La validité des tests de plomb dans l’eau des écoles remise en question

Des experts contestent les données selon lesquelles 36% des fontaines et des robinets sont non conformes dans les écoles publiques. 
Photo: iStockphoto Des experts contestent les données selon lesquelles 36% des fontaines et des robinets sont non conformes dans les écoles publiques. 

Plus du tiers (36 %) des points d’eau dans les écoles publiques du Québec ont une teneur en plomb non conforme aux normes de Santé Canada, selon les données du ministère de l’Éducation. La méthode utilisée par le ministère pour détecter la présence de plomb dans l’eau potable est toutefois contestée par des scientifiques qui ont mis à l’épreuve les instruments de mesure acquis par Québec, a appris Le Devoir.

Le ministère de l’Éducation a rendu publiques vendredi après-midi des données sur les tests de détection du plomb dans l’eau des écoles, menés au cours des derniers mois. Le tiers (33 %) des fontaines ou des robinets des 2348 écoles primaires publiques seraient non conformes. Dans les 845 écoles secondaires, cette proportion atteint 43 %. La moyenne de tests non conformes est ainsi de 36 % pour l’ensemble des écoles publiques.

Près du tiers des fontaines désignées comme problématiques ont été corrigées, notamment par l’ajout de filtres à eau, a précisé au Devoir Marc Sirois, sous-ministre associé au ministère de l’Éducation. Les autres points d’eau jugés non conformes ont été fermés et le resteront jusqu’à ce qu’ils fassent l’objet de travaux.

La validité des tests est toutefois mise en doute par une nouvelle étude portant sur l’efficacité de l’appareil utilisé pour détecter le plomb dans l’eau des écoles. Cet instrument, l’analyseur Palintest Kemio, a été acquis sans appel d’offres au coût de 1,7 million de dollars par le ministère de l’Éducation en décembre 2019.

L’Ordre des chimistes s’est toujours opposé au recours à cet appareil portatif, considéré comme moins fiable que les analyses menées en laboratoire avec un instrument de type ICP-MS, sous la supervision de professionnels.

Pour en avoir le cœur net, des scientifiques de la Ville de Québec ont décidé de comparer les deux méthodes. Ils ont analysé à l’aide des deux types d’instruments 1490 échantillons d’eau prélevés en 2020 dans 240 bâtiments municipaux. Ils ont comparé la teneur en plomb dans l’eau révélée par les deux méthodes.

Selon ce que Le Devoir a appris, près de 43 % des résultats obtenus avec l’appareil portatif Kemio sont « significativement différents » de ceux générés par les analyses faites en laboratoire : 22 % des mesures données par l’instrument surestimaient la présence de plomb dans l’eau, tandis que 20 % la sous-estimaient.

Autre fait jugé préoccupant, 11 % des données obtenues à l’aide du Kemio sont jugées « aberrantes » parce que trop éloignées de la moyenne des résultats.

Mise en garde

 

Ces données inquiètent François Proulx, professeur associé à la Chaire de recherche en eau potable de l’Université Laval et conseiller scientifique à la Ville de Québec. Il est coauteur de cette étude sur la fiabilité du Kemio. Pour lui, la mesure du plomb dans l’eau avec cet appareil utilisé dans les écoles « n’est pas fiable ».

« Ça ne veut pas dire que ces appareils-là, il ne faut pas les utiliser. Il faut les utiliser avec discernement et précaution », explique le professeur, qui a plus de 30 ans d’expérience dans le domaine de l’eau potable.

Il recommande de faire valider en laboratoire tous les tests menés avec l’appareil Kemio qui concluent à l’absence de contamination au plomb dans l’eau des écoles. Il existe un risque que ces tests soient de « faux négatifs », indiquant à tort une eau propre. « Un faux négatif, c’est la pire chose : on dit que tout va bien et on ferme le dossier » , explique François Proulx, qui est aussi membre du conseil d’administration de l’Ordre des chimistes.

Cet ordre professionnel souligne que l’appareil Kemio détecte uniquement le plomb dissous dans l’eau. Il est pourtant fréquent que l’eau potable soit contaminée par des particules de ce métal toxique détectables en laboratoire.

En raison de cette fiabilité incertaine, le ministère de l’Éducation a permis aux centres de services scolaires de faire faire à leurs frais les tests de détection du plomb dans l’eau par des firmes d’ingénierie. Le Centre de services scolaire de Montréal a choisi cette méthode plus fiable. Selon nos informations, la majorité des centres de services ont opté pour le dépistage mené à l’aide de l’appareil portatif Kemio.

« Les points d’eau qui ont été déclarés conformes avec l’instrument portable, ça ne me rassure pas. Ça ne veut rien dire pour moi », affirme Michel Alsayegh, président de l’Ordre des chimistes.

Québec a choisi l’appareil Kemio pour des raisons fort simples, explique la professeure Michèle Prévost, titulaire de la Chaire industrielle en eau potable à Polytechnique Montréal : « On cherchait un appareil qui allait permettre de faire des mesures rapidement et pas cher. […] Le ministère a demandé que ce soit fait en moins d’un an. Il n’y avait même pas de laboratoire en région pour faire ça. Certains laboratoires n’étaient pas agréés pour mesurer en bas de 10 [mg/l]. Le ministre était coincé et il a bougé vite, moi j’étais contente. »

La professeure préside un comité d’experts chargé de conseiller le ministère de l’Éducation sur le dépistage du plomb dans l’eau. C’est elle qui a recommandé l’acquisition du Kemio. Elle rappelle que Le Devoir avait publié en 2019 une enquête fouillée sur la présence de plomb dans l’eau potable.

« Les parents étaient très inquiets. Il y avait une pression pour que ça se fasse de façon rapide », explique-t-elle.

« Un débat de spécialistes »

Michèle Prévost déplore l’attitude de l’Ordre des chimistes, qui agit par corporatisme dans ce dossier, selon elle. L’Ordre s’en défend bien. « Ils me haïssent, ils sont en guerre contre moi, c’est devenu personnel, dit-elle. Ils font peur inutilement aux parents. Ce n’est vraiment pas correct. »

Michèle Prévost reconnaît que l’appareil Kemio est moins précis que l’instrument ICP-MS utilisé en laboratoire, mais l’important était de dépister rapidement la présence de plomb dans l’eau — et non de déterminer sa valeur exacte — pour condamner les fontaines non conformes, selon elle.

Cet instrument est utilisé couramment pour mesurer le plomb dans les entrées résidentielles d’eau potable, souligne la professeure. Le sous-ministre associé du ministère de l’Éducation, Marc Sirois, rappelle de son côté que le Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec a déterminé au début de 2020 que l’appareil Kemio était adéquat pour faire du dépistage de plomb dans l’eau.

« C’est un débat de spécialistes entre Mme Prévost et l’Ordre des chimistes. Moi je me réfère vraiment à mon comité d’experts. J’ai confiance en Mme Prévost », dit Marc Sirois.

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