Une «francophobie» émerge à l’Université d’Ottawa
![«Le fonctionnement de [l'Université d'Ottawa] serait jalonné d'incidents multiples où les droits des francophones, au mieux, suscitent l'indifférence et font l'objet de railleries, et au pire, sont carrément bafoués», peut-on lire dans le rapport.](https://media2.ledevoir.com/images_galerie/nwd_1013295_822663/image.jpg)
Des membres de la communauté francophone de l’Université d’Ottawa demandent à l’établissement postsecondaire bilingue de passer de la parole aux actes après la publication d’un deuxième rapport en presque autant d’années sur le peu d’égards à l’endroit du français.
Le rapport Renouveau de la francophonie à l’Université d’Ottawa : une responsabilité collective est le fruit de consultations menées auprès de plus de 400 participants depuis mars dernier. L’initiative avait été enclenchée après que le professeur Amir Attaran eut qualifié le Québec d’« Alabama du Nord » à la culture raciste. Pressé par plusieurs membres de la francophonie canadienne, le recteur, Jacques Frémont, avait alors demandé au vice-recteur à l’international et à la Francophonie, Sanni Yaya, d’engager un dialogue avec la communauté universitaire.
Selon les témoignages rapportés, une certaine « francophobie » émerge sur le campus de l’Université d’Ottawa, qui compte 13 000 étudiants francophones sur 45 000. Le français « fait parfois l’objet d’une certaine hostilité », ce qui exacerbe « les sensibilités et fragilise les efforts de préservation de certains acquis en matière de francophonie institutionnelle », note le document.
« Certains perçoivent encore le fait français à l’Université d’Ottawa comme un luxe et le fonctionnement de l’institution serait jalonné d’incidents multiples où les droits des francophones, au mieux, suscitent l’indifférence et font l’objet de railleries, et au pire, sont carrément bafoués », peut-on lire dans le document.
Plusieurs mécanismes doivent en principe protéger la place du français au sein de l’établissement. La Loi de l’Université d’Ottawa, adoptée en 1965 à Queen’s Park, inscrit d’ailleurs « le développement du bilinguisme » parmi ses objectifs fondateurs. L’université, dont les services en français sont partiellement protégés par la Loi sur les services en français de l’Ontario, est aussi dotée d’un règlement officiel sur le bilinguisme. Mais ces outils ne sont pas suffisants pour prévenir le malaise.
Alors que les auteurs du rapport se contentent de proposer la tenue d’autres consultations pour « donner une suite concrète à plusieurs de [ses] idées phares », de nombreux membres de la communauté universitaire francophone demandent un plan clair. « Les conclusions ne sont pas bien articulées », estime le professeur de génie Iluju Kiringa. « On est dans l’urgence d’agir », affirme Phyllis Dalley, professeure à la Faculté d’éducation.
« Les administrateurs doivent dire : “On a un plan d’action approuvé. Là, il faut le mettre en œuvre” », lance de son côté la professeure émérite Linda Cardinal.
On est dans l'urgence d'agir.
Un deuxième rapport en un peu plus de deux ans
Une série de mesures avaient déjà été proposées en 2019 par la professeure Cardinal dans son rapport Une responsabilité collective : plan d’action pour la francophonie à l’Université d’Ottawa, mais à ce jour, seulement 19 % d’entre elles ont été mises en œuvre. Le rapport récemment publié n’a « pas beaucoup de différences avec mon plan », constate d’ailleurs cette dernière.
Les défis auxquels font face les francophones sur le campus ottavien étaient déjà connus sur le terrain. Au moins, « on n’a pas essayé de camoufler les problèmes », salue toutefois Mathieu Laflamme, étudiant au doctorat et membre de la Commission permanente des affaires francophones de l’université pendant six ans.
Mais si les professeurs et étudiants sont au courant des problèmes, le rapport révèle que les hautes sphères ne le sont peut-être pas autant. « De nombreux membres de la haute direction ne semblent toujours pas conscients de leurs responsabilités [envers la francophonie] », peut-on y lire.
« Je ne suis pas sûr que les doyens et doyennes connaissent bien le Règlement sur le bilinguisme et l’appliquent au jour le jour dans la gestion de leur faculté », commente le professeur François Larocque, de la Faculté de droit.
Ce règlement octroie plusieurs droits aux étudiants francophones, comme celui de rédiger leurs travaux et de répondre aux questions d’examen dans leur langue, en toutes circonstances. Certains professeurs y contreviendraient, selon le rapport.
Encore peu d’échos
Le document a fait couler beaucoup d’encre depuis le 28 septembre, quand ONFR+ a dévoilé pour la première fois son contenu, mais certains acteurs influents de l’Ontario français et du monde universitaire ontarien n’y ont toujours pas jeté un œil.
« Je n’ai pas pris connaissance du rapport et ne peux pas le commenter », a répondu par courriel Marc Joyal, coprésident de la Commission permanente des affaires francophones de l’Université d’Ottawa de 2012 à 2019 et vice-recteur aux ressources pendant ces mêmes années. « Je n’ai pas lu ce rapport », a affirmé lui aussi David Graham, vice-recteur aux affaires académiques, deuxième poste en importance de l’Université, de 2017 à 2019.
Madeleine Meilleur, qui était ministre des Affaires francophones de l’Ontario en 2015, quand l’Université d’Ottawa a obtenu une désignation partielle en vertu de la Loi sur les services en français, a également décliné une demande d’entrevue puisqu’elle n’avait pas pris connaissance du document.
« L’université entend donner suite à ce rapport et communiquera prochainement avec sa communauté sur les moyens qu’elle prendra pour y parvenir », dit pour sa part une porte-parole de l’établissement.