CHSLD: un organigramme qui donne des migraines à la coroner

Natalie Rosebush a déclaré que les évaluateurs dépêchés en CHSLD n’avaient, dans certains cas, pas eu accès aux zones rouges. Ils rencontraient les «personnes responsables», qui répondaient à leurs questions et leur faisaient faire «la tournée», dans la mesure du possible.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Natalie Rosebush a déclaré que les évaluateurs dépêchés en CHSLD n’avaient, dans certains cas, pas eu accès aux zones rouges. Ils rencontraient les «personnes responsables», qui répondaient à leurs questions et leur faisaient faire «la tournée», dans la mesure du possible.

La coroner Géhane Kamel a terminé pour l’année le volet national de l’enquête publique sur la gestion de la pandémie pendant la première vague en critiquant la structure complexe du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

« Ah mon Dieu. […] Ça, franchement, j’ai mal un petit peu à la tête », a-t-elle laissé tomber, mercredi, lorsque la haute fonctionnaire Natalie Rosebush a brandi une image de l’organigramme du MSSS, en espérant que cela rende sa présentation « plus simple ».

« J’ai de la difficulté à entrer dans l’organigramme du ministère, ça me donne des petites migraines », avait auparavant lancé la coroner Kamel.

Depuis des semaines, l’équipe de la coroner tente d’établir les causes et les circonstances des 4000 décès survenus en CHSLD entre les mois de février et septembre 2020. Or, une série d’informations contradictoires — sur la responsabilité des uns et des autres, sur l’existence de rapports de visites de vigie ou sur le niveau de préparation de Québec, par exemple — lui ont été présentées au fil des jours.

La confusion dans les témoignages rappelle les observations de la Commissaire à la santé et au bien-être, qui a écrit dans un rapport préliminaire, en septembre, que les soins aux aînés étaient désorganisés lors de la première vague.

« On l’a dit plusieurs fois et je pense qu’on a été très clairs : il y avait un enjeu de communication dans le ministère de la Santé qui résultait de nombreuses années, de directives qui étaient envoyées même avant la pandémie, dont les p.-d.g. n’avaient pas conscience parce qu’il y avait tellement de directives », a reconnu mercredi le ministre de la Santé, Christian Dubé. « Mais [on] n’a pas attendu, on a agi, on a agi sur toutes ces faiblesses-là le plus rapidement possible et on agit encore », a poursuivi l’élu dans un échange au Salon bleu.

« On a fait notre possible », a aussi insisté le premier ministre, François Legault, en rappelant qu’il avait pris « sa part de responsabilité » au sujet de la tragédie des CHSLD.

Avant eux, les oppositions avaient, encore une fois, renouvelé leurs appels afin qu’une enquête publique sur la pandémie soit lancée au Québec. Elles ont reproché au gouvernement d’entretenir le flou au sujet de sa gestion de crise. « C’est un véritable scandale », a tranché l’élue libérale Monique Sauvé.

Des évaluations, mais quels suivis ?

À l’enquête de la coroner Kamel, la question des suivis effectués à la suite de visites de vigie en CHSLD a donné lieu à de longs échanges et à des explications confuses de la part de Mme Rosebush, qui est sous-ministre adjointe de la Direction générale des aînés et des proches aidants.

L’avocat Patrick Martin-Ménard, qui représente les familles de personnes décédées en CHSLD, a brandi la grille qui a été remplie après des visites au CHSLD Sainte-Dorothée, où 100 personnes sont mortes de la COVID-19. Du 16 au 27 avril, le manque chiffré de préposés aux bénéficiaires y est passé de 18 à 70. Lors d’une visite, la quasi-totalité des résidents n’avait pas reçu les « soins essentiels ».

« À la suite de constats faits dans des grilles ? », a-t-il ensuite demandé à Mme Rosebush. « Je n’ai pas d’exemple, mais on a eu beaucoup de communications avec les personnes proches aidantes », a-t-elle répondu.

La sous-ministre adjointe a ensuite révélé qu’il avait fallu attendre « de mémoire, fin avril ou mai » avant que les informations recueillies sur divers CHSLD ne soient réunies, dans ce qu’elle a appelé « les topos CHSLD ».

