Le critère du français pourrait être abaissé pour certains immigrants au Québec
![«Dans certains secteurs, c’est extrêmement difficile [d’attirer des gens qui parlent français]», a dit la ministre Nadine Girault mardi, assurant que ces travailleurs devront «signer un engagement formel» pour se franciser.](https://media2.ledevoir.com/images_galerie/nwd_899609_716764/image.jpg)
Pour être plus compétitif, Québec envisage de modifier sa grille de sélection et d’abaisser le critère de la connaissance du français pour les travailleurs qualifiés de certains secteurs. Rappelant que l’immigration doit répondre aux besoins du marché du travail, la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Nadine Girault, a reconnu que pour attirer certains talents, les programmes devront s’ajuster.
« On va modifier une partie, car on veut aller chercher des spécialistes du marché. Dans certains secteurs, c’est extrêmement difficile [d’attirer des gens qui parlent français] », a-t-elle dit en répondant aux nombreuses questions de l’opposition lors de l’étude des crédits de son ministère mardi. « Le critère du français va être toujours là. On veut le faire en fonction des différents postes, mais on est en train de négocier là-dessus. »
Certains projets pilotes testent actuellement cette possibilité, a rappelé la ministre. « On va peut-être regarder pour ouvrir certains de ces postes de nos projets pilotes à des gens qui ne sont pas nécessairement francophones actuellement, mais qui auront l’obligation de se franciser », a-t-elle précisé, assurant que ces personnes devront « signer un engagement formel » pour se franciser.
Mme Girault a déclaré du même souffle que le français devait être encouragé chez les immigrants. « On ne baissera pas le niveau de français et c’est pour ça qu’on met tous les efforts en francisation. On a augmenté le nombre de ressources en francisation », a-t-elle dit, soulignant que jamais autant d’argent n’aura été mis en francisation que les 170 millions consacrés en 2019 par son prédécesseur, Simon Jolin-Barrette.
Un « recul majeur »
Cette déclaration de la ministre a fait grandement réagir les députés de l’opposition. « On a un recul majeur si on est en train de réviser pour certains secteurs professionnels le niveau de français exigé. Surtout que ça vient d’un gouvernement qui dit qu’il aurait le plan le plus costaud en matière de protection de la langue française », a déclaré au Devoir la députée péquiste Méganne Perry-Melançon. Selon elle, le niveau de français ne doit pas uniquement être déterminé par le cadre professionnel, le rôle qu’il joue dans l’intégration doit aussi être pris en compte. « Ces gens-là doivent pouvoir se sentir intégrés et ça passe certainement par la maîtrise du français. »
La députée libérale Christine St-Pierre a quant à elle dénoncé le double discours de la ministre Girault. « Il y a le discours comptable et économique de dire que dans certains secteurs, ce n’est pas grave si on réduit les critères de français, mais pour d’autres catégories, on va dire aux gens qu’ils seront soumis à des critères plus sévères et stricts. » Pour elle, les gens pour qui le critère du français sera abaissé se destinent à des emplois nichés, bien payés et visant des entreprises qui se concentrent à Montréal, alors que plusieurs études ont démontré que la métropole s’anglicise. « C’est deux discours. Ceux qui sont riches, vous êtes les bienvenus et ceux qui n’ont pas de bons salaires, ce sera plus difficile pour vous. »
À la défense de Legault
La ministre de Girault s’est également portée à la défense du premier ministre François Legault, en réaffirmant l’importance de sélectionner l’immigration en fonction des besoins du marché du travail. Lors d’une rencontre privée devant le Conseil du patronat, M. Legault avait parlé de son obsession pour augmenter le salaire moyen au Québec et réduire l’écart avec l’Ontario. « À chaque fois que je rentre un immigrant qui gagne moins de 56 000 [$], j’empire mon problème », peut-on entendre dans un enregistrement obtenu par Radio-Canada.
Les députés de l’opposition ont talonné la ministre sur cette question pendant l’étude des crédits. Le député de Québec solidaire, Andrés Fontecilla, a tenté en vain d’obtenir des données sur le type de qualification et les catégories « par lesquelles rentre l’immigration en ce moment. »
Nadine Girault a expliqué que la plateforme Arrima permet aux employeurs d’aller chercher des travailleurs qualifiés dont ils ont besoin, et ce, dans tous les domaines. « Les immigrants qu’on veut aller chercher, oui ils pourraient combler [ce type de] postes [à plus haut salaire] mais on a aussi des programmes pilotes pour des immigrants, comme des préposées aux bénéficiaires, en transformation agroalimentaire. Ces immigrants ne vont pas gagner 56 000 par année. »
Longs délais de traitement
La députée libérale a également tenu à rappeler à la ministre qu’à l’automne dernier, le secrétaire d’État chargé du Tourisme, des Français de l’étranger et de la Francophonie, Jean-Baptiste Lemoyne, s’était publiquement déclaré insatisfait de la façon dont étaient gérés les dossiers de résidence permanente de nombreux Français et que ce dossier devait être en tête de liste des discussions entre la France et le Québec. La semaine dernière, Le Devoir faisait état des longs délais de traitement des dossiers de résidence permanente, en rapportant des témoignages de nombreux immigrants qui attendent une réponse depuis parfois plus de deux ans. Plus de 50 000 personnes sont en attente d’une résidence permanente au Québec.
La ministre Girault a insisté sur le fait que l’octroi de ce statut relève du gouvernement fédéral et qu’elle a eu des discussions sur le sujet avec son homologue, Marco Mendicino, mardi matin. Elle aurait eu l’assurance que le traitement serait accéléré pour que les cibles de 2021 soient atteintes, de même que le rattrapage pour l’année 2020, où moins d’immigrants que prévu ont été admis.
Programme des anges gardiens
La ministre de l’Immigration n’entend pas élargir le programme l’admissibilité au programme spécial de régularisation des demandeurs d’asile ayant travaillé dans la santé. Depuis son annonce l’été dernier, elle subissait des pressions du milieu pour qu’il soit étendu à toutes personnes ayant occupé des emplois les mettant à risque de contracter la COVID-19, et non pas uniquement au cours de la première vague. « Le programme a été monté pour aider les gens de la première vague », a insisté la ministre Girault. « On voulait une façon spéciale de les remercier », a-t-elle ajouté, laissant entendre que les demandeurs d’asile ayant travaillé durant les 2e et 3e vagues avaient eu du renfort.
Selon les chiffres d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) datés du 10 avril, à peine 7 % (94 sur 1400) des « dossiers » du Québec avaient reçu une « approbation en principe », contre près de 50 % pour ceux dans le reste du Canada. Le cabinet de la ministre de l’Immigration a assuré de son côté que la délivrance des Certificats de sélection du Québec (CSQ) allait bon train, en fournissant des statistiques plus récentes. En date du 3 mai, il aurait finalisé 377 dossiers de CSQ, ce qui correspond à 809 CSQ délivrés.