Est-ce si facile de se procurer une arme à Montréal ?

Les pistolets de type Glock en polymère, faciles à se procurer et sans numéro de série, gagnent en popularité.
Photo: Art Brom Creative Commons Les pistolets de type Glock en polymère, faciles à se procurer et sans numéro de série, gagnent en popularité.

Le meurtre du jeune Thomas Trudel, 16 ans, dans le quartier Saint-Michel à Montréal, a choqué le Québec. L’adolescent marchait sur le trottoir pour rentrer chez lui, dimanche soir, quand une personne lui a tiré dessus pour des motifs encore inconnus. Ce drame qui s’ajoute à d’autres fait surgir la question de la facilité avec laquelle on peut se procurer des armes à feu, tandis que les autorités tentent de lutter contreleur circulation.

« Pourquoi on est rendus aujourd’hui, en 2021, avec des jeunes qui se procurent des armes à 16 ans, ou à 15 ans, ou à 18 ans ? » avait lancé devant les journalistes mardi le directeur du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), Sylvain Caron.

Une bonne partie de la réponse se trouve chez nos voisins du Sud. « Il y a de grands réseaux qu’on appelle des iron pipeline. Ça part du sud des États-Unis et ça remonte les grands axes routiers, et ça se retrouve entre autres au Québec, observe Francis Langlois, spécialiste en armes à feu et chercheur associé à l’Observatoire de la Chaire Raoul-Dandurand. À Toronto, de 80 à 85 % des armes saisies proviennent des États-Unis. »

Depuis le début de l’année, 567 armes ont été saisies sur le territoire montréalais. Le SPVM n’est pas en mesure de donner beaucoup de détails, par exemple de quels types d’armes il s’agit.

Le service de police a néanmoins précisé par courriel au Devoir que, d’après les observations de l’Équipe nationale de soutien à l’application de la Loi sur les armes à feu (ENSALA),« le nombre de saisies sur l’île de Montréal impliquant des pistolets fantômes fabriqués à partir de pièces imprimées en 3D serait marginal par rapport aux autres types d’armes à feu depuis l’apparition de ce mode de fabrication ».

Selon des intervenants, plusieurs armes arrivées des États-Unis transitent par des réserves autochtones, une question délicate. « La police n’a pas l’autorisation du gouvernement fédéral pour intervenir », mentionne André Gélinas, sergent-détective à la retraite du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

Beaucoup d’armes de poing circulent dans les rues. Les pistolets de type Glock en polymère, faciles à se procurer et sans numéro de série, gagnent en popularité. « Ces armes sont usinées, mais elles ne sont pas assemblées, et elles ne sont pas terminées. Elles sont complètes à 80 %  », explique Francis Langlois. Cela fait en sorte que, selon la loi américaine, elles ne sont pas considérées comme des armes, et le nombre de personnes qui en produisent a bondi depuis quelques années.

Ces « armes fantômes » causent des maux de tête aux forces de l’ordre parce qu’elles garantissent un certain anonymat. « On ne sait pas qui l’a produit et qui l’a acheté en premier », dit l’expert. En mars dernier, un Québécois a notamment été arrêté par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) avec 249 armes de ce type près de la frontière américaine.

André Gélinas ajoute que les réseaux font passer illégalement des armes à feu aux endroits les moins surveillés de la frontière. « On a la frontière limitrophe la plus grande entre deux pays au monde, et elle est non gardée, dit-il. Il peut en passer un peu partout. »

Sentiment de pouvoir

Se procurer une arme illégale n’est ensuite pas difficile pour les adolescents qui savent vers qui se tourner. « Quand quelqu’un gravite dans le monde du crime organisé, il sait qui aller voir et comment se la procurer. Et il a l’argent, c’est un monde lucratif », souligne André Gélinas, qui a travaillé à la division du renseignement du SPVM. La violence alimente la violence, et une arme à feu a une vie éphémère dans le monde interlope, ajoute-t-il, ce qui alimente la demande.

Pierreson Vaval, directeur d’Équipe RDP, un organisme qui intervient auprès des jeunes dans le nord-est de Montréal, mentionne que la violence est l’outil de prédilection pour cheminer et survivre dans certains milieux.

« Ce n’est pas naturel pour des jeunes d’avoir des armes, mais ce n’est pas naturel non plus pour des jeunes d’évoluer dans des milieux marginaux, parce qu’ils n’ont pas d’autres solutions adaptées à leur situation, estime-t-il. Le monde marginal ouvre grand ses portes pour les jeunes qui, depuis leur enfance, vivent dans la précarité et la vulnérabilité, et qui vivent des échecs successifs dans le processus d’enracinement à la collectivité. »

Beverly Jacques, directeur de DOD Basketball dans Saint-Léonard, ajoute qu’il y a un « trip de pouvoir ». « Il y en a qui disent que c’est pour se protéger. Et il y en a que c’est pour le pouvoir, pour la sensation que ça peut donner d’avoir la capacité de faire des choses comme ça à des gens », pense-t-il.

Des intervenants jeunesse à Montréal notent une plus grande présence d’armes sur des images publiées sur les réseaux sociaux et avancent qu’un plus grand nombre de situations de violence, souvent en lien avec des armes, leur sont rapportées.

 

Plus de prévention

 

Le ton a monté cette semaine contre le gouvernement fédéral pour qu’il en fasse davantage dans la lutte contre la circulation des armes à feu, notamment aux frontières. Et, en septembre dernier, Québec a lancé l’opération Centaure, une stratégie provinciale de lutte contre la violence liée aux armes à feu.

La réponse policière a toutefois ses limites pour contrer le phénomène de la violence armée, pensent plusieurs.

 

« Les moyens ne sont pas à lahauteur. Beaucoup de moyens sontdéployés pour la répression, et assez peu en prévention », note Vanessa Sykes Tremblay, directrice générale de Vivre Saint-Michel en santé. Le drame de dimanche a énormément choqué dans le quartier. Une rencontre pour discuter de ces questions a eu lieu vendredi avec les tables de quartier des arrondissements de Saint-Michel, Saint-Léonard, Montréal-Nord, Rivière-des-Prairies et Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.

Début novembre, la Coalition Pozé a de son côté demandé un investissement de 90 millions de dollars pour la prévention, la même somme investie par Québec dans l’escouade Centaure. « Il faut mettre en place des solutions pour les jeunes qui s’enfoncent dans la violence, développer des corridors d’opportunités pour qu’ils voient qu’il y a moyen de prendre sa place avec dignité dans la société », pense Pierreson Vaval.



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