Le rôle de la police divise

Les remises en question entourant le rôle que la police doit jouer pour lutter contre le crime, tout en prévenant le profilage et la brutalité policière, pourraient occuper une place importante dans la prochaine campagne électorale à Montréal, de l’avis de plusieurs candidats municipaux et experts. Un débat qui s’annonce clivant.
« Ce n’est plus juste un sentiment d’insécurité, mais une insécurité réelle [que vivent les citoyens] quand on parle de tirs lancés près d’écoles, près des parcs », lance au Devoir la responsable de la sécurité publique au comité exécutif de la Ville de Montréal, Caroline Bourgeois. « Comme élus, on doit être capables d’intervenir », ajoute l’élue de Projet Montréal.
À New York, où une campagne électorale municipale est en cours, la sécurité publique est devenue l’enjeu numéro un des électeurs de la Grosse Pomme, de l’avis de plusieurs sondages, dans la foulée de la hausse des fusillades et des meurtres dans le pays.
Montréal est, sans contredit, une ville plus sécuritaire que New York. Les fusillades sont cependant en hausse dans la métropole québécoise, tout comme les crimes haineux. En parallèle, plusieurs cas allégués de profilage racial et social ainsi que de brutalité policière ont soulevé de vives critiques à l’égard du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) au cours des dernières années.
« Il y a une réflexion à avoir sur la police que l’on veut pour demain », constate ainsi le professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal Massimiliano Mulone.
Financement
Parmi les propositions qui font débat, on compte celle formulée en avril dernier par les membres du congrès de Projet Montréal pour une révision de la politique de financement du SPVM afin de consacrer plus de ressources aux services de proximité et aux équipes d’intervention mixtes.
« Il faut doter les organismes de budgets récurrents, mais ça ne doit pas être au détriment du financement de la police. On ne doit pas réduire son budget », réplique Abdelhaq Sari, le porte-parole en matière de sécurité publique pour le parti d’opposition Ensemble Montréal.
« Les gens qui disent qu’on doit réduire le budget opérationnel de la police sont déconnectés de la réalité », tranche également Paul Chablo, qui enseigne les techniques policières au cégep anglophone John Abbott. Une telle mesure risquerait de nuire aux services offerts par le SPVM et ainsi de « mettre des vies en danger », prévient l’ancien inspecteur-chef au sein du corps de police.
Mme Bourgeois note quant à elle que Projet Montréal ne souhaite pas réduire le budget du SPVM, mais plutôt interpeller Québec pour combler les manques en matière d’initiatives communautaires et sociales nécessaires pour répondre à des besoins grandissants, notamment en matière de santé mentale. « La police n’est pas trop financée, mais est-ce que les ressources communautaires sont assezfinancées ? La réponse est non », estime l’élue municipale.
Ce type de culture alarmiste en faveur d’un meilleur financement de la police [fera en sorte qu’on] aura plus de policiers et que les gens vont se sentir plus en sécurité, mais c’est un faux sentiment de sécurité
Faut-il plus de policiers ?
L’opposition officielle à l’Hôtel de Ville estime par ailleurs qu’une augmentation du nombre de policiers s’impose à Montréal en réponse à la hausse de la criminalité dans certains secteurs. Une position que partage, sans surprise, la Fraternité des policiers et policières de Montréal.
« La montée de violence urbaine met en relief le sous-financement du SPVM et les problèmes d’effectifs », fait valoir par écrit son président, Yves Francœur, qui rappelle que les effectifs de l’équipe affectée à la lutte contre le trafic d’armes du SPVM sont actuellement à « la moitié » de ce qu’ils devraient être, avec 23 employés mobilisés. Ce nombre devrait grimper à 40 d’ici la fin de l’année, promet la Ville.
Le chef du parti Mouvement Montréal, Balarama Holness, estime pour sa part que des économies seraient envisageables dans le budget duSPVM, au profit notamment de la police communautaire et des interventions en travail social. Il critique d’ailleurs la position d’Ensemble Montréal. « Ce type de culture alarmiste en faveur d’un meilleur financement de la police [fera en sorte qu’on] aura plus de policiers et que les gens vont se sentir plus en sécurité, mais c’est un faux sentiment de sécurité », estime le candidat à la mairie.
À (re)lire
Les anciens textes du Devoir de citéMassimiliano Mulone n’hésite d’ailleurs pas à qualifier de « très populiste » le discours selon lequel une augmentation du nombre de policiers est nécessaire en réaction à l’augmentation du nombre de fusillades dans la métropole. « Dans l’esprit des gens, notre meilleure arme contre le crime, c’est la police. C’est très ancré dans la tête des gens, même si ce n’est pas vrai du tout », tranche le criminologue, qui estime que la police prend déjà « trop de place dans la société ».
Selon Statistique Canada, Montréal comptait en 2018 environ 223 policiers pour 100 000 habitants, soit un ratio plus élevé que dans les autres grandes villes du pays, y compris Toronto et Vancouver. Environ 90 % du budget du SPVM, qui croît chaque année, va d’ailleurs à la rémunération de ses policiers et de ses employés civils.
Caméras portatives
Un consensus semble toutefois exister entre les principaux partis politiques montréalais sur l’importance de munir les policiers de la métropole de caméras portatives. « C’est capital » afin que la population ait confiance en son corps de police, estime Mme Bourgeois. Une position que partage M. Sari, qui presse la Ville de concrétiser cette mesure « rapidement », après avoir négligé cette option dans les dernières années.
En munissant les policiers de caméras portatives, « on va avoir une preuve importante pour nous assurer que les agents de la paix sont responsables de leurs actions », estime également M. Holness, qui voit là un moyen de contrer le profilage racial et social dans la police.
« La caméra n’est pas du tout une solution qui va résoudre un problème de tensions avec la communauté », affirme cependant le criminologue Massimiliano Mulone. « En faisant ça, on met des millions de dollars dans un outil technologique » plutôt que dans des ressources communautaires pour répondre aux besoins des différentes communautés, estime l’expert.
En 2016, le SPVM avait tenu un projet pilote concernant le port de caméras portatives par une partie de ses agents, mais le rapport qui avait été rédigé par la suite n’avait pas été concluant. Cette technologie a toutefois évolué depuis, ce qui a incité la Sûreté du Québec à se tourner vers celle-ci dans le cadre d’un projet-pilote en cours.
« Je suis convaincu hors de tout doute que ça peut changer la donne », assure Paul Chablo, qui a commencé à former ses étudiants à cette technologie. « Ça va amener de la crédibilité aux policiers et ça va donner de la crédibilité aux citoyens », espère-t-il.