Des Autochtones en quête du strict minimum

Les habitants de Kitcisakik n’ont jamais eu l’eau courante ou l’électricité dans leurs maisons. Au fil du temps, plusieurs élus et candidats fédéraux sont venus dans la communauté avec la promesse d’améliorer leur sort. Mais aujourd’hui encore, ils doivent aller chercher leur eau à la chaudière et prendre leur douche au bloc sanitaire. Et ils n’ont toujours pas d’électricité. En 2021.
« Les membres de la communauté se sont habitués à vivre dans ces conditions, mais ils réclament une meilleure qualité de vie », se désole Régis Penosway, chef de la communauté de Kitcisakik, située dans la réserve faunique La Vérendrye, en Abitibi.
« Pendant la saison hivernale, surtout, c’est difficile, explique-t-il. On sort de la douche avec les cheveux tout mouillés et il faut revenir à la maison dans le froid. »
Véronique Papatie, elle, opte parfois pour laver ses enfants à la main dans une grosse bassine. « On vit comme avant, comme nos grands-parents, déplore la mère de cinq enfants. Ça s’améliore sur le plan des infrastructures, avec l’école et le CPE, mais on a besoin de douches dans la maison, c’est la base ! » s’exclame-t-elle.
Avec l’automne qui arrive, les résidents commencent à chauffer au bois exclusivement puisqu’il n’y a pas de système de chauffage électrique. « Comme dans les chalets des Québécois », ironise le chef Penosway.
En bruit de fond, on entend un ronflement mécanique. « Environ 80 % des membres ont leur génératrice personnelle, explique le chef. Ceux qui n’en ont pas ne peuvent même pas avoir de frigidaire. »
Sans statut
Au cours de cette campagne, les principaux partis ont fait beaucoup de promesses et plusieurs candidats se sont rendus à Kitcisakik. Le problème, c’est que cette communauté n’a pas de statut officiel, n’ayant jamais accepté les conditions d’un traité avec Ottawa. C’est pourquoi Kitcisakik ne fait pas partie des communautés pour lesquelles Justin Trudeau s’était engagé à donner accès à de l’eau potable.
« La communauté de Kitcisakik n’a pas le statut de réserve, elle est située sur un territoire géré par la province, explique Carine Midy, de Services autochtones Canada. Toutefois, le gouvernement fédéral y maintient des investissements afin d’assurer la santé et la sécurité de la communauté. »
Elle affirme que des études géotechniques ont démontré qu’il est impossible d’alimenter les maisons en eau potable en raison de la nature des sols. « La communauté est alimentée par un puits d’eau potable et une unité de traitement qui distribue l’eau traitée aux bâtiments », précise-t-elle.

Depuis plus de quinze ans, des discussions ont lieu avec les différents gouvernements pour la création d’un village qui permettrait d’offrir tous les services, sur les lieux actuels ou ailleurs sur le territoire. Mais la communauté est divisée. « Le mot “réserve” leur fait peur », explique le chef.
En attendant, les résidents de Kitcisakik s’organisent comme ils le peuvent, sans se faire trop d’illusions sur les promesses des politiciens. « Nos membres sont frustrés, désillusionnés. On veut un village, peu importe l’endroit, peu importe le coût, affirme Régis Penosway. L’eau et l’électricité, on voudrait l’avoir pour hier. »
« La priorité, c’est le logement »
Dans la communauté voisine de Lac-Simon, toutes les maisons sont alimentées en eau et en électricité. « On a fait du chemin avec le fédéral, affirme la cheffe, Adrienne Jérôme, dans son bureau fraîchement rénové. À l’époque de [Stephen] Harper, c’était l’enfer, il coupait partout. Mais il y a eu beaucoup d’améliorations avec le gouvernement Trudeau, surtout en éducation. »
« La priorité, c’est le logement, affirme-t-elle. Nous avons 350 logements pour 2300 personnes, soit une moyenne de 6,5 personnes par maison. Durant l’été, les gens vivent un peu partout, dans des sheds, dans le bois ou au terrain de baseball. Mais l’hiver, c’est plus difficile. Les gens sont vraiment entassés dans les maisons. »

