Quel avenir pour le populisme au Canada?

«Le discours de défaite de Maxime Bernier, par exemple, était très révélateur et contenait beaucoup de caractéristiques du populisme», explique Katryne Villeneuve-Siconnelly.
Photo: Chris Young La Presse canadienne «Le discours de défaite de Maxime Bernier, par exemple, était très révélateur et contenait beaucoup de caractéristiques du populisme», explique Katryne Villeneuve-Siconnelly.

La croissance des votes récoltés par le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier aux dernières élections fédérales en a surpris plusieurs. Mais comment l’interpréter ? Et que laisse-t-elle présager ? Le Devoir s’est entretenu avec Katryne Villeneuve-Siconnelly, doctorante en science politique à l’Université Laval, dont les recherches portent sur le populisme au pays. Propos recueillis pas Isabelle Porter.

Le Parti populaire du Canada (PPC) a récolté 5 % des votes aux dernières élections, comparativement à 1,6 % au scrutin précédent. Cette croissance est-elle appelée à se poursuivre ?

Plusieurs élections seront encore nécessaires pour savoir s’il s’agit d’un feu de paille ou si cette tendance s’inscrit dans la durée. Il faut dire que ce n’est pas la première fois qu’un parti populiste s’insère dans la politique canadienne. Il y a eu d’autres exemples dans le passé, comme le Crédit social, la Fédération du Commonwealth coopératif (FCC) et le Reform Party. Par contre, il est rare que des partis de ce genre durent longtemps : soit ils sont remplacés par d’autres partis, soit ils périclitent.

Par ailleurs, on peut certes être surpris par le pourcentage de votes récolté par le PPC au Canada, mais il reste que Maxime Bernier n’a pas été élu dans sa propre circonscription : ça montre qu’il existe encore des réticences à l’endroit des partis les plus extrêmes.

Qu’est-ce que la dernière campagne fédérale nous a appris sur le populisme au Canada ?

On avait l’habitude de voir la forme que ça prenait ailleurs dans le monde. Mais là, on peut voir comment ça peut s’articuler dans notre contexte.

Le discours de défaite de Maxime Bernier, par exemple, était très révélateur et contenait beaucoup de caractéristiques du populisme. Il s’adressait au « vrai peuple », aux gens qui ne se sentent pas représentés. Il a souvent sursimplifié des sujets, a visé des boucs émissaires (comme les élites économiques), a parlé d’immigration non durable. Il se décrit comme la seule véritable solution de remplacement au Canada, et s’attribue donc le monopole de la représentation du « vrai monde ».

Est-ce qu’on peut y voir le prélude à ce qui s’est passé avec Donald Trump aux États-Unis ?

Je ne serais pas prête à dire ça parce que, encore une fois, même si le PPC s’est trouvé une niche avec la pandémie, la plupart des gens ne le prennent pas au sérieux. Le filon de l’extrême droite, c’est assez rare que ç’a été gagnant au Canada ou au Québec sur le plan électoral.

Vous parlez d’« extrême droite », mais est-ce qu’on peut vraiment qualifier le PPC de parti d’extrême droite ?

C’est toujours difficile de comparer l’extrême droite d’un pays à l’autre, parce que la droite au Québec et au Canada n’est pas du tout la même droite qu’en France ou aux États-Unis. Du point de vue d’un autre pays, la droite d’ici peut avoir l’air près du centre. C’est donc difficile de dire que le PPC est à l’extrême droite, mais il est manifestement plus à droite que les autres. On le voit dans son rapport aux institutions en général, mais aussi face aux mesures sanitaires en particulier.

Comment peut-on expliquer que le parti ait plus de succès en milieu rural ?

Les milieux ruraux sont généralement plus conservateurs que les milieux urbains. Et les gens s’y sentent souvent plus isolés, peu représentés.

Ce mouvement-là a-t-il besoin de la pandémie pour progresser ?

Ces mouvements existent depuis longtemps, mais ils ont toujours eu besoin d’un enjeu pour se renforcer, que ce soit l’immigration, la mondialisation…

Est-ce qu’on peut faire des parallèles entre le PPC et le Parti conservateur du Québec d’Éric Duhaime ?

Dans le cadre de la pandémie, les deux ont eu tendance à attaquer les institutions, les élites, les contre-pouvoirs (comme les médias) et les intellectuels. Mais ici, il y a un paradoxe parce que, comme bien des populistes, ils rejettent les élites, mais proviennent eux-mêmes de ce monde : l’élite politique pour Bernier ; l’élite médiatique pour Duhaime.

De plus, les deux sursimplifient les enjeux pour rallier le plus de gens possible. Enfin, les deux ont un bassin de membres en forte croissance à un moment où celui des grands partis est en déclin. Et les deux disent représenter le « vrai monde ».

Qu’est-ce que ça envoie comme signal aux autres partis politiques ?

Ça témoigne ironiquement d’une vitalité de la démocratie, parce qu’on remet beaucoup de choses en question, et ça permet de mobiliser des gens qui ne le seraient pas autrement. Par contre, il y a beaucoup de risques de dérive.

À quoi doit-on s’attendre, dans ce contexte, pour les élections québécoises de 2022 ?

Il va falloir surveiller comment les autres partis se comportent avec le Parti conservateur d’Éric Duhaime. Il va falloir quand même qu’ils l’écoutent, car si le parti et ses membres sont montrés du doigt et sont discrédités par la classe politique, ça risque de renforcer leur sentiment de légitimité, leur raison d’être.

Même si on n’est pas d’accord avec eux, on doit tout de même les écouter et ne pas les humilier. Parce que faire autrement pourrait donner plus d’écho encore à une option comme celle-là.



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