Le chef du SPVQ évite pour l’instant de dénoncer ses agents mis en cause lors d’interventions musclées

Le directeur du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), Denis Turcotte, n’est pas prêt à dénoncer les pratiques très musclées des policiers de Québec vues ces derniers jours dans des vidéos. Le contexte dans lequel elles sont survenues, dit-il, reste à éclaircir.
« Est-ce qu’on voit ce que la personne a fait avant d’être poussée au sol ? » a-t-il demandé. « Les gens ont seulement une partie de l’information. »
M. Turcotte, qui a suspendu cinq de ses policiers plus tôt cette semaine à la suite de la diffusion d’une série de vidéos qui ont suscité de vives réactions, a d’ailleurs lancé un appel à la population pour recueillir davantage d’images afin de reconstituer le fil complet des événements.
Depuis la publication de la vidéo montrant l’intervention violente de membres de l’escouade GRIPP du SPVQ auprès de jeunes Noirs sur la Grande Allée, trois autres extraits ont été mis en circulation. Le deuxième permet de voir des policiers de la même unité frapper violemment un client du restaurant Portofino, le même soir. Le troisième, filmé en octobre, montre un policier poussant avec force un homme sur un véhicule, sans motif apparent. Enfin, dans le quatrième, qui se déroule dans un restaurant du quartier Saint-Roch, un agent projette un homme au mur avec une violence saisissante.
Jeudi, le chef Turcotte a confirmé qu’un même policier apparaissait dans trois des vidéos et n’a pas exclu qu’il puisse figurer dans la quatrième. Il n’a toutefois pas voulu s’avancer davantage sur son avenir.
D’ailleurs, si les policiers ont été suspendus, ce n’est pas parce que le SPVQ estime qu’ils ont contrevenu aux règles puisqu’il est trop tôt pour le dire, a-t-il insisté, mais plutôt « dans le but de préserver l’intégrité de l’enquête » et leur propre sécurité sur le terrain.
« Un ou quelques » policiers
Or, pour le maire de Québec, Bruno Marchand, certains policiers en particulier sont problématiques. « La force de la preuve démontre qu’il y a un problème avec certainement un ou quelques policiers qui, finalement, nuisent à l’ensemble de l’image et de ce que les forces de l’ordre peuvent faire à Québec », a-t-il déclaré en marge d’une annonce au Musée national des beaux-arts du Québec.
Quant à savoir si certains comportements des policiers seraient inacceptables dans n’importe quel contexte, le chef Turcotte n’a pas non plus voulu se mouiller. Il a reconnu que certains propos tenus dans les vidéos, comme « Veux-tu que j’te gaze, mon esti ? », n’étaient pas « élégants ».
Évoquant l’« onde de choc » qui frappe son organisation, le chef a souligné que c’était une période difficile. « C’est pas des belles journées, là », a-t-il laissé tomber avant de réitérer « toute sa confiance » envers ses troupes. « Notre ville est l’une des villes les plus sécuritaires au monde, grâce à vous, chers collègues. »
L’onde de choc s’étend par ailleurs au-delà du SPVQ dans la capitale. Une coalition de groupes antiracistes organise notamment une marche devant l’Assemblée nationale samedi matin afin de réclamer « justice pour Pacifique » Niyokwizera, le jeune homme noir qu’on a vu se faire arrêter de manière brutale dans la première vidéo.
« On n’est pas en train de dénigrer les policiers. Notre intention, c’est simplement de dénoncer une pratique policière qui porte atteinte à la dignité des personnes racisées », a expliqué au Devoir l’un des organisateurs, Mbaï-Hadji Mbaïrewaye. « On demande que la police reconnaisse le profilage racial et la brutalité policière et s’engage à y mettre un terme. »
Devant les médias, jeudi, le chef de police a par ailleurs fourni quelques renseignements nouveaux sur les incidents de vendredi dernier, qui ont relancé le débat sur la présence de profilage racial au SPVQ. Denis Turcotte a soutenu qu’une quinzaine de personnes causaient du « désordre » et que les policiers étaient intervenus pour disperser la foule. Au total, six personnes ont été arrêtées pour désordre et voies de fait contre un agent de la paix, dont le jeune Pacifique Niyokwizera.
Contrairement à ce qu’avait avancé l’avocat de ce dernier plus tôt cette semaine, le directeur de police soutient en outre que M. Niyokwizera avait été avisé qu’il allait recevoir un constat d’infraction par la poste.
À la défense de l’unité GRIPP
Le chef s’est également inscrit en faux contre ceux qui prétendent que les plaintes contre la police n’ont jamais de suites, à moins que des vidéos incriminantes ne les étayent. « Toute plainte déposée au poste de police ou au commissaire à la déontologie policière est prise en charge même s’il n’y a pas de vidéo », a-t-il prétendu. « Même si on n’a pas de vidéo, on va au fond des choses. »
Il s’est en outre porté à la défense de l’unité GRIPP, dont les agents sont mis en cause dans les vidéos. Créée en 2004, l’escouade surveille les restaurants et bars les plus actifs de la ville les soirs de fin de semaine. Elle surveille aussi les bandes de motards, les délinquants à haut risque ainsi que les réseaux de proxénétisme. « L’unité GRIPP a plus que sa raison d’être », a-t-il dit. Elle « fait en sorte que nous tous pouvons circuler librement et en sécurité dans la ville ». M. Turcotte n’exclut toutefois pas de « revoir » son « mandat ».
L’enquête sur cette affaire commence à peine au sein du SPVQ, et les policiers suspendus n’ont pas encore été interrogés par la division du service responsable des enquêtes internes. Rappelons qu’à la demande de la ministre Geneviève Guilbault, le commissaire à la déontologie se penchera aussi sur le dossier. « Nous, on recueille des éléments de preuve et on les fournit au commissaire », a dit à ce sujet le directeur du SPVQ.
Avec François Carabin