113 éclosions actives dans les milieux de soins et de vie au Québec. Une hausse de près de 300 % en un mois.

À Montréal, près de 2000 employés sont isolés à la maison, soit parce qu’ils sont infectés (666), soit en absence préventive (643) ou en processus de dépistage (382), selon les chiffres compilés le 23 décembre par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Le compte augmente de jour en jour. En 24 heures, 151 employés de plus ont été déclarés positifs à la COVID dans la métropole jeudi, et 350 employés de plus sont en dépistage.

Selon l’intensiviste de la Cité-de-la-Santé à Laval, les zones chaudes et froides de plusieurs hôpitaux ont été démantelées cet été en raison de la baisse du nombre de patients COVID, de sorte que du personnel asymptomatique, infecté par le contagieux variant Omicron, peut maintenant passer d’un patient « chaud » à un patient « froid », accroissant les risques d’éclosion.

« Il y a une réflexion profonde à faire pour avoir des établissements mieux armés pour faire face à cette crise. Les problèmes de logistique et de prévention des infections restent entiers avec les zones COVID », croit-il.

Le Comité de priorisation pour l’accès aux soins intensifs a aussi souligné aux représentants du MSSS l’importance de planifier dès maintenant des corridors pour transférer des patients d’une région à l’autre. Car si le variant Omicron s’avère aussi contagieux pour tous, des régions et des hôpitaux seront toutefois plus affectés que d’autres, prévoit-on. « L’impact sur les hôpitaux va être asymétrique, donc il ne faudrait pas que les patients d’une région écopent parce que leur urgence déborde. On a fait des simulations pour s’assurer que les patients soient mieux répartis », dit-il.

Sur les 24 nouvelles hospitalisations (hors soins intensifs) recensées jeudi, 16 l’étaient dans la grande région de Montréal. Deux des trois nouvelles admissions aux soins intensifs étaient en Montérégie.

Selon le Dr Dahine, ces quelques pistes de solutions pourraient être instaurées à court terme pour augmenter la capacité hospitalière. Le retour au travail des médecins et soignants infectés, mais asymptomatiques, en fait partie. « Ces gens sont même déçus et inquiets de laisser leurs collègues sur la touche en pleine crise », dit-il.

Cette solution a toutefois été dénoncée par la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN) qui craint que le retour d’employés infectés à des « tâches administratives » ou auprès des patients COVID n’augmente indûment le risque d’infection d’autres employés.

Chose certaine, insiste le Dr Dahine, le gouvernement devra avoir convaincu que le maximum a été fait pour augmenter le nombre de lits disponibles avant d’enclencher le protocole de triage pour l’accès aux soins critiques.

En attendant la vague anticipée, le personnel des urgences et des soins intensifs retenait son souffle en cette étrange veille de Noël pandémique. « Il règne un drôle de sentiment ici, confie le Dr Dahine. Il y a quelque chose d’inhabituel et d’anormalement silencieux dans nos services. Le stress est palpable. Le sentiment s’apparente drôlement à celui de mars 2020. »

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