Liberté académique: les universités trop préoccupées par leur image, selon l’avocat Julius Grey

Les universités ne peuvent pas s’autoréguler lors de controverses liées à la censure parce qu’elles sont trop préoccupées par leur image, plaide l’avocat Julius Grey dans un mémoire présenté à la commission scientifique sur la liberté académique.
« Les universités de l’ère moderne sont perpétuellement en recherche de subventions et de fonds. Ainsi, elles sont davantage préoccupées par leur image que par la défense de la liberté académique », écrit l’avocat dans un mémoire cosigné avec sa collègue, Me Michaëlla Bouchard-Racine.
C’est la peur de perdre des fonds qui fait en sorte « qu’elles se retournent contre leurs professeurs qui partagent une position controversée […] et cherchent à s’en dissocier », écrit-il aussi.
Me Grey, qui a défendu de nombreuses causes basées sur la protection de la liberté d’expression, ces dernières décennies, juge que le gouvernement devrait dès lors intervenir par des « normes nationales » afin d’assurer « une protection uniforme » à tous les enseignants.
La commission scientifique sur la liberté académique, qui tient ses travaux depuis mardi, a été créée à la demande du gouvernement pour le conseiller dans la foulée de la suspension d’une enseignante de l’Université d’Ottawa à qui on reprochait d’avoir utilisé le mot en n.
Contrairement à d’autres mémoires, celui de M. Grey ne fera pas l’objet d’une présentation à la commission. Le choix des invités se fait sur invitation, à la suite de la réception des mémoires, a indiqué mardi un porte-parole au Devoir.
Certains mémoires ont en outre été présentés de façon confidentielle mercredi, par des rencontres à huis clos. Ces personnes ont requis l’anonymat pour ne pas être victimes de représailles étant donné le caractère très sensible du sujet, a indiqué une porte-parole mercredi.
« Courage institutionnel » réclamé
La commission, dirigée par l’ancien ministre Alexandre Cloutier, a notamment pour mandat d’établir si le gouvernement doit ou non légiférer pour protéger la liberté académique. En matinée, le vice-recteur de l’Université de Montréal, Jean-François Gaudreault-Desbiens, a plaidé qu’Il appartenait plutôt aux universités d’agir, mais avec un certain « courage institutionnel ».
Dans un volumineux rapport de plus de 200 pages, ce spécialiste du droit constitutionnel a résumé les recommandations qu’il fait à l’Université de Montréal pour ne pas qu’elle vive des crises comparables à celles de l’Université d’Ottawa.
La clé, dit-il, est d’agir en « amont » par un « énoncé de principes » sur la liberté académique auquel toute la communauté universitaire (étudiants inclus) serait liée. Cet énoncé affirmerait le caractère « non négociable » de la liberté d’expression. Certains mots dits sensibles peuvent être utilisés s’ils sont mis en contexte « de façon empathique », a-t-il aussi avancé.
En parallèle à cela, l’Université devrait augmenter les ressources de son Bureau d’intervention en matière de harcèlement et mieux financer les groupes vulnérables sur le campus, tout en offrant de nouvelles formations sur l’intelligence émotionnelle et la pédagogie inclusive. L’Université, affirme-t-il aussi, devrait régler ce genre de conflit de façon « informelle » plutôt que de recourir à des processus disciplinaires.
Tout en comparant les controverses sur la liberté académique à celle sur les accommodements raisonnables, il a fait souligner que l’« accompagnement des gestionnaires » était crucial. « Souvent, les gestionnaires nous disaient : « On a l’impression d’être laissés tout seuls. »
La liberté des universités remise en question
Les travaux ont par la suite bifurqué vers les relations entre universités et entreprises privées. « Le principal enjeu menaçant les libertés des professeur.e.s d’université, outre le mouvement “woke”, sont les intérêts privés qui, grâce au sous-financement de nos institutions publiques, s’immiscent dans nos universités et cherchent à l’utiliser à leur profit et bénéfice », a plaidé Patrick Provost, un chercheur en médecine à l’Université Laval.
M. Provost a cité en exemple les remous causés par l’association entre l’Université Laval et le projet de terminal portuaire Laurentia, qui a depuis été rejeté par le gouvernement fédéral. « Des professeurs sont également inquiets au sujet de la proximité de l’Université Laval et de l’Administration portuaire de Québec (APQ), qui peut potentiellement brimer la liberté universitaire », a-t-il fait valoir.
Un groupe d’étudiants, pour la plupart au doctorat, a également pu être entendu mercredi. Sa proposition : créer un comité sur la liberté académique au sein de chaque université ou encore embaucher une « personne-ressource spécialiste de la liberté académique ». Sans parler de loi en tant que telle, le groupe composé de quinze étudiants s’est aussi dit ouvert à l’imposition de normes minimales pour tout le Québec.
Les travaux doivent reprendre jeudi avec la présentation du professeur de droit et chroniqueur au Devoir Pierre Trudel et se poursuivre jusqu’au 1er septembre.