Pensionnats pour Autochtones

La nouvelle a fait le tour du monde, plongé le pays dans un imposant examen de conscience et entaillé de nouvelles plaies chez les Autochtones. Le 27 mai 2021, la cheffe de la communauté Tk’emlups te Secwépemc, Rosanne Casimir, annonçait que les restes de 215 enfants avaient été repérés par des radars à pénétration de sol sur le site de l’ancien pensionnat pour Autochtones de Kamloops, en Colombie-Britannique (en juillet, ce nombre a été revu à la baisse à 200). Depuis, des recherches menées ailleurs au pays ont permis de repérer plus d’un millier d’autres tombes anonymes à proximité d’anciens pensionnats.
Avant que le choc ne devienne planétaire, la première secousse a été brutale pour la cheffe Casimir. « J’étais horrifiée et sans mots quand [l’équipe technique qui faisait les recherches] a prononcé les mots “tombes anonymes” », se rappelle-t-elle en entrevue au Devoir. « C’était surréel et très traumatisant de penser à la manière dont j’allais, en tant que cheffe, transmettre cette nouvelle. »
Rapidement, Rosanne Casimir a décidé de partager les résultats préliminaires des recherches aux membres de la communauté Tk’emlups te Secwépemc, puis aux médias. « C’était très dérangeant émotionnellement. Mais c’était leur vérité [aux enfants disparus] qui surgissait. »
Une vérité qui n’avait jamais été reconnue malgré les témoignages d’aînés autochtones qui répétaient que certains enfants n’étaient jamais revenus de leurs séjours dans les pensionnats. Et malgré les conclusions de la Commission de vérité et réconciliation du Canada, qui estimait que 4127 enfants autochtones étaient morts dans ces établissements mis sur pied par le gouvernement fédéral, et administrées par des communautés religieuses, pour éduquer et assimiler les enfants autochtones.
À Kamloops, l’imposant édifice de briques rouges qui abritait le plus grand pensionnat pour Autochtones du pays de 1890 à 1969 se tient encore debout à quelque 350 kilomètres au nord-est de Vancouver. Mais plusieurs résidents des alentours n’en connaissaient pas l’histoire, relève Mme Casimir.
Selon la cheffe, la découverte des sépultures anonymes a créé une réelle prise de conscience à travers le pays. « Plusieurs survivants des pensionnats pour Autochtones nous disent maintenant que les gens les regardent différemment, qu’ils veulent leur parler, en apprendre plus sur eux, sur leur douleur et leurs traumatismes. »
« La vraie histoire est en train d’être révélée, ajoute Rosanne Casimir. Je vois [cet événement] comme quelque chose qui va changer la manière dont les gens voient les Premières Nations et qui va engendrer une meilleure compréhension de qui nous sommes. »
De 1883 à la fin des années 1990, environ 150 000 enfants des Premières Nations, des Métis et des Inuits ont été placés de force dans des pensionnats pour Autochtones. En plus d’être déracinés de leur culture et arrachés à leur famille, plusieurs pensionnaires ont subi des sévices physiques et sexuels, et certains ne sont jamais rentrés à la maison.
Un déclencheur
Depuis que les Canadiens ont été placés face à cet épisode peu reluisant de leur histoire, des milliers de chaussures d’enfants ont été alignées à divers endroits du pays pour rendre hommage aux jeunes vies emportées. Une cavalcade d’annonces s’en est également suivie.
Le 10 août, Ottawa annonçait l’octroi de 320 millions de dollars supplémentaires « pour aider les communautés autochtones à faire face aux séquelles physiques, émotionnelles, mentales et spirituelles » liées aux pensionnats, mentionne le porte-parole de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, Kyle Fournier.
Dans un courriel au Devoir, il ajoute que depuis l’été, le gouvernement a reçu 75 demandes de recherches au sol et approuvé 29 propositions de financement afin de localiser d’autres sites d’inhumation. « La recherche de tombes non marquées est minutieuse et exige du temps », a-t-il spécifié.
Le 24 septembre, la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC) a présenté des excuses — âprement attendues — aux Autochtones. Dans une déclaration écrite, la CECC a affirmé qu’elle reconnaissait « avec tristesse le traumatisme historique et continu, de même que l’héritage de souffrances et de défis qui perdure encore aujourd’hui pour les peuples autochtones ».
Un mois plus tard, le Vatican annonçait que le pape François préparait une visite au Canada qui s’inscrirait dans le processus de réconciliation avec les peuples autochtones. En 2018, le Saint-Père avait refusé de présenter des excuses officielles aux survivants des pensionnats pour Autochtones, ce qu’il pourrait corriger lors de ce voyage.
Quant aux archives, le ministre des Relations Couronne-Autochtones du Canada, Marc Miller, a annoncé le 6 décembre que le gouvernement allait remettre au Centre national pour la vérité et la réconciliation (CNVR), situé à l’Université du Manitoba, de nouveaux dossiers sur les pensionnats pour Autochtones.
En octobre, le CNVR avait déploré qu’Ottawa ne lui eût toujours pas fourni des documents clés sur l’histoire de chacun des pensionnats du pays. Avec des documents d’archives, les communautés autochtones espèrent trouver des éléments de réponses pour mieux comprendre ce qui s’est passé dans les pensionnats.
Du côté des Oblats — qui ont géré plusieurs pensionnats pour Autochtones, dont celui de Kamloops —, le frère Raymond Marquis a indiqué au Devoir que du personnel additionnel a été embauché pour aider à identifier, numériser, classer et transmettre les documents pertinents au CNVR. Un travail imposant qui a débuté en 2011, dit-il. « On parle de plus de 150 années de documents », souligne le frère Marquis, précisant toutefois que les dossiers des écoles étaient généralement transférés, à l’époque, au gouvernement fédéral.
Est-ce que ces documents — qu’ils se trouvent à Ottawa ou ailleurs — pourraient permettre un jour de connaître la vérité sur cet épisode de l’histoire canadienne ? Rien n’est acquis. « Les questions qu’on a aujourd’hui, ce n’est pas les questions qu’on avait à l’époque, fait remarquer le frère Marquis. [Les documents de l’époque], on ne les a pas écrits pour répondre aux questions d’aujourd’hui. »