Logements sociaux: un règlement sur la mixité qui laisse perplexe

Le Règlement pour une métropole mixte est-il la solution à la pénurie de logements sociaux à Montréal ? Bien que l’administration de Valérie Plante prétende désormais disposer des leviers suffisants pour convaincre les promoteurs immobiliers d’inclure des logements sociaux dans leurs projets, des experts en habitation en doutent. Troisième et dernier texte de notre série.
De nombreuses occasions d’inclure des logements sociaux dans des projets immobiliers d’envergure réalisés dans divers quartiers centraux de la métropole ont été perdues au cours de la dernière décennie, en partie en raison de la propension des promoteurs à remettre des compensations financières à la Ville plutôt que d’intégrer des logements sociaux à leurs projets.
« La stratégie d’inclusion a quand même donné des résultats », assure néanmoins le responsable de l’habitation au comité exécutif, Robert Beaudry, en référence à l’ancienne politique de la Ville en matière de logements sociaux adoptée en 2005, puis mise à jour en 2015.
La Ville fait notamment état de la réalisation de 29 projets de logements sociaux dits « clé en main » depuis 2012 par des promoteurs immobiliers qui ont collaboré avec des groupes de ressources techniques dans le cadre de cette stratégie. Ces projets totalisent 2075 unités qui ont été livrées en partie depuis, tandis que plusieurs ententes sont « déjà en discussion » en lien avec des projets assujettis au nouveau Règlement pour une métropole mixte, indique la Ville.
M. Beaudry précise que dans son nouveau règlement d’inclusion, l’administration municipale a revu à la hausse les compensations exigées aux promoteurs qui refusent d’inclure 20 % de logements sociaux dans leurs projets immobiliers afin de les rendre « dissuasives ». Elle espère ainsi amasser environ 13,7 millions de dollars par année.
« En fin de compte, c’est plus intéressant financièrement pour les promoteurs de faire de la place pour du logement social ou abordable [dans leurs projets immobiliers] » que de remettre une compensation à la Ville, affirme ainsi l’élu de Projet Montréal. Mais plusieurs experts consultés par Le Devoir sont sceptiques.
« Je ne crois pas que [les compensations] seront dissuasives pour faire de l’inclusion sur site », surtout dans les grands projets immobiliers, lance la professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et spécialiste en matière de logement Hélène Bélanger. « Dans le règlement, on privilégie la compensation financière dans bien des cas, donc ça va continuer », analyse-t-elle.
Bilan de la stratégie d’inclusion de la Ville de Montréal
Mandat de Valérie Plante (données de janvier 2018 à août 2021)
Logements sociaux et communautaires : 1407 unités ont fait l’objet d’engagements de promoteurs immobiliers dans le cadre de cette stratégie depuis 2018, mais « il est encore trop tôt pour récolter les fruits en matière d’unités construites », indique la Ville.
Valérie Plante a aussi promis en 2018 la réalisation de 6000 logements sociaux d’ici la fin de 2021, financée notamment par Québec et Ottawa. De ces unités promises, 1082 ont été entièrement construites et sont actuellement occupées.
Logements abordables privés : Sur les 1293 unités mises en chantier, 155 ont été entièrement construites depuis 2018 grâce au volet abordable de l’ancienne stratégie d’inclusion.
Mandat de Denis Coderre (données de janvier 2014 à août 2017)
Logements sociaux et communautaires : Les ententes conclues avec des promoteurs selon l’ancienne stratégie d’inclusion prévoyaient la construction de 1240 unités. De ce nombre, 558 unités ont été construites à ce jour ; les autres sont à diverses étapes d’approbation des programmes AccèsLogis Québec et AccèsLogis Montréal.
Logements abordables privés : 314 unités ont été construites pendant cette période.
Source : Ville de Montréal
Une question de financement
La Ville a également fait l’acquisition depuis 2018 de plus d’une vingtaine de terrains et de bâtiments sur lesquels elle avait réservé son droit de préemption, qui lui donne la priorité d’achat sur des sites mis en vente. Ceux-ci représentent un potentiel de développement de 1447 logements sociaux.
Des promoteurs ont aussi cédé à la Ville, en échange d’une contrepartie financière, 16 terrains situés dans sept arrondissements depuis 2010, en vertu de son ancienne stratégie d’inclusion.
Afin que des logements sociaux voient le jour sur ces terrains, encore faut-il que la Ville et les organismes communautaires auxquels elle revend ceux-ci au rabais aient les moyens et la capacité d’y ériger des unités, soulève le professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal Jean-Philippe Meloche.
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« Ils mettent des terrains en réserve, mais ils n’ont pas les moyens ensuite de construire », relève également le professeur à l’École de travail social de l’UQAM et spécialiste en matière de logement Louis Gaudreau, en référence à la Ville.
