Une uniformité de façade qui nuit à la diversité sexuelle

C’est la nouvelle en elle-même qui est étonnante : qu’un homme déclarant ouvertement son homosexualité fasse les manchettes en 2021. Un brusque rappel du fait que le hockey professionnel masculin est loin d’être un miroir de la société dans laquelle on vit. C’est pourtant un sport qui fédère, qui inspire, qui fait rêver. Mais un sport qui est aussi l’un des derniers remparts contre la diversité sexuelle.
Luke Prokop, un Canadien de 19 ans, est devenu lundi le premier joueur de la Ligue nationale de hockey (LNH) à afficher ouvertement son homosexualité. Le jeune homme originaire d’Edmonton, repêché en 2020 par les Predators de Nashville, a marqué l’histoire de ce sport professionnel en publiant un message sur son compte Twitter.
« Aujourd’hui, je suis fier de dire à tout le monde publiquement que je suis gai », a écrit le défenseur de 6 pieds 4 pouces. « Ç’a été tout un parcours pour arriver à ce stade de ma vie, mais je ne pourrais être plus heureux de ma décision de sortir du placard. »
Gary Bettman, le commissaire de la LNH, n’a pas tardé à souligner le courage de Prokop, qui participera sous peu à son premier camp d’entraînement dans la LNH. « Je partage son espoir que ces annonces puissent devenir plus courantes dans la communauté du hockey », a-t-il déclaré. Puis, d’ajouter : « Les joueurs, les entraîneurs et le personnel LGBTQ ne peuvent donner le meilleur d’eux-mêmes que s’ils vivent pleinement et véritablement leur vie. »
Une évidence perçue comme une révolution par le monde du hockey professionnel masculin. Comment ce sport, adulé par tant des fidèles et qui en vient à presque définir l’identité d’un peuple, a pu à ce point évoluer en décalage avec la société actuelle ? Et pourquoi annoncer son homosexualité en 2021 ébranle-t-il à ce point les colonnes du temple du hockey professionnel masculin ?
Selon Brock McGillis, le premier joueur de hockey professionnel à avoir affiché son homosexualité en 2016 après avoir accroché ses patins, la réponse est implacable : le hockey masculin en 2021 n’est ni plus ni moins qu’un calque de la réalité des années 1960 ou 1970.
« Tous les joueurs sont présumés hétérosexuels et sont traités de la sorte, rapporte celui qui a évolué au sein de la Ligue de hockey de l’Ontario et qui a joué pour l’Université Concordia. Des commentaires homophobes sont prononcés dans chaque vestiaire à tous les niveaux de ce sport en Amérique du Nord. »
Une réalité affligeante — et perturbante — que constate également Guylaine Demers, professeure au Département d’éducation physique de l’Université Laval et spécialiste de l’homophobie dans le sport.
« Dans les sports collectifs masculins comme le hockey, c’est un lieu où on apprend à devenir des hommes, de vrais gars. C’est un outil de socialisation extrêmement fort, où on apprend à être combatif et agressif. » Dans ce schème de pensée, être un homosexuel qui excelle dans un sport d’équipe devient une incompatibilité, voire une impossibilité. « [Dans un vestiaire sportif], l’opposé d’être un homme, c’est d’être homosexuel. Tu ne peux donc pas être gai, être un vrai gars et faire du sport. »
Uniformité
Cet environnement hostile à la diversité sexuelle se nourrit d’une uniformité de façade, devenue le socle identitaire des hockeyeurs. « Tous les joueurs s’habillent, parlent et agissent de la même manière. C’est impossible d’exprimer son individualité », témoigne Brock McGillis.
« Dans un vestiaire, il y a quatre sujets de discussion possibles : les femmes, la fête (« partying »), le sport et les jeux vidéo », poursuit-il.
Comment alors exprimer des intérêts divergents ou une identité déclinée sous d’autres facettes ? Pour Brock McGillis, la réponse était claire : « Je ne pouvais pas. » « Je pensais que ça allait compromettre ma carrière », explique celui qui est depuis devenu un militant pour la communauté LGBTQ+.
