Des jeunes Inuits interdits de parler l’inuktitut

Les quelques maisons de réadaptation du Nunavik débordent déjà. Des jeunes se voient forcés de migrer vers Montréal ou dans les Laurentides.
Photo: Caroline Montpetit Archives Le Devoir Les quelques maisons de réadaptation du Nunavik débordent déjà. Des jeunes se voient forcés de migrer vers Montréal ou dans les Laurentides.

Ces Inuits ont 12, 13, 14 ou 15 ans. Les affres de la vie du Grand Nord les bousculent en centres jeunesse, le temps de se recadrer. Or, les quelques maisons de réadaptation du Nunavik débordent déjà. Ces jeunes se voient donc forcés de migrer vers le « Sud », à Montréal ou dans les Laurentides. Ce voyage les prive de leurs droits, même de celui de s’exprimer dans leur langue, expose une récente enquête de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ)

« [Les jeunes Inuits] n’ont pas le droit de parler entre eux en inuktitut dans ces centres de réadaptation pour jeunes en difficulté », confirme Suzanne Arpin, vice-présidente de la section jeunesse à la CDPDJ. « Ce n’est pas autorisé, parce que les éducateurs craignent toujours que ces jeunes-là soient en train d’organiser des fugues. »

Son enquête publiée mercredi ne révèle pas qu’un climat de méfiance. Il y a aussi un « non-respect chronique de leur droit à l’éducation ». Suzanne Arpin prévient qu’« on est en train de se préparer des cohortes de décrocheurs ».

Car pour qu’un jeune Inuit puisse étudier en anglais, la langue seconde de la majorité d’entre eux, il doit fournir les papiers d’études de ses aïeuls, tel que le stipule la loi 101.

« Le privilège de recevoir un enseignement en anglais est rattaché au territoire, et non au jeune », explique Mme Arpin. « De prouver que les parents ont bien été éduqués en anglais… On se rappellera que ce sont des parents qui ont été confiés à des pensionnats. Je ne pense pas que ça les tente de faire la démarche pour retrouver le document. »

Privés d’éducation dans une langue connue et privés de contacts sociaux dans leur langue maternelle, les jeunes Inuits s’enfoncent dans un « isolement culturel ». Les centres n’ont alors plus rien d’un tremplin vers la guérison. « On les place dans des situations d’échec incroyables », insiste Suzanne Arpin.

Sans compter toutes les barrières culturelles que doivent surmonter ces jeunes. « Montréal — Kuujjuaq, c’est 1400 kilomètres en avion, parce qu’il n’y a pas de route. Ces jeunes-là ne sortent pas de leur communauté. Quand ils arrivent à Montréal, c’est justement parce qu’ils ont des problèmes, et on ajoute une couche de plus. »

Même si le nombre de jeunes Inuits augmente d’année en année, le sort de cette population nordique ne reçoit qu’un accueil glacial des autorités, s’alarme la représentante de la CDPDJ. « Personne ne connaît le nombre de jeunes Inuits » qui n’ont pas reçu d’éducation formelle dans les centres jeunesse.

Petit guide pour briser la glace

 

Rien de tout cela ne surprend Tina Pisuktie, directrice générale de l’Association des Inuits du sud du Québec. « [Ces jeunes] n’ont pas accès à de l’information. Il n’y a rien qui est traduit. Il n’y a aucune considération pour la culture des gens. »

Pourtant, les éducateurs québécois peuvent surmonter les « frictions culturelles » avec les Inuits, enseigne-t-elle. Par exemple, elle explique que pour se saluer, « les Inuits se serrent la main ; chez nous, on n’envoie pas la main ».

Le silence résonne aussi différemment dans le Grand Nord. L’adage « qui ne dit mot consent » ne s’appliquent pas en inuktitut, raconte Mme Pisuktie. « Si un Inuit ne répond pas, ça ne veut pas dire qu’il est d’accord. Il garde peut-être le silence pour ne pas être impoli. »

Les Inuits sont des gens de peu de mots. « Culturellement, les gens étaient dans un mode de survie, alors c’est n’est pas un peuple qui parle beaucoup. » Conséquemment, les éducateurs doivent s’adapter. « On apprend en regardant et en imitant. Ce n’est pas comme l’éducation occidentale, avec les lectures. »

Nul ne devrait se choquer d’un Inuit qui parle peu, ajoute Tina Pisuktie. « Quand les Inuits ont fini de parler, ils vont s’en aller. Ils donnent juste de l’information sans s’engager dans une conversation. »

Les gestes considérés comme grossiers pour les Québécois, comme les flatulences et les rots, n’ont rien de dégoûtant pour un Inuit. Les marques d’admiration divergent également. « Quand on respecte quelqu’un, on ne le regarde pas dans le visage ou dans les yeux. »

Et inutile de cogner aux portes avant d’entrer. Dans le Nord, les gens pénètrent dans les maisons sans gêne. « Si quelqu’un cogne à la porte, c’est habituellement la police ou les services sociaux ! »

Cette désinhibition se transporte jusqu’à l’art de la table. Dans la culture inuite, on ne demande pas la permission avant de piger dans le réfrigérateur d’un voisin ou même pour piquer dans l’assiette d’un autre. « On est supposé partager en tout temps », rappelle l’Inuite.

Elle approuve d’ailleurs les solutions proposées par l’enquête de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, soit « la création d’un système de réadaptation autonome pour les jeunes au Nunavik afin d’éviter que ces jeunes soient déracinés […] et placés dans des centres de réadaptation à l’extérieur du Nunavik. »

Mais, d’ici à ce que de nouveaux centres y soient bâtis, Tina Pisuktie implore les autorités d’être plus sensibles aux mœurs autochtones. « La sécurité culturelle, c’est extrêmement important. La culture, c’est la base pour tout le monde. »

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