Le financement des logements sociaux provient d’ailleurs principalement des gouvernements fédéral et provincial. Or, « je me demande pourquoi on ne se fait pas inviter quand il y a des rencontres entre Québec et Ottawa » en matière d’habitation, lance au Devoir l’aspirant maire Denis Coderre, qui a été au pouvoir de 2013 à 2017.
M. Coderre déplore ainsi que Montréal ne soit pas davantage présent à la « table des négociations » entre les deux principaux ordres de gouvernement quant au financement du logement social. Québec et Ottawa ont notamment conclu l’an dernier une entente de principe de près de 3,7 milliards de dollars sur 10 ans, entre autres pour rénover des habitations à loyer modique actuellement barricadées en raison de leur piètre état. L’Office municipal d’habitation de Montréal a d’ailleurs reçu 100 millions de dollars provenant de cette enveloppe en mai dernier afin de rénover 517 logements à loyer modique dans la métropole.
Accélérer la cadence
Dans son rapport annuel de 2018, la vérificatrice générale de la Ville de Montréal, Michèle Galipeau, déplorait pour sa part un manque de « reddition de comptes » quant aux projets de logements sociaux et abordables lancés dans la métropole qui ont véritablement été achevés, parmi ceux promis par l’administration de Valérie Plante.
« Est-ce qu’il y a une problématique pourquoi c’est plus long à Montréal [pour réaliser des projets de logements sociaux] ? » se questionnait la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation, Andrée Laforest, en entrevue au Devoir au début du mois de septembre. Celle-ci assure discuter « souvent » avec la mairesse Plante afin de trouver un moyen que les unités tant attendues « se construisent plus rapidement ».
Pour ce qui est du financement du logement social, la ministre se targue d’avoir réalisé jusqu’à maintenant 7000 des 15 000 unités promises par le précédent gouvernement provincial, mais jamais livrées. « C’est bon, avec la pandémie qu’on a vécue », avance Mme Laforest, tout en reconnaissant qu’il faudra en faire plus pour répondre à la demande, à Montréal comme ailleurs dans la province.
« Je ne me mets pas la tête dans le sable parce que oui, il faut augmenter l’offre », concède la ministre, au moment où la question du coût du logement et de l’accès à la propriété s’est imposée comme l’enjeu numéro un des électeurs montréalais pour la campagne municipale en cours.
« Il n’y aura pas de free for all »
Le chef d’Ensemble Montréal, Denis Coderre, craint que le nouveau règlement d’inclusion de la Ville ait pour effet d’inciter des promoteurs à quitter Montréal pour d’autres villes de la région métropolitaine, où les exigences en matière de logements sociaux sont plus souples.
« Si Laval n’a pas de contraintes de construction et que Montréal en a, les promoteurs vont aller à Laval », résume le professeur Jean-Philippe Meloche. Une situation qui risque « d’exacerber » la crise du logement dans la métropole, prévient-il.
« C’est un problème de politique réelle d’habitation et du rôle que la métropole peut jouer et qu’elle ne joue pas. Et qu’est-ce que ça crée, ça ? Ça crée de l’exode, de l’étalement urbain et au bout de la ligne, il y a encore plus de précarité », lance Denis Coderre.
S’il est élu au pouvoir en novembre, le candidat à la mairie propose d’abolir le Règlement pour une métropole mixte et de travailler à remplacer celui-ci par une politique d’inclusion qui s’appliquerait idéalement à l’ensemble des 82 municipalités de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) et qui obligerait les promoteurs immobiliers à inclure 15 % de logements sociaux dans leurs projets de 25 unités et plus. L’option de la compensation financière demeurerait.
« Il faut assurer qu’on ait une réglementation qui va nous permettre d’avoir les moyens de nos ambitions. Mais on a un rôle à jouer. Il n’y aura pas de free for all », assure le chef d’Ensemble Montréal, qui promet s’il est élu de réaliser 50 000 logements de tous types d’ici quatre ans, dont 10 000 unités sociales.
Jean-Philippe Meloche doute cependant, comme l’affirme M. Coderre, que la Ville de Montréal soit en mesure d’utiliser son rôle privilégié au sein de la CMM pour convaincre ses membres d’aller de l’avant avec un règlement d’inclusion commun.
« La CMM, c’est une coquille vide » d’un point de vue décisionnel, laisse tomber l’expert, qui croit plutôt que ce serait à Québec de « forcer la main » aux municipalités membres de cette instance afin qu’elles s’entendent sur une stratégie d’inclusion commune en matière de logements sociaux.
Une option que rejette d’emblée la ministre Andrée Laforest, en évoquant des besoins en matière de logements sociaux qui diffèrent entre les grandes villes et les plus petites municipalités de la grande région métropolitaine.
« Ce que je peux dire, c’est que d’après moi, on ne pourrait pas étendre ça [le règlement d’inclusion de la Ville de Montréal] à la grandeur de la CMM parce que c’est quand même considérable et que ce ne sont pas tous les promoteurs qui sont à l’aise avec ça non plus », estime-t-elle.