Des experts réclament la reconnaissance de la pluriparentalité

«La Saskatchewan est plus avancée que nous. Je ne peux pas accepter ça!» lance Mona Greenbaum. La directrice de la Coalition des familles LGBT+ fait partie de ceux qui auraient voulu que Québec reconnaisse la pluriparentalité dans sa réforme du droit de la famille.
Selon elle, le phénomène de la pluriparentalité - ou le fait pour un enfant d’avoir trois ou quatre parents - va s’accentuer dans les prochaines années, si bien que trois autres provinces canadiennes (l’Ontario, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan) l’ont déjà reconnu dans leurs lois.
Couple de lesbiennes avec ami donneur de sperme, couple gai avec gestatrice, couple hétérosexuel infertile qui décide de fonder une famille à trois, les exemples sont nombreux. «Ils existent», dit Mona Greenbaum, d’où l’importance de les reconnaître dans la loi pour protéger leurs enfants.
En cas de conflit, «pour la garde, les deux parents légaux peuvent bloquer l’accès à l’enfant complètement, mais aussi le (troisième) parent n’a pas d’obligations légales, donc ça fragilise beaucoup l’enfant de ne pas avoir sa famille légalement reconnue et encadrée», a-t-elle illustré.
En présentant jeudi le projet de loi 2 réformant le droit de la famille, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déclaré que «la famille québécoise et ses besoins ont beaucoup changé au cours des dernières décennies; la société évolue et cela doit se refléter dans le droit».
Mais il a ajouté du même souffle que «pour nous, c’est très clair que la cellule familiale comporte deux parents seulement». Mona Greenbaum y voit là une sorte de double discours.
«Simon Jolin-Barrette est en train de se complimenter d’avoir fait quelque chose de tellement progressiste, (...) mais on est en arrière de trois autres provinces canadiennes qui ont trouvé des solutions pour ça, qui ont protégé les enfants avec des lois», a-t-elle souligné en entrevue.
Pour elle, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) a fait du «rattrapage» avec sa réforme, mais a manqué de «courage» lorsqu’est venu le temps d’en faire plus pour les familles du Québec. Le besoin de plaire à une base électorale plus traditionnelle n’y est probablement pas étranger, reflète-t-elle.
Même déception du côté d’Isabel Côté, professeure à l’Université du Québec en Outaouais, et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la procréation par autrui et les liens familiaux. «J’aurais aimé qu’on aille plus loin, dit-elle. On aurait pu faire le pas supplémentaire et aller vers une pluriparenté comme en Ontario.»
L’experte ne peut s’empêcher d’observer que l’«on réfléchit d’une façon hétéronormative. (...) C’est vraiment la force du modèle euro-américain de parenté qui présume que les enfants ont deux parents. Évidemment, le schéma biparental est vraiment très fort dans nos représentations sociales».
Pourtant, affirme-t-elle, la famille pluriparentale d’aujourd’hui naît, dans la vaste majorité des cas, d’une réflexion extrêmement poussée, les parents allant même jusqu’à discuter de l’école voulue pour le petit avant même sa conception. Dans les autres provinces, «jusqu’à présent, on n’a pas décelé de difficultés liées à ce mode-là».
«Un virage décisif»
Celui qui agit à titre de conseiller spécial du ministre dans ce dossier, l’auteur du rapport «Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales», le professeur Alain Roy, plaide que le gouvernement a entrepris avec sa réforme un «virage décisif vers l’avenir».
«Je salue le courage et la détermination du ministre de la Justice qui n’a pas hésité à s’atteler à l’imposant chantier que représente la réforme du droit de la famille en dépit des enjeux sociaux délicats et sensibles qu’il soulève», a-t-il indiqué dans une déclaration écrite transmise à La Presse Canadienne.
Le volumineux projet de loi 2 reconnaît et encadre en outre le recours aux mères porteuses, ce qui était fort attendu - huit provinces l’ont déjà fait -, en plus d’enchâsser dans la Charte des droits et libertés un nouveau droit à la connaissance des origines.
Là aussi la professeure Côté voit quelque chose à corriger. À son avis, Québec ne devrait pas permettre à la mère porteuse de réfléchir après l’accouchement à la possibilité de garder son lien de filiation avec l’enfant. Elle estime que cela créera des tensions avec les parents d’intention, au lieu de souder la famille.
Mais c’est un autre élément du projet de loi qui a fait bondir la juriste Florence Ashley Paré, doctorante à l’Université de Toronto: une personne ne pourra changer son marqueur de sexe sur son acte de naissance que si elle a obtenu une chirurgie pour modifier ses organes génitaux.
Pour les autres, le projet de loi prévoit la possibilité d’avoir une identité de genre différente du marqueur de sexe. En d’autres mots, on «expose» toute personne qui n’a pas eu de chirurgie, s’inquiète Mme Paré, elle-même une personne trans. Sur les réseaux sociaux, la communauté LGBT+ est en «mode panique», relate-t-elle.
«Ça créerait au Québec la situation la plus régressive de l’ensemble du Canada. (...) On est vraiment dans une situation où une personne pourrait avoir une chirurgie qu’elle ne voulait pas autrement pour satisfaire au prérequis que le gouvernement vient de créer.»
Sur la question de la pluriparentalité, «le Québec se démarque par son manque d’ouverture», estime par ailleurs Mme Paré.
«Je suis assez déçue, laisse-t-elle tomber. Ça me donne vraiment moins le goût de retourner au Québec.»
Le projet de loi 2 fera l’objet de consultations publiques et sera étudié article par article avant son adoption. Le gouvernement Legault a déjà annoncé son intention de déposer éventuellement un deuxième volet à sa réforme du droit de la famille, sur le thème de la conjugalité.
Le droit familial québécois n’a pas été révisé depuis les années 1980.