Une cinquième femme poursuit Gilbert Rozon au civil

Une cinquième femme intente une poursuite au civil contre l’ex-magnat de l’humour Gilbert Rozon. Anne-Marie Charette, qui a fait partie du regroupement Les Courageuses, lui réclame près de 1,3 million de dollars et l’accuse de l’avoir séquestrée et agressée sexuellement en 1987 en plein quart de travail.

« [Gilbert Rozon] a abusé de son pouvoir pour profiter de la situation précaire [d’Anne-Marie Charette]. Il connaissait le degré d’influence qu’il avait et il savait qu’il pouvait agir en toute impunité », peut-on lire dans la requête déposée jeudi au palais de justice de Montréal.

Anne-Marie Charette a connu Gilbert Rozon au travail. Le groupe d’humoristes Les monstres de l’humour, pour lequel elle travaillait, partageait les mêmes bureaux que Juste pour rire.

Elle l’a dénoncé pour la première fois dans la foulée du mouvement #MoiAussi qui a déferlé en octobre 2017. Elle fait partie des neuf femmes qui ont raconté à l’époque les agressions qu’elles ont subies de la part de Gilbert Rozon au Devoir ainsi qu’au 98,5 FM.

« Dès [son] arrivée dans l’équipe, [Gilbert Rozon] lui signifiait une attention particulière, et la complimentait régulièrement. Il passait souvent près de son espace de travail pour venir lui parler, même si son bureau n’était pas dans le même coin », mentionne-t-elle dans sa requête.

Elle souligne avoir d’abord été « flattée » par l’attention que lui accordait Gilbert Rozon, mais l’insistance de ses remarques, qui sont devenues « déplacées et désagréables », l’ont rendue inconfortable.

Piégée

 

Anne-Marie Charette allègue avoir été piégée par l’ex-magnat de l’humour en juillet 1987 pendant le festival Juste pour rire. Elle soutient que Gilbert Rozon l’a contactée directement par téléphone au bureau et a prétexté avoir besoin qu’elle lui apporte un dossier pour l’agresser sexuellement.

« Pendant le festival, on louait des chambres à l’Hôtel du Parc pour les artistes. Ça nous arrivait de devoir nous déplacer entre les deux lieux », avait-elle expliqué au Devoir en 2017.

Puisque Gilbert Rozon n’était pas son supérieur immédiat, elle lui a dit qu’elle était trop occupée et a refusé de se déplacer. Celui-ci aurait alors rappelé à plusieurs reprises, devenant chaque fois de plus en plus autoritaire. Lors d’un appel, Anne-Marie Charette lui aurait répondu savoir « ce qu’il cherche ». « [Gilbert Rozon] lui dit alors qu’il est son boss et lui fait comprendre qu’elle pourrait perdre son emploi si elle ne vient pas », peut-on lire dans le document.

Prise de panique, la femme, qui était âgée de 25 ans à l’époque, s’adresse à son patron, Richard Bleau, et lui demande si elle doit se rendre à l’hôtel. Elle décrit s’y être rendue la peur au ventre après que ce dernier lui a répondu : « C’est Gilbert qui le demande. »

Lorsqu’elle cogne à la porte de la chambre pour lui remettre le dossier, Gilbert Rozon la fait entrer et verrouille la porte. « Tout se passe très vite. [Il] la pousse sur le lit et se jette sur elle », est-il mentionné.

Le début de l’agression est décrit par Anne-Marie Charette comme une scène « au ralenti ». « Son sac tombe par terre à sa gauche proche du lit, [Gilbert Rozon] est sur elle, son regard de prédateur, de fou, la surplombe. Il la touche et tente de retirer ses vêtements. »

La femme confie ne pas se rappeler des termes exacts utilisés, mais assure avoir manifesté son refus. « [Elle] ne se souvient pas ce qui s’est passé ensuite sur le lit », peut-on lire. Elle se remémore cependant avoir eu à déverrouiller la porte pour sortir de la chambre et que ses vêtements étaient désordonnés. En sortant de l’hôtel, l’idée de se rendre au poste de police lui a traversé l’esprit. « Elle ne le fait pas, à cause du statut de [Gilbert Rozon] et de peur qu’on ne la croie pas. »

Anne-Marie Charette a été congédiée quelques semaines plus tard et estime que c’est le résultat de ses refus de répondre aux avances de Gilbert Rozon. Jusqu’en 2017, elle mentionne s’être blâmée pour ce qui s’était passé et ne voulait pas en parler à son entourage.

Pour tous les torts subis, elle réclame près de 1,3 million de dollars en dommages compensatoires et punitifs à M. Rozon, déplorant le fait qu’il nie les agissements allégués et qu’il n’exprime « aucun remords ».

Cinquième poursuite civile

 

Anne-Marie Charette était parmi les 14 femmes qui ont porté plainte à la police dans la foulée du mouvement #MoiAussi, en octobre 2017. Sa plainte a été rejetée par le Directeur des poursuites criminelles et pénales un an plus tard.

Elle était aussi une des membres des Courageuses, ce regroupement d’une vingtaine de femmes affirmant avoir été agressées par Gilbert Rozon entre 1982 et 2016. La force du nombre n’a cependant pas réussi à ébranler les colonnes de la justice : la Cour suprême a rejeté en novembre dernier leur requête d’appel, ce qui a mis fin à leur démarche.

Elle emboîte ainsi le pas à la comédienne Patricia Tulasne, qui est devenue le 15 avril la première femme à intenter individuellement une poursuite civile contre lui, pour 1,6 million de dollars, ainsi qu’à la réalisatrice Lyne Charlebois, qui lui réclame 1,7 million, à l’artiste Danie Frenette, qui demande 2,2 millions, et à la plaignante Annick Charette, qui lui réclame 1,3 million.

Gilbert Rozon a, de son côté, nié avoir agressé sexuellement la comédienne Patricia Tulasne, et il la poursuit à son tour pour 150 000 $. Il soutient avoir eu plutôt une relation intime « passionnelle » et « consentante » avec elle.

Il a également intenté en octobre 2020 une poursuite en diffamation de 450 000 $ contre les animatrices Julie Snyder et Pénélope McQuade, qui sont toutes deux revenues, à l’émission La semaine des 4 Julie, sur ce qu’elles ont vécu.

Le fondateur de Juste pour rire a été acquitté en décembre dernier au terme de son procès criminel pour le viol présumé d’Annick Charette. Le procès se penchait sur des événements survenus il y a 40 ans à Saint-Sauveur, dans les Laurentides.

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