Des intérêts québécois au coeur du débat sur l’avenir de la place de l’Ontario

Le Cirque du Soleil souhaite s’établir à long terme à la place de l’Ontario, un parc torontois similaire au parc Jean-Drapeau, a constaté Le Devoir. Le 6 octobre, un lobbyiste de l’entreprise québécoise s’est inscrit au registre de la province. Cette dernière a sélectionné cet été trois entreprises privées, dont la québécoise Écorécréo, qui se partageront une partie de la place de l’Ontario dans le cadre d’un réaménagement controversé du site au cours de la prochaine décennie.
La revitalisation du site provincial, jusqu’à aujourd’hui public, suscite des inquiétudes. Certains experts craignent que les consultations publiques sur le projet terminées le 28 octobre aient peu d’effets sur les plans de la province et des entreprises.
Selon son inscription au registre, le Cirque du Soleil tente de signer une entente à long terme avec l’Ontario Place Corporation — l’agence provinciale qui gère le site — pour « l’occupation de la place de l’Ontario, en attendant que le plan de revitalisation du secteur soit mis en œuvre ». Yan Plante, ancien chef de cabinet du conservateur Denis Lebel, a été embauché par l’entreprise pour faire valoir ses intérêts. Contacté par Le Devoir, le Cirque n’a pas voulu davantage commenter le dossier.
Le Cirque du Soleil s’installe habituellement tous les deux ans à Toronto. Mais il existe tout de même un précédent à l’intérêt d’une permanence torontoise : en 2013, le conglomérat américain MGM Resorts avait considéré l’idée de construire un casino sur la place d’Exhibition, qui fait face à la place de l’Ontario. Le Cirque du Soleil aurait été le principal partenaire de MGM Resorts.
Le réaménagement de la place de l’Ontario comprend l’arrivée d’Écorécréo, sélectionné au terme d’un processus d’appel de propositions lancé par la province, sans la participation de la Ville de Toronto. Connu à Montréal pour sa gestion d’activités telles que la location de quadricycles au Vieux-Port, Écorécréo compte construire un parc d’aventures à Toronto. Depuis l’annonce de la province au mois de juillet, la compagnie québécoise a embauché une firme d’architecture pour travailler sur une première version du plan du parc d’aventures, qui sera soumis à la province à la mi-2022, espère le copropriétaire Jean-Philippe Duchesneau.
L’entreprise souhaite que son projet torontois marque le début d’une percée dans le marché nord-américain. « Ça faisait six ans qu’on regardait pour un emplacement à Toronto », confie Jean-Philippe Duchesneau.
La compagnie québécoise sera accompagnée dans la transformation du site par l’entreprise de divertissement Live Nation et du géant autrichien Therme Group, qui planifie de construire un mégacomplexe aquatique. La plupart des installations du parc sont fermées depuis 2011 ; la province espère que la place de l’Ontario, presque 20 ans plus tard, deviendra une « destination touristique de choix ».
Débat sur la privatisation
Mais le passage au privé du site est critiqué par de nombreuses personnes depuis l’été. Le processus d’attribution des projets, sans consultation publique, l’est aussi. Après l’annonce de la sélection des entreprises en juillet, le gouvernement a lancé les consultations en ligne récemment terminées. La professeure d’architecture torontoise Aziza Chaouni, membre de la coalition The Future of Ontario Place Project, pense qu’elles n’auront « aucun impact important ». « On consulte la population alors que les compagnies ont déjà un plan d’affaires et qu’aucun changement ne sera possible », dit-elle.
Deux rencontres virtuelles organisées par la province, auxquelles Écorécréo a participé, ont aussi eu lieu en octobre. La présidente de l’organisme de conservation Architectural Conservancy of Ontario, Diane Chin, était présente à la dernière, le 27 octobre. Les trente minutes accordées aux questions, dit-elle, n’étaient pas suffisantes. « Ça me semblait plus être une réunion de marketing », soutient la présidente.
« Ça nous a fait plaisir de participer et d’entendre de la population leurs souhaits et leurs préoccupations », affirme de son côté Jean-Philippe Duchesneau. « On garde ça en tête », dit-il.
Les frais des différentes activités sur le site font entre autres partie des inquiétudes de la population. Elles coûteront au moins 13 à 14 $ l’heure dans l’espace de Écorécréo. En Europe, les complexes de l’entreprise Therme coûtent environ 30 $ par personne, au minimum.
Un patrimoine important
Inaugurée en 1971, la place de l’Ontario est inspirée de l’Exposition universelle de 1967, à Montréal. Comme dans la métropole québécoise, une sphère, dont la province réclame la préservation, surplombe le site. 40 ans après l’ouverture, le gouvernement libéral du premier ministre Dalton McGuinty a fermé le site, citant le peu de visiteurs et la dégradation des infrastructures.
La conception unique de la place de l’Ontario, réalisée dans la foulée du mouvement de mégastructures des années 1960, est toutefois chérie par Aziza Chaouni. Le site comprend deux îles artificielles, des canaux, une marina, une sphère, ainsi que des capsules sur pilotis ancrées dans le lac Ontario. « Beaucoup de ces mégastructures n’ont pas pu être construites [à travers le monde] parce que c’était souvent très ambitieux », explique-t-elle.
Vu la valeur patrimoniale du site reconnu en 2020 par le Fonds mondial pour les monuments, Diane Chin aurait aimé que la province prépare un plan de conservation stratégique avant de lancer l’appel de propositions. Cela aurait assuré la protection du patrimoine, souligne-t-elle. La province assure qu’elle suivra les normes et lignes directrices relatives à la conservation des biens à valeur patrimoniale de l’Ontario.
L’architecte torontois Ken Greenberg se demande aussi pourquoi l’organisme intergouvernemental Waterfront Toronto n’est pas impliqué dans la transformation. L’organisme chargé de la revitalisation du secteur riverain de Toronto dans son ensemble est l’un des « meilleurs dans sa catégorie au monde », dit-il.