Cette impossibilité à s’identifier tel qu’il est n’a pas été sans conséquences pour l’homme aujourd’hui âgé de 37 ans. « Je me détestais. De mes 17 à mes 23 ans, je buvais tous les jours pour engourdir ma souffrance. Je voulais mourir et j’ai même essayé de mettre fin à mes jours à une occasion. »
« Si tu peux jouer, tu peux jouer »
Le projet You Can Play a justement été créé pour que ce type de détresse ne trouve plus de terreau fertile dans le monde du sport professionnel ou amateur. L’objectif de cette initiative — créée en 2012 en mémoire du hockeyeur Brendan Burke, un des fils du directeur général de la LNH Brian Burke, qui avait affiché son homosexualité à ses coéquipiers de l’Université de Miami peu avant de perdre la vie dans un accident de la route — est de créer une culture d’inclusion dans tous les sports, peu importe l’orientation sexuelle ou l’identité de genre des athlètes ou des entraîneurs.
« Les statistiques démontrent que 84 % des jeunes LGBTQ+ ont vécu ou ont été témoins de [comportements ou de commentaires] homophobes dans leur sport », soutient David Palumbo, membre du conseil d’administration de You Can Play. Une réalité qui fait en sorte que de nombreux jeunes quittent cet univers où ils ne se sentent pas les bienvenus.
La mission de l’organisme à but non lucratif est résumée par le slogan « If you can play, you can play », rappelant qu’un athlète doit être jugé et apprécié en raison de ses performances sportives plutôt que de son orientation sexuelle. Chaque année, le Canadien de Montréal tient une « Pride Night » au cours de laquelle les joueurs utilisent du ruban de hockey (tape) et portent des chandails aux couleurs arc-en-ciel durant la période d’échauffement. Des effets qui sont ensuite vendus aux enchères pour récolter des fonds pour You Can Play.
« La visibilité est importante au niveau de la LNH, soutient David Palumbo. Cette visibilité est cruciale pour toute personne à la recherche d’une marque de soutien. » Mais pour Guylaine Demers, professeure à l’Université Laval, ces actions en faveur de la diversité sexuelle devraient avoir plus de mordant et aller au-delà de la simple campagne médiatique pour mener à des changements de culture réels au sein de la LNH.
Au-delà de la visibilité
La chercheuse rappelle que You Can Play mène des campagnes de visibilité depuis neuf ans, mais qu’aucun coming out n’avait eu lieu avant cette semaine dans la LNH. « Clairement, il y a des pressions et des enjeux, qu’ils soient financiers ou autre [sur l’évolution de leur carrière], qui font en sorte que les joueurs restent encore aujourd’hui dans le placard. »
Sans oublier la question de la nudité et de l’affection entre hommes, inhérentes aux vestiaires sportifs. « C’est un des rares lieux où les hommes peuvent être affectueux sans qu’on associe ces gestes à l’homosexualité. Ils se donnent des claques sur les fesses, se prennent dans les bras », souligne-t-elle.
Si un joueur gai se dévoile, ces gestes affectueux pourraient soudainement être perçus comme ayant une connotation sexuelle. « Il y a donc la crainte de perdre ce bonding avec ses coéquipiers, un élément essentiel pour se sentir partie prenante du groupe. »
Le courage de Luke Prokop, du haut de ses 19 ans, est donc d’autant plus méritoire. Il s’ajoute à celui de Carl Nassib, l’ailier défensif des Raiders de Las Vegas, qui est devenu en juin le premier joueur actif de la National Football League (NFL) à affirmer son homosexualité.
Le chemin a donc été débroussaillé. Il devra maintenant être pavé durablement pour que le tabou de l’homosexualité soit réellement levé dans les plus hautes sphères des sports d’équipe masculins, jusqu’à ce qu’il devienne une banalité.