Dénominateurs psychologiques d'une fatigue pandémique

Malgré les vaccins, ça ne s’est pas passé comme on l’aurait souhaité. Les variants se sont multipliés et, à quelques jours de Noël, le nombre de nouveaux cas recensés explose une fois de plus, avec un bilan quotidien qui atteint des sommets au Québec.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Malgré les vaccins, ça ne s’est pas passé comme on l’aurait souhaité. Les variants se sont multipliés et, à quelques jours de Noël, le nombre de nouveaux cas recensés explose une fois de plus, avec un bilan quotidien qui atteint des sommets au Québec.

L’arrivée du vaccin contre la COVID-19 a alimenté l’espoir d’un retour à la normale. Mais il a également créé un « faux sentiment de sécurité » qui a mené à un relâchement des autres mesures de prévention, constatent les experts. Un an plus tard, l’optimisme a fait place à une fatigue pandémique de plus en plus lourde. Tour d’horizon des répercussions psychosociales de la vaccination.

Au début de la pandémie, en mars 2020, le monde entier s’est tourné vers les scientifiques dans l’espoir qu’ils puissent concevoir un vaccin le plus rapidement possible. C’était vu comme une « potion magique », illustre Kim Lavoie, professeure au Département de psychologie de l’UQAM et titulaire de la Chairede recherche en santé du Canada, qui s’est intéressée aux comportements liés à la COVID-19 avec l’étude iCARE.

« Quand le vaccin est devenu accessible, ça a été un grand soulagement psychologique pour la plupart des gens », note-t-elle.

Cet « espoir » a été alimenté par le sentiment de « contrôle » qu’il redonnait à la population, renchérit Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue et professeure associée à l’UQAM. « Dans toute cette incertitude que l’on vivait depuis un an, enfin il y avait quelque chose auquel se rattacher. L’espoir [de venir à bout de la pandémie] devenait concret. »

Or, ça ne s’est pas passé comme on l’aurait souhaité. Les variants se sont multipliés et, à quelques jours de Noël, le nombre de nouveaux cas recensés explose une fois de plus, avec un bilan quotidien qui atteint des sommets au Québec.

« Avec l’arrivée des variants — je vais le dire en bon québécois —, on a pogné une méchante débarque ! » poursuit la psychologue.

La hausse des cas s’explique notamment par le fait que depuis qu’ils sont doublement vaccinés, les gens ont développé un « faux sentiment de sécurité » et suivent moins les autres mesures de prévention comme le lavage des mains, la distanciation et le port du masque, estime la chercheuse Kim Lavoie.

« Les gens se disent : “Je suis vacciné, je n’ai plus besoin de faire tout le reste.” Et on laisse tomber nos gardes. »

Chez les Canadiens vaccinés, la chercheuse a observé une diminution de 20 % du taux d’adhésion aux mesures sanitaires entre les mois de mars et juin 2021. Cette diminution est encore plus marquée chez les non-vaccinés.

L’usure psychologique a également joué un rôle dans ce relâchement, croit Geneviève Beaulieu-Pelletier. « Le principal symptôme qui ressort de la fatigue pandémique, c’est une démotivation à suivre les consignes. »

Elle constate également que certains commencent à être « moins à l’aise » de s’affirmer pour faire respecter les consignes à leurs proches.

Cohérence

 

Pour Roxane de la Sablonnière, professeure au Département de psychologie de l’Université de Montréal, « l’une des composantes importantes pour que les gens adhèrent bien aux mesures sanitaires, c’est la perception de lacohérence ». Et celle-ci n’est pas toujours au rendez-vous. « En ce moment, il y a plein de gens vaccinés qui attrapent la COVID. Il faut expliquer pourquoi, et les avantages d’avoir le vaccin malgré ça. Quand les gens sont dans la compréhension plutôt que dans le questionnement, ça devient plus facile de s’adapter. »

L’annonce d’un allègement des mesures sanitaires en novembre dernier par le gouvernement Legault a également envoyé un mauvais signal à la population, estime Kim Lavoie. « Les restrictions sanitaires donnent le signal sur l’état de la situation, alors si on relâche sur ce plan, ça donne l’impression aux gens que tout est beau. »

Et ces « faux espoirs » envoyés par le gouvernement ont des répercussions sur le moral des troupes, prévient Geneviève Beaulieu-Pelletier, donnant l’exemple des consignes pour Noël qui viennent tout juste d’être révisées par le gouvernement Legault.

« Les gens avaient besoin de savoir, de planifier, mais quand on n’est pas suffisamment certain, mieux vaut attendre [avant d’annoncer un assouplissement des règles], parce que ça donne un contrecoup important », affirme-t-elle. Ainsi, lorsque le gouvernement recule après avoir annoncé de bonnes nouvelles, les réactions sont plus vives. « Alimenter l’espoir pour le retirer ensuite n’est pas la voie à suivre psychologiquement parlant », estime la psychologue, qui aimerait voir un spécialiste de la santé mentale à la table des experts lors des conférences de presse du premier ministre Legault.

Radicalisation

 

Une autre répercussion psychosociale de la vaccination est l’exacerbation des tensions dans la société, constate la Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec. « S’il y a une chose qui a divisé les gens, c’est bien le respect et l’interprétation des mesures sanitaires. Ça a brisé des amitiés et des familles. »

Selon elle, « on s’est tous un peu radicalisés dans nos positions » depuis le début de la pandémie, notamment en raison de la fatigue pandémique, qui cause un « effritement de nos capacités à penser, à raisonner et à prendre du recul ».

« Sur le plan psychologique, ça a amené une plus grande intolérance à la diversité des opinions qui sont différentes des nôtres. »

Or, les Québécois se sont « tirés dans le pied » en montrant du doigt les non-vaccinés et en alimentant cette polarisation, estime Geneviève Beaulieu-Pelletier. Il aurait plutôt fallu tenter de comprendre les raisons pour lesquelles certains refusent de se faire vacciner. Elle donne l’exemple de quelqu’un qui souffre d’anxiété et qui utilise le déni comme stratégie de régulation émotionnelle.

« Il faut essayer de comprendre levécu psychologique derrière le refus de la vaccination. Pas pour les encourager à ne pas se faire vacciner, loin de là, mais mieux on va comprendre, plus on va être en mesure de trouver d’autres manières de gérer cette crise-là. Il est rendu un peu tard dans le processus, parce que les croyances se sont cristallisées, mais je pense qu’on peut apprendre de cette crise-là pour la prochaine fois. »



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