Indignation à Québec à la suite d’une arrestation musclée

Sur certaines séquences vidéo, on aperçoit une personne, face au sol, dans la neige, maintenue de force par des policiers.
Photo: Capture d'écran Sur certaines séquences vidéo, on aperçoit une personne, face au sol, dans la neige, maintenue de force par des policiers.

La classe politique s’est indignée dimanche des images d’une rude intervention du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) dans la nuit de vendredi à samedi auprès de jeunes Noirs, multipliant les appels pour que « la lumière soit faite » sur ces événements.

« Aujourd’hui, ce n’est pas une belle journée au Québec », a déclaré le maire de la capitale, Bruno Marchand. «Quand on voit les images […], on ne peut pas faire autrement qu’être troublé. » Il a consacré ses premières pensées aux « personnes touchées par les événements qui sont bouleversées ou qui, même, peuvent éprouver de la peur ».

Le maire a ensuite remercié les policiers qui étaient en poste dimanche. « J’ai également une pensée pour l’ensemble des policiers et policières qui, ce matin, rentraient au travail en sachant très bien que la journée ne serait pas facile », a-t-il affirmé.

Sur Twitter, le premier ministre François Legault a dit avoir pris connaissance des « images troublantes » qui circulent en ligne. « La lumière doit être faite sur cet événement », a-t-il écrit.

Dans les heures suivantes, le chef du SPVQ, Denis Turcotte, a pris l’engagement formel de « mener l’enquête rondement », afin que la population « ait des éclaircissements sur ce qui s’est passé » sur la Grande-Allée, une artère fréquentée pour ses bars et ses restaurants. Il a en outre révélé que certaines des personnes interpellées avaient été incarcérées, sans pouvoir dire « lequel a été détenu et lequel n’a pas été détenu à ce moment-ci ».

Une intervention brutale

 

Les images qui circulent montrent des policiers qui interviennent avec force, dans la nuit de vendredi à samedi, pour maîtriser un jeune homme au sol. Un policier envoie de la neige sur le visage de celui-ci avec sa botte. Le jeune semble être maintenu au sol par le genou d’un autre agent. Sur certaines séquences vidéo, on aperçoit aussi une deuxième personne — le visage au sol, dans la neige — maintenue de force par des policiers. « Yo, what the fuck ! », « Yo, laisse-toi faire ! », crie la femme qui tient son téléphone pour filmer, pendant que la personne qui se fait maîtriser pousse des gémissements.

En soirée samedi, le SPVQ a fait savoir, par voie de communiqué, que les policiers « seraient intervenus de manière qui préoccupe grandement la direction du Service de police ».En point de presse le lendemain, le chef Turcotte a expliqué que les événements avaient commencé dans un établissement licencié. « Il y a eu une échauffourée, il y a eu des débordements qui se sont transposés à l’extérieur du commerce, et c’est à ce moment-là que les policiers ont été appelés à intervenir », a-t-il détaillé.

Le Bureau des normes professionnelles et des affaires internes du SPVQ a été affecté à l’enquête. « J’ai une totale confiance », a lancé le maire Marchand, qui était aux côtés du chef de police. « Il y a des lois qui régissent au Québec quelles enquêtes doivent être portées par quel corps policier. Dans ce cas-ci, c’est déterminé que c’est par le SPVQ », a-t-il spécifié, en écartant du même coup la demande du Parti libéral du Québec (PLQ), qui souhaitait que l’enquête soit confiée au Bureau des enquêtes indépendantes.

Un « montage » selon le syndicat

La Fraternité des policiers de la Ville de Québec a quant à elle écrit dans un communiqué que les images constituaient un « montage ». Elle a invité le public à faire preuve de prudence avant de condamner les gestes.

« Un tel montage ne présente uniquement qu’une courte partie de cette intervention policière, comme c’est trop souvent le cas, faisant fi de tous les événements ayant requis la présence de plusieurs policières et policiers sur les lieux », a écrit le syndicat qui représente les policiers.

« Nous tenons à vous rappeler que les agents présents ont rédigé un rapport détaillant leurs faits et gestes, que les ondes radio sont enregistrées et disponibles pour écoute, qu’une enquête interne est en cours, laquelle tiendra compte de chaque élément qui permettra d’analyser ladite intervention », a poursuivi la Fraternité.

« Dans ces circonstances, nous invitons donc le public à faire preuve de réserve et à attendre que soit connu tout le contexte de cette intervention avant de commenter et surtout de juger la conduite des policiers et policières en cause »,a demandé la Fraternité.

Les événements ramènent une fois de plus à l’avant-plan la question du manque de diversité au sein du SPVQ. En juin 2020, l’ex-chef du corps policier Robert Pigeon avait reconnu qu’aucun des 853 du SPVQ n’était noir. La situation était la même à Lévis. À ce moment, le SPVQ comptait deux policiers d’origine asiatique et onze Autochtones.