La promiscuité amène des problèmes sociaux, constate Lucien Wabanonik, du conseil de bande de Lac-Simon. « Les enfants ont de la difficulté à faire leurs devoirs. Les parents ont de la difficulté à être efficaces au travail parce qu’ils ont mal dormi. Dès que quelqu’un tousse, tout le monde tombe malade. Sans oublier les moisissures et les problèmes de consommation abusive… »
Le fédéral ne finance que le tiers du coût de deux maisons par année, alors qu’il en faudrait 300.

« Certains attendent depuis plus de dix ans pour avoir une maison. Chaque année, quand on annonce la sélection des logements, c’est le désespoir », déplore la cheffe.
La situation est à ce point critique qu’un bidonville est en train d’émerger dans une forêt à proximité du village. Des campements de fortune faits de toiles, de bois et de contreplaqué s’érigent de façon anarchique. « C’est digne du tiers-monde », se désole le conseiller Lucien Wabanonik.
Errer à Val-d’Or
Tous ces problèmes poussent plusieurs Autochtones à s’installer à Val-d’Or, dans l’espoir d’une vie meilleure qu’ils ne trouvent pas toujours dans cette ville minière que plusieurs appellent « Sin City ». Charlie Cookish, un Cri de Chisasibi, espérait s’y trouver un appartement. Mais depuis 18 mois, il erre dans les rues de Val-d’Or. Son amie Lorianne Kitchen, 52 ans, de Waswanipi, n’arrive pas elle non plus à trouver un logement abordable. Pour survivre, ils dorment et mangent à La Piaule, un organisme communautaire d’hébergement pour itinérants.

« Le fédéral a l’obligation d’offrir des services en milieu urbain pour les Autochtones. Or, quand on regarde les programmes électoraux, on ne parle jamais des Autochtones en milieu urbain. La question urbaine est invisibilisée, même si plus de 50 % d’entre eux vivent dans les villes », déplore Édith Cloutier, directrice générale du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or.
Les centres d’amitié réclament un meilleur financement afin d’offrir des services adaptés et culturellement sécurisants à ses membres autochtones en milieu urbain.

Les Autochtones ne représentent que 4 % de la population et votent peu, ce qui explique que les enjeux n’aient pas été très représentés dans les campagnes électorales précédentes. Mais avec les crises profondes des dernières années, les Canadiens demandent qu’on leur rende des comptes, soutient Édith Cloutier. « Maintenant, les politiciens doivent répondre non plus à 4 % de la population, mais à 100 % des Canadiens, qui questionnent le gouvernement sur les enjeux autochtones », affirme-t-elle.
Deux candidates autochtones
On compte un nombre record de candidats autochtones dans cette campagne électorale. Dans Abitibi–Baie-James–Nunavik–Eeyou, circonscription longtemps représentée par le néodémocrate Romeo Saganash, deux femmes autochtones sont dans la course.
La candidate libérale Lise Kistabish, de Pikogan, et celle du NPD, Pauline Lameboy, de Chisasibi, tentent toutes les deux de déloger la députée bloquiste Sylvie Bérubé.
« Les logements, c’est l’enjeu prioritaire, affirme Lise Kistabish. Il y a aussi les questions d’environnement, de changement climatique et d’accès à l’eau potable. »
De son côté, Pauline Lameboy parle d’une réconciliation qui va au-delà des mots. « On ne sera pas capables de faire la réconciliation si on n’accepte pas qu’il y a du racisme sur le territoire, soutient-elle. On fait la réconciliation et ensuite, on va pouvoir travailler main dans la main pour le développement économique. »
Les candidats sont fiers du leadership des femmes autochtones, tout comme Édith Cloutier, du Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or : « Les femmes autochtones sont le cœur du changement. »
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