Avant, les grilles de suivi ne permettaient pas de faire une synthèse des réponses obtenues ou d’établir un portrait statistique de la situation dans les CHSLD, lui a fait remarquer Me Martin-Ménard. « Ceci étant dit, sur une base régulière, tout le long de la pandémie, on était en échange avec établissements et les organismes en lien avec les personnes proches aidantes », a encore répondu Mme Rosebush.

Dans l’espoir « d’arrêter de “tataouiner” pendant dix ans », la coroner Kamel a demandé d’obtenir une liste des suivis effectués à la suite de visites de vigie. « S’il existe des documents de suivi à la suite de la visite de l’évaluateur, je veux ce document-là. Je ne sais pas si je suis toute seule à me comprendre », a-t-elle lâché. « Merci bonsoir, on ferme la boîte là-dessus. »

Pas de visites en zones rouges

 

Natalie Rosebush a par ailleurs déclaré que les évaluateurs dépêchés en CHSLD n’avaient, dans certains cas, pas eu accès aux zones rouges. « Les personnes pouvaient aller à l’intérieur du milieu, sous réserve de certaines sections, pour éviter la contamination », a-t-elle résumé.

En somme, les évaluateurs rencontraient les « personnes responsables », qui répondaient à leurs questions et leur faisaient faire « la tournée », dans la mesure du possible. Vu le caractère limité des visites, pourquoi ne pas avoir demandé aux personnes sur place de remplir directement les grilles d’évaluation ?, s’est interrogée Me Kamel.

Mme Rosebush a par ailleurs confirmé, comme l’avait révélé la Protectrice du citoyen dans son rapport sur la première vague de la pandémie, que les CHSLD ont reçu une première direction pour se préparer à des éclosions le 12 mars. « Le guide pour l’adaptation des services en CHSLD a été remis le 12 mars et moi, le 12 mars, j’ai eu des conférences avec eux », a-t-elle affirmé.

« Entre janvier et le 2 mars, je suis certaine qu’il y a eu des comités, qui les gens ont travaillé. Mais personne ne m’a convaincue que la voix des aînés [a été entendue] », a relevé la coroner.

« Le 1er mars, un premier cas se déclare et le guide va apparaître autour du 12 mars. Il y a dix jours entre les deux. Il y a un plan de pandémie H1N1 et pourquoi on ne le déclenche pas, pourquoi ce n’est pas à partir de ça qu’on travaille ? C’est ce petit bout-là qui me dérange », a-t-elle poursuivi.

Me Martin-Ménard a par la suite présenté un procès-verbal d’une réunion du « comité de gestion du réseau », qui a convenu le 9 mars 2020 « de procéder à une mise à jour du plan de lutte contre une pandémie élaboré pour le H1N1 et d’ajouter une annexe dédiée à la COVID ».

De quoi ajouter un nouveau niveau de confusion, puisque l’ex-ministre de la Santé Danielle McCann a déclaré lors de son passage à l’enquête du coroner que les p.-d.g. des CISSS et des CIUSSS « devaient mettre en branle » le plan de lutte contre une pandémie « à partir de janvier ».

Pas de fabrication de fichier

À sa deuxième présence devant la coroner, la haute fonctionnaire Natalie Rosebush a tenté de clarifier mercredi les explications qu’elle avait fournies lors de son premier témoignage, en novembre, au sujet des visites de vigie effectuées en CHSLD.

 

La sous-ministre adjointe de la Direction générale des aînés et des proches aidants a expliqué que les évaluateurs dépêchés sur le terrain pouvaient prendre des notes manuscrites, mais qu’ils devaient ensuite consigner leurs observations dans un fichier Excel.

 

Lors de son premier témoignage, elle avait déclaré que les observations sur les visites étaient faites « verbalement » et que chaque nouvelle entrée dans le fichier Excel « écrasait » la précédente.

 

« À ce moment-là, on n’avait pas d’indication qu’on avait tout l’historique de ces grilles-là, mises à jour informatiquement », a-t-elle rectifié mercredi. C’est donc par la suite que ses équipes se sont rendu compte qu’elles avaient des copies de sauvegarde, qu’elles ont acheminées à la coroner.

 

Cette opération a été effectuée le jour de son premier témoignage, le 16 novembre, a-t-elle expliqué. Le document n’a donc pas été fabriqué de toutes pièces cette journée-là, s’est-elle défendue.



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