Dans la foulée, le service de police — comme la Ville de Québec d’ailleurs — avait annoncé son intention de lancer des actions pour favoriser la représentation des communautés culturelles dans ses rangs. En mai 2021, le SPVQ a revu sa stratégie de recrutement dans l’espoir d’attirer davantage de candidats issus des minorités visibles. Au recensement de 2016, un peu plus de 6 % de la population de la Ville de Québec s’identifiait à une minorité visible.

Le manque de diversité au SPVQ, « c’est quelque chose qui préoccupe tout le monde », a déclaré le maire Marchand. « On est conscients qu’il y a un objectif qui est à atteindre et, présentement, les moyens qui sont mis en place nous permettent de croire qu’on va l’atteindre rapidement », a-t-il ajouté. Au sujet des événements de la fin de semaine, le maire a plaidé l’importance de « dépasser le cadre de ce qu’on voit, qui est troublant, [pour] aller plus loin, avoir une enquête crédible et sérieuse ».

Quant au chef Turcotte, il a déclaré qu’il ne tolérera « jamais aucune discrimination, aucune contravention aux lois qui nous régissent ». « Par contre, je peux réitérer toute ma confiance aux policiers de la Ville de Québec. Ce sont des milliers d’interventions chaque année qui ont lieu », a-t-il souligné.

Les libéraux veulent une enquête

 

L’intervention du SPVQ a alimenté les discussions au congrès des membres du PLQ, qui se tenait en fin de semaine à Québec. La cheffe Dominique Anglade a réclamé la tenue d’une enquête indépendante sur les événements.

« Quand j’ai vu les images, j’ai trouvé ça excessivement choquant, excessivement troublant », a-t-elle déclaré à son arrivée à l’événement. Mme Anglade s’est dite incapable de dire si la situation relevait du profilage racial. « Je ne peux pas répondre à la question, c’est pour ça qu’on a besoin d’une enquête. Mais c’est sûr que ça soulève la question », a-t-elle fait valoir.

La cheffe libérale a ensuite déclaré qu’« il y a des actions qui doivent être entreprises pour être plus représentatif » dans les corps policiers. « Je pense que c’est toujours bon d’être représentatifs de la population, mais moi je [me demande] surtout, par rapport à ça : pourquoi on a besoin d’avoir ce type d’intervention, aussi brutale, dans ce genre de cas là ? », a-t-elle demandé.

Le député de Québec solidaire Gabriel Nadeau-Dubois a lui aussi partagé son indignation. « Ces images sont insupportables et choquantes. La lumière doit être faite sur ces événements. Tout le monde au Québec a le droit d’être traité avec dignité et respect par les policiers. Ce n’est pas ce que je vois dans cette vidéo », a-t-il écrit sur Twitter.

Au Parti québécois, la députée Méganne Perry Mélançon a exigé que « la lumière soit faite » sur cette affaire. « Les images choquantes d’une intervention policière menée par le SPVQ circulent présentement sur les réseaux sociaux », a-t-elle écrit sur Twitter.

La conseillère municipale de Limoilou et cheffe de Transition Québec, Jackie Smith, a une fois de plus réclamé la mise sur pied d’une commission publique sur le profilage et la discrimination sociale et raciale. « Le SPVQ ne reconnaît pas l’existence du profilage racial, et c’est un enjeu », a-t-elle écrit dans un communiqué transmis aux médias. « Reconnaître le problème, c’est se donner les premières bases pour agir », a-t-elle fait valoir. « Ce genre d’images, je ne veux tout simplement plus en voir. […] Je ne vous cacherai pas que j’ai eu de la misère à regarder ça… Ça me bouleverse chaque fois. »

Appels à la lutter contre le profilage racial à Québec

L’intervention musclée du Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) d’il y a quelques jours contre de jeunes Noirs doit entraîner de réels changements dans le corps policier, estiment certains. « J’ai été content que ça ait été filmé, lance l’historien et artiste Webster. Il y a beaucoup de choses à Québec ou ailleurs qui se passent et qui ne sont pas filmées. » Avec un certain agacement, il explique que cela fait une vingtaine d’années qu’il dénonce le profilage racial au sein du SPVQ. « On perd du temps à ne pas reconnaître le profilage racial, à ne pas reconnaître le racisme systémique, dit-il. On a des preuves jour après jour, semaine après semaine. » Le SPVQ a revu sa stratégie de recrutement en mai pour attirer davantage de candidats issus des minorités visibles. Mais il faudra faire plus, pense la Ligue des droits et libertés. « Ils ne pensent pas avoir besoin de s’attaquer de front au profilage racial », lance le porte-parole de Québec, Maxim Fortin. Sur une vidéo filmée par un témoin, un policier envoie de la neige avec sa botte sur le visage d’un adolescent de 17 ans maintenu au sol. Stéphane Wall, ancien policier du SPVM et expert en usage judicieux de la force, admet que ce geste n’était pas nécessaire. Mais il ajoute qu’il manque de détails concernant les événements qui ont mené à l’intervention policière et prévient qu’il faut faire attention avant de faire des amalgames. « Je reste prudent, mais on dirait un attroupement de gens à 3 h du matin, peut-être éméchés et qui ne collaborent peut-être pas trop », dit-il.

 

Anne-Marie Provost



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