Le gastro-entérologue qui a vu Joyce Echaquan a jugé qu’elle était en état de «sevrage»

Le gastro-entérologue qui a vu Joyce Echaquan la veille de sa mort a jugé qu’elle était en état de « sevrage », a-t-on appris au troisième jour des audiences de l’enquête publique du coroner. Ce médecin aurait refusé de la prendre en charge, vu son état, la renvoyant plutôt à un médecin de famille et à une intervenante en dépendance. « On l’a perdue dans la stratosphère », a résumé la coroner Me Géhane Kamel, visiblement inquiète de la rupture de services qui s’est produite dans la prise en charge de Mme Echaquan.

À la fin de son quart de travail, le matin du 27 septembre 2020 , l’urgentologue Mahée Boisvert, qui a accueilli Joyce Echaquan, a transféré le dossier au gastro-entérologue Jean-Philippe Blais. Celui-ci, invité à livrer son témoignage au palais de justice de Trois-Rivières lundi matin, a indiqué avoir vu la patiente le lendemain matin. Il a noté « une très bonne collaboration » de la patiente.

Le gastro-entérologue a indiqué avoir posé à la patiente « les questions d’usage » sur ses douleurs et sur ses habitudes de vie. Celle-ci lui aurait alors indiqué qu’elle consommait du cannabis de façon régulière et qu’elle avait cessé récemment de consommer des narcotiques prescrits pour la douleur, car ce n’était pas bon pour sa santé.

Le médecin spécialiste, âgé de 30 ans, avait également vu dans son dossier qu’elle avait un « trouble de personnalité limite » et une « possible dépendance aux narcotiques », mais il assure que cela n’a pas altéré son jugement sur la patiente.

État de sevrage 

En soirée, le Dr Blais a estimé que la situation devenait « plus délicate » lorsqu’il a reçu un appel d’une infirmière qui lui a indiqué que la patiente était « très agitée et qu’elle venait de se jeter en bas de sa civière ». Elle a parlé d’un « geste théâtral ».

Le gastro-entérologue est alors revenu lui poser « avec un peu d’insistance » des questions sur sa consommation. « Son état clinique rappelait beaucoup un état de sevrage », a indiqué le médecin devant la coroner. Elle lui aurait finalement indiqué qu’elle prenait des opioïdes. « Mon diagnostic était un état de sevrage aux narcotiques. »

Il a alors prescrit une faible dose de morphine pour diminuer les symptômes. C’est ce qu’il jugeait le plus sécuritaire en attendant que la patiente soit prise en charge le lendemain par un médecin de famille qui, avec une intervenante en dépendance, pourrait faire un plan de sevrage de façon qu’elle puisse retourner à son domicile en toute sécurité.

Il indique avoir alors informé le médecin à la coordination qui prenait la relève du fait qu’il y avait une patiente en sevrage et a quitté l’hôpital.

Manque de communication

 

Mais ce n’est qu’au petit matin que l’urgentologue Mahée Boisvert, qui avait reçu la patiente la veille, a été avisée par une infirmière que le gastro-entérologue n’avait pas pris en charge la patiente comme prévu. « On m’a avisée qu’il y avait eu un épisode d’agitation et des éléments de sevrage qui dépassaient [son champ d’expertise], a témoigné l’urgentologue. Il ne voulait pas la prendre en charge. »

Jusqu’à son départ, vers les 8 h du matin, celle-ci n’est pas retournée au chevet de Mme Echaquan.

Avez-vous reçu comme consigne de nous en dire le moins possible ? J’ai l’impression depuis ce matin d’entendre la même cassette.

 

La coroner a réagi fortement à cette information, disant vouloir connaître la chronologie exacte de la prise en charge de Mme Echaquan pour s’assurer que la patiente n’était pas « tombée entre deux craques ».

Quand on lui a demandé s’il aurait agi de la même façon s’il avait pu revoir sa patiente, à la lumière des informations que l’on connaît aujourd’hui, le gastro-entérologue a laissé entrevoir son trouble. « C’est la question que je me pose depuis ces événements, enquête du coroner ou pas, a-t-il répondu. J’essaie de voir ce que j’aurais pu faire différemment. »

« Peut-être que je vais me dire que cette décision-là n’a pas été la meilleure », a-t-il admis, disant attendre de voir les informations qui seront révélées lors de l’enquête. « Mais j’ai fait le maximum que je pouvais à ce moment-là », a-t-il ajouté. « Moi-même, je ne comprends pas ce qui est arrivé, c’est quelque chose qui m’attriste qu’on n’ait pas de réponses. »

« Sujet tabou »

La coroner Géhane Kamel, qui préside l’enquête publique sur le décès de Joyce Echaquan, a mis en doute la franchise des employés de l’hôpital de Joliette qui sont venus témoigner lundi.

Cinq employés de l’hôpital de Joliette ont été entendus lundi. Tous ont affirmé n’avoir jamais entendu de commentaires désobligeants ou déplacés à l’endroit de membres de la communauté atikamekw.

« J’ai beaucoup de difficulté à concevoir que personne n’a jamais entendu de commentaires désobligeants », a affirmé la coroner. « Ça a l’air du meilleur des mondes, l’hôpital de Joliette », a ironisé la coroner. Il y a une planète où tout va bien et une communauté entière qui a peur de se rendre à l’hôpital. Je vous invite à la réflexion, vous et vos collègues. »

Avec le témoin suivant — une autre infirmière dont l’identité est protégée par une ordonnance de non-publication —, la coroner est revenue à la charge : « Avez-vous reçu comme consigne de nous en dire le moins possible ? J’ai l’impression depuis ce matin d’entendre la même cassette. »

Selon une infirmière entendue lundi, le décès de Joyce Echaquan est devenu « un sujet tabou » dans l’hôpital, depuis que des gestionnaires auraient intimé aux employés de ne plus discuter des événements entre eux.

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