Montréal versera 6 millions de dollars à des manifestants

Des centaines de personnes ont parfois été arrêtées par des agents du Service de police de la Ville de Montréal lors de manifestations qui visaient à dénoncer le règlement P-6 de la Ville.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Des centaines de personnes ont parfois été arrêtées par des agents du Service de police de la Ville de Montréal lors de manifestations qui visaient à dénoncer le règlement P-6 de la Ville.

Des manifestants derrière 16 actions collectives réclamaient plus de 53 millions dollars à la Ville de Montréal pour les arrestations massives effectuées par des agents de son corps de police pendant des manifestations survenues entre 2011 et 2015. Ils devront finalement se contenter de 6 millions de dollars.

C’est ce qui ressort d’une entente à l’amiable adoptée à huis clos par le comité exécutif de la Ville plus tôt cette semaine et qui doit maintenant recevoir l’aval d’un tribunal, a constaté Le Devoir.

La plupart des événements reprochés ont eu lieu entre le 15 mars 2011 et le 9 avril 2015. Plusieurs de ces manifestations visaient à dénoncer le règlement P-6 de la Ville, dont les deux articles les plus controversés ont été invalidés en 2016 par la Cour supérieure et la Cour d’appel. Ceux-ci concernaient l’interdiction de porter un masque pendant une manifestation et l’obligation de fournir un itinéraire aux forces de l’ordre avant une manifestation spontanée. La mairesse Valérie Plante a par la suite annoncé à l’automne 2019 l’abrogation pure et simple de ce règlement, au grand soulagement de nombreux organismes et militants contre la répression policière.

Des arrestations « traumatisantes »

Des centaines de personnes ont parfois été arrêtées par des agents du Service de police de la Ville de Montréal lors de certaines de ces manifestations et plusieurs ont été détenues pendant une nuit. Plus de 250 arrestations ont notamment eu lieu lors de la manifestation annuelle du 15 mars contre la brutalité policière, en 2011. Dans les années qui ont suivi, plusieurs mobilisations tenues à cette même date ont été déclarées illégales et réprimées par les forces de l’ordre quelques minutes seulement après avoir commencé.

Charles Carrier-Plante figure parmi les nombreux manifestants qui ont été arrêtés lors des manifestations du 15 mars tenues en 2014 et en 2015. Il était alors étudiant en sociologie à l’UQAM.

« J’ai été pris en encerclement en 2014 et 2015, raconte-t-il au Devoir. Il y avait énormément de policiers sur place dès le début de la manifestation et c’était entendu qu’on ne laissait pas les gens marcher dans la rue. »

M. Carrier-Plante a depuis rédigé un mémoire de maîtrise sur la judiciarisation des manifestants et est devenu enseignant de sociologie au Cégep du Vieux-Montréal. Mais quand il se remémore les « arrestations massives » des manifestations auxquelles il a participé à l’époque, il en a encore « des frissons ».

« Le fait de se faire arrêter dans un contexte comme celui-là où il y a une forte présence policière, c’est une situation traumatisante. Ça s’accompagne d’un stress important », souligne le Montréalais, qui a été arrêté pendant plusieurs heures avant de recevoir un constat d’infraction. La Ville reconnaît d’ailleurs elle-même la gravité des gestes posés.

« En plus des interpellations ou arrestations effectuées par les policiers, l’intervention lors de certains des événements en cause a aussi entraîné un prolongement de la détention lors du transport de personnes arrêtées vers un centre opérationnel », rappellent les documents décisionnels du comité exécutif.

Une maigre compensation

 

Ainsi, au fil des années, les poursuites se sont accumulées pour atteindre un dédommagement total réclamé de 53,5 millions de dollars destiné à plus de 3000 personnes qui auraient été victimes des gestes posés par des policiers de Montréal pendant divers événements. Les réclamations individuelles s’élevaient ainsi à environ 17 000 dollars en moyenne.

Afin d’éviter la tenue d’un ou de plusieurs procès qui auraient pu s’étirer dans le temps et coûter cher à la Ville, celle-ci a tenté en 2019 de tenir une conférence de règlement à l’amiable avec les différentes parties impliquées pour tenter de trouver une issue hors cour à ce dossier, en présence d’un ancien juge de la Cour supérieure. Ces deux jours de discussions n’avaient alors pas été fructueux.

Les discussions ont néanmoins repris par la suite pour mener, deux ans plus tard, à une entente hors Cour de 6 millions de dollars qui mettra fin à toutes ces actions collectives. Ce montant sera redistribué aux quelques milliers de personnes concernées par le cumul de ces actions collectives une fois que les frais d’avocats des poursuivants auront été remboursés à même cette cagnotte.

« C’est certain que six millions, c’est assez faible comme montant », laisse tomber Charles Carrier-Plante, qui se demande d’ailleurs si les montants qui seront versés à chacun des manifestants varieront « en fonction des conditions de détention qu’ils ont subies », étant donné que les pratiques du SPVM en la matière se sont adoucies au fil des années.

« Si l’objectif avait été de dédommager les citoyens à la hauteur des torts qu’ils ont subis, les montants offerts auraient été plus significatifs », ajoute-t-il.

La Ville s’engage d’autre part, dans cette entente, à diffuser pendant 90 jours sur son site web un texte d’excuse de trois paragraphes destiné aux manifestants qui auraient subi des gestes inappropriés de la part de la police de Montréal.

« Dans le cadre du règlement hors cour de 16 actions collectives pour lesquelles la Ville de Montréal est poursuivie dans ce contexte, celle-ci reconnaît que certains gestes posés par les forces policières et l’administration municipale à l’égard des participantes et participants aux manifestations visées par les présentes actions collectives ont porté atteinte à certains de leurs droits fondamentaux, leur causant ainsi des dommages. C’est pour cette raison que la Ville de Montréal offre publiquement ses excuses à toutes ces personnes », indique le texte.

Cette entente doit maintenant recevoir l’aval de la Cour supérieure avant d’être officiellement appliquée. Dans ce contexte, les avocats qui représentent les manifestants concernant n’ont pu commenter ce dossier.

« Le fait de se faire arrêter dans un contexte comme celui-là où il y a une forte présence policière, c’est une situation traumatisante. »

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