Quand les parcs de Montréal débordent

Échappatoires par excellence en temps de pandémie, les parcs montréalais ont vu leur achalandage exploser, ce qui a accéléré la dégradation de plusieurs d’entre eux. En réponse à ce problème, une augmentation du nombre d’espaces verts s’impose, mais aussi un meilleur entretien de ceux-ci, constatent plusieurs organismes.

L’an dernier, la fréquentation des parcs-nature de la métropole a grimpé de 64 % par rapport à 2019, selon des données inscrites au dernier budget de la Ville de Montréal. Cette tendance, qui concerne aussi les parcs locaux, s’est poursuivie cette année depuis le retour du beau temps.

« C’est près de deux fois plus d’achalandage qu’on a eu dans la dernière année et, cette année encore, on enregistre les mêmes taux », confirme au Devoir le responsable des grands parcs au comité exécutif, Robert Beaudry. Un « surachalandage » qui menace d’influer sur la biodiversité de plusieurs espaces verts prisés.

« Le mont Royal est un exemple probant où il y a une énorme pression qui se fait sur la montagne parce que c’est vraiment une attraction qui est métropolitaine. On a beau avoir souvent plusieurs beaux espaces verts de qualité, les gens optent beaucoup pour la montagne. Donc, ces lieux-là mythiques et emblématiques se voient fragilisés », ajoute le conseiller municipal.

Quand on a moins de plantes indigènes [en raison de l’empiétement des passants], ça veut dire que les espèces envahissantes peuvent prendre le dessus. Donc, on se retrouve avec des impacts environnementaux directs.

Sur le mont Royal, l’achalandage, qui était évalué annuellement à plus de cinq millions de visiteurs avant la pandémie, a bondi depuis le début de la crise sanitaire. Cette dernière a par ailleurs forcé la mise sur pause l’an dernier de nombreuses activités bénévoles concernant notamment la plantation d’arbres, le retrait d’espèces envahissantes et des corvées de nettoyage qui permettent de retirer les déchets laissés sur ce site naturel par des passants insouciants.

« Donc, on s’est retrouvés avec une plus grande fréquentation et moins d’encadrement, ce qui a eu des répercussions sur le parc », résume la directrice générale de l’organisme Les amis de la montagne, Hélène Panaïoti. En plus de la présence de déchets sur le site — dont de nombreux masques à usage unique —, l’organisme s’inquiète de constater un élargissement des sentiers en raison de l’important afflux de passants. Un phénomène qui touche plusieurs grands parcs du pays.

« Quand on a moins de plantes indigènes [en raison de cet empiètement], ça veut dire que les espèces envahissantes peuvent prendre le dessus. Donc, on se retrouve avec des impacts environnementaux directs », explique la responsable des programmes au sein de l’organisme canadien Les amis des parcs (Park People), Marie Lapointe.

Sensibilisation et coercition

 

Mme Panaïoti fait par ailleurs état d’une hausse du nombre de « sentiers sauvages », qui n’ont pas été aménagés à cet effet par la Ville. « On a une multiplication des petits chemins d’accès vers la montagne » qui ont pris forme à la suite du passage répété de piétons, de coureurs et de cyclistes dans les sous-bois, même si cela leur est interdit, note-t-elle. Pour contrer ce problème, qui peut entraîner une dégradation de la flore du site, « un ensemble de mesures » s’impose, estime Mme Panaïoti.

« Ça prend de la signalisation. Ça prend aussi de la sensibilisation, donc des campagnes de communication. Et ça prend un élément de coercition », comme la remise d’une amende aux récalcitrants, énumère-t-elle. À la Ville, on assure prendre cet enjeu au sérieux. On entend d’ailleurs fermer des sentiers clandestins sur le mont Royal afin de laisser la végétation y tailler de nouveau sa place, indique M. Beaudry.

La Ville pourrait aussi miser davantage sur des campagnes de communication afin d’inciter les Montréalais à diversifier les parcs qu’ils visitent afin de répartir l’achalandage entre ceux-ci, estime le directeur général du Conseil régional de l’environnement de Montréal, Emmanuel Rondia. « Ça prend une opération de communication et de mise en valeur des trésors qui existent dans les différents parcs », croit-il.

Il souligne également l’importance de faciliter l’accès aux espaces verts, notamment à pied et à vélo. La Ville de Montréal entend d’ailleurs créer des « corridors verts » pour relier différents parcs de Montréal, comme le prévoit un récent plan d’action de l’administration de Valérie Plante.

Manque d’infrastructures

Situé dans l’arrondissement du Sud-Ouest, le parc Angrignon ne compte aucun bâtiment offrant accès à des toilettes publiques. Ses usagers doivent donc se rabattre sur des toilettes chimiques. Quant à l’entretien de l’espace vert, celui-ci n’est assuré que par une poignée d’employés municipaux. Cet important espace vert compte pourtant une superficie environ trois fois plus grande que celle du parc La Fontaine, note le président de l’organisme Les amis du parc Angrignon, François Arteau.

« C’est une richesse faunique, maisil y a un manque d’investissements chronique », déplore-t-il. Il s’inquiète d’ailleurs lui aussi de la présence de nombreux marcheurs à l’extérieur des sentiers dans la forêt du parc Angrignon. Celle-ci accueille notamment le trille blanc, une fleur sauvage qui compte parmi les espèces vulnérables au Québec. Or, « il n’y a aucune affiche dans le parc qui dit ça », déplore M. Arteau. « La crainte qu’on a le plus, c’est la détérioration du boisé et des plantes présentes dans le parc Angrignon », ajoute-t-il.

M. Beaudry, pour sa part, assure vouloir trouver un « équilibre entre des mesures coercitives et des mesures de sensibilisation » afin d’assurer la protection des parcs existants. Il assure également que des « équipes de préservation » ont vu le jour depuis que la vérificatrice générale de la Ville, Michèle Galipeau, a soulevé l’été dernier, dans son rapport annuel, des lacunes dans le financement de l’entretien des parcs de Montréal.

En 2021, le budget pour l’entretien et la réparation des parcs relevant de la ville-centre atteint un peu plus de 2,8 millions de dollars, soit sensiblement le même montant que l’an dernier, indique la Ville par courriel.

Davantage de parcs

 

La Ville compte par ailleurs augmenter le nombre d’espaces verts dans l’est et dans l’ouest de l’île dans l’espoir d’atteindre sa cible d’avoir 10 % d’espaces protégés dans l’ensemble de l’agglomération d’ici 2030, contre 6,3 % actuellement. « Les gens disent qu’il y a trop de monde dans les parcs, mais peut-être qu’on n’a pas assez de parcs pour répondre aux besoins des gens à Montréal », souligne M. Beaudry, qui note l’importance d’assurer une « offre équilibrée » d’espaces verts dans les différents arrondissements de la métropole.

Le conseiller de Projet Montréal ne serait d’ailleurs pas surpris que les parcs s’invitent dans la campagne électorale municipale qui se met en branle à Montréal. « Ce que la pandémie vient faire, c’est qu’on est tous en mesure de témoigner de l’importance des espaces verts et des parcs, et je pense que les citoyens seront en première ligne pour réclamer une bonification des espaces verts, tant dans leur nombre que dans la qualité de ceux-ci. Ça, j’en suis convaincue », souligne également la directrice générale du Centre d’écologie urbaine de Montréal, Véronique Fournier.

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