​Annick Charette poursuit Gilbert Rozon au civil pour ​agression sexuelle

«L’histoire sordide et humiliante relatée par [M. Rozon] dans le cadre de son procès a engendré un préjudice distinct de celui relié aux agressions sexuelles dont [Annick Charette] avait été victime 40 ans plus tôt», est-il écrit dans la requête au civil.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «L’histoire sordide et humiliante relatée par [M. Rozon] dans le cadre de son procès a engendré un préjudice distinct de celui relié aux agressions sexuelles dont [Annick Charette] avait été victime 40 ans plus tôt», est-il écrit dans la requête au civil.

Six mois après l’acquittement de Gilbert Rozon, la plaignante Annick Charette se tourne vers le tribunal civil et lui réclame 1,3 million de dollars. Elle devient la quatrième femme à intenter une poursuite contre l’ex-magnat de l’humour, qu’elle accuse de l’avoir non seulement violée en 1980, mais aussi d’avoir menti et de l’avoir dépeinte comme une « délurée » lors de son procès en octobre dernier.

« Dans son témoignage lors du procès criminel, [Gilbert Rozon] a menti non seulement en niant la version d’[Annick Charette], mais également en inventant de toutes pièces un scénario qui inversait les rôles, un scénario grotesque dans lequel c’est [elle] qui était l’agresseur, et [M.] Rozon la victime », peut-on lire dans la requête déposée mercredi au palais de justice de Montréal.

Annick Charette a porté plainte à la police dans la foulée du mouvement #MoiAussi en octobre 2017 après que neuf femmes ont raconté les agressions subies de la part de M. Rozon au Devoir ainsi qu’au 98,5 FM.

Sur les quatorze plaintes analysées par le Directeur des poursuites criminelles et pénales, seule la sienne avait été retenue.

 

Devant deux versions aux antipodes, le tribunal a acquitté en décembre le fondateur de Juste pour rire des accusations de viol et d’attentat à la pudeur qui pesaient contre lui.

Faute d’avoir vu M. Rozon condamné, Mme Charette a décidé d’emboîter le pas à la comédienne Patricia Tulasne, qui est devenue le 15 avril la première femme à intenter individuellement une poursuite civile contre lui, de 1,6 million, ainsi qu’à la réalisatrice Lyne Charlebois, qui lui réclame 1,7 million, et à l’artiste Danie Frenette, qui demande 2,2 millions.

En optant pour la voie civile, Mme Charette n’aura pas à prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de M. Rozon. Au civil, on parle plutôt d’une preuve par prépondérance, c’est-à-dire qu’elle devra convaincre un juge qu’il est plus probable qu’elle ait été violée que l’inexistence de l’agression, a récemment résumé la juriste Suzanne Zaccour dans une entrevue au Devoir.

La directrice générale de Juripop, Sophie Gagnon, a aussi déjà rappelé que la différence entre l’avenue criminelle et l’avenue civile est que la première vise à « punir » l’agresseur, tandis que l’autre vise à indemniser la victime pour les dommages subis.

M. Rozon a indiqué qu’il ne souhaitait faire aucun commentaire.

Comme un « deuxième viol »

Si elle se tourne vers le civil, c’est que le processus au criminel s’est avéré une expérience difficile, mentionne Mme Charette dans sa requête.

Les seuls éléments sur lesquels son récit et celui de M. Rozon étaient similaires concernaient leur rencontre en 1980 dans une station de radio des Laurentides à l’époque où M. Rozon organisait le festival La Grande Virée, ainsi que leur sortie dans une discothèque de Saint-Sauveur.

Devant la juge Mélanie Hébert, Mme Charette avait raconté qu’après une soirée avec M. Rozon, celui-ci a prétexté devoir récupérer des documents chez sa secrétaire. Une fois qu’ils sont arrivés sur place, il lui aurait proposé de l’accompagner à l’intérieur. La femme, qui avait alors 20 ans, a raconté avoir réussi une première fois à se défaire de son étreinte, mais qu’elle s’était réveillée le lendemain matin alors que M. Rozon était sur elle.

« [M. Rozon] a reconnu qu’elle avait alors refusé d’avoir une relation sexuelle avec lui. Il a toutefois menti à la Cour à plusieurs égards, notamment en affirmant que lui et [Mme Charette] s’étaient d’abord embrassés sur le divan et en soutenant qu’il avait immédiatement arrêté de la toucher lorsqu’elle avait manifesté son refus », déplore-t-elle dans sa requête.

M. Rozon a soutenu lors de son procès qu’au contraire c’est Mme Charette qui est venue le rejoindre au petit matin alors qu’il dormait. « Aussi étonnant que ça puisse paraître, je me suis réveillé vers 7 h du matin et j’avais [la plaignante] qui était à califourchon sur moi. C’est elle qui était en train de me faire l’amour », avait-il dit au tribunal.

Ce scénario « inventé » a été vécu par Mme Charette comme un « deuxième viol », peut-on lire dans le document de cour. Pendant les jours qui ont suivi le témoignage de M. Rozon, Mme Charette raconte s’être retrouvée en état de choc avec le sentiment d’être « salie et dégradée ». Elle soutient avoir été prise de nausées, de frissons, de confusion, d’abattement et de tremblements.

Elle témoigne également des conséquences des propos de M. Rozon et de ses avocats sur son sentiment de culpabilité. Mme Charette rappelle par ailleurs que dans son verdict, la juge Hébert a reconnu que la version de M. Rozon était moins plausible que la sienne.

« L’histoire sordide et humiliante relatée par [M. Rozon] dans le cadre de son procès a engendré un préjudice distinct de celui relié aux agressions sexuelles dont [elle] avait été victime 40 ans plus tôt », est-il écrit dans la requête.

Elle soutient que les « mensonges éhontés » tenus sous serment par M. Rozon ont aggravé l’atteinte à son intégrité et à sa dignité.

Pour tous les torts subis, elle réclame 1,3 million de dollars en dommages compensatoires et punitifs à M. Rozon, déplorant le fait qu’il nie les agissements allégués et qu’il n’exprime « aucun remords ».

M. Rozon a, de son côté, intenté en octobre 2020 une poursuite en diffamation de 450 000 $ contre les animatrices Julie Snyder et Pénélope McQuade, qui sont toutes deux revenues, dans l’émission La semaine des 4 Julie, sur ce qu’elles ont vécu.

Le fondateur de Juste pour rire a été acquitté en décembre dernier au terme de son procès criminel pour viol. Le procès se penchait sur des événements survenus il y a 40 ans à Saint-Sauveur, dans les Laurentides.



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