Prévenir la maltraitance des enfants avant de guérir

Un virage majeur en faveur de la prévention, la mise en place d’un leadership fort pour coordonner les différentes instances d’aide à l’enfance et une réforme de la Loi sur la protection de la jeunesse : voici le noyau dur des recommandations du rapport de la commission Laurent sur les droits des enfants rendu public lundi. « Il faut investir massivement dans les services de prévention », répètent les commissaires par la voix de la présidente, Régine Laurent.

« Nous devons passer du déni dans lequel nous nous sommes trop longtemps réfugiés à l’aveu que nous n’avons pas pris les moyens suffisants […] pour assurer à nos enfants, et particulièrement aux plus vulnérables d’entre eux, un environnement soutenant, stimulant, bienveillant et aimant », a dit Régine Laurent.

La Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse, lancée le 30 mai 2019, constate l’inefficacité de la réforme des services de santé — la réforme Barrette de 2015 —, du moins en ce qui a trait aux services sociaux destinés à l’enfance. À cet égard, la commission recommande au gouvernement de faire en quelque sorte marche arrière, en créant une gestion et une coordination plus autonomes pour l’aide à l’enfance.

Elle propose aussi la création d’un directeur national de la protection de la jeunesse, placé sous l’égide du ministère de la Santé, afin d’« adapter le modèle des CISSS-CIUSSS à la réalité des services sociaux ».

Il y a eu 118 000 signalements aux Directions de la protection de la jeunesse (DPJ) l’an passé. Le nombre a plus que doublé en 25 ans. À tort, les DPJ sont désormais perçues comme la porte d’accès à des services d’aide. Pourquoi ? Parce que le financement des services de première ligne et de prévention s’avère insuffisant, martèle la commission Laurent. 

À ceux qui se demandent si le Québec a le moyen de financer un vaste effort de prévention en faveur de l’enfance, le vice-président de la Commission, André Lebon, rétorque que nous n’avons surtout pas les moyens collectifs de continuer de porter le poids des coûteuses conséquences sociales de la situation qui prévaut. Les coûts directs et indirects de la maltraitance sont estimés à 4 milliards par année. Ces coûts ne cessent d’augmenter, puisque les problèmes qui en résultent s’interfécondent. « Nous sommes convaincus qu’un virage du côté de la prévention est à faire », a répété Régine Laurent en ajoutant que « la maltraitance est un enjeu de santé publique ».

Soutenir les organismes

 

Un guichet d’entrée général aux services devrait être mis en place par l’entremise des CLSC. Cependant, les moyens dont disposent ces institutions ne sont pas suffisants pour ce qui est de « soutenir adéquatement des familles en plus grande difficulté ».

Le soutien aux organismes communautaires de même qu’aux CLSC est présenté comme prioritaire pour éviter que n’augmentent encore les effets désastreux de la maltraitance des enfants.

La commission Laurent propose en ce sens un financement récurrent et à long terme pour les groupes communautaires afin que ceux-ci puissent se consacrer entièrement au soutien des familles et des enfants.

Selon la Commission, « un lien peut être établi entre la défavorisation matérielle et sociale et la probabilité d’être signalé et pris en charge de façon récurrente ». La détresse sociale des parents doit donc être prise en compte pour prévenir celle des enfants. Et les services pour contrer cette détresse supposent des organismes communautaires solides.

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Le grand rôle des CPE et des écoles

 

Les enfants en situation de vulnérabilité peuvent échapper en partie à la tourmente en ayant accès à des réseaux de garde éducatifs. Les places de CPE, surtout dans les quartiers plus pauvres, doivent être augmentées. Le réseau actuel s’avère insuffisant, comme le sont par ailleurs dans les écoles les services psychosociaux en soutien aux enfants.

« La proportion d’élèves à besoins particuliers a connu un bond important depuis les deux dernières décennies ». Or les services n’ont pas suivi.

L’école, souligne ce rapport très attendu, est un milieu fondamental pour les enfants. Aussi la Commission recommande-t-elle que, même en situation de changement de garde, l’enfant soit maintenu dans son école d’origine autant que possible, puisqu’il s’agit là d’un des pôles majeurs dans sa vie.

L’école et les familles d’accueil doivent aussi être mieux intégrées au travail des services sociaux, recommande le rapport.

Une refonte de la loi

 

La commission Laurent propose la création d’un poste de directeur national de la protection de la jeunesse qui aurait un statut de sous-ministre. Cette fonction de concertation et de coordination fait pour l’instant défaut, constate le rapport, ce qui ne permet pas de résoudre entre autres choses des problèmes qui ont découlé de la réforme Barrette.

Le rapport est dur à l’égard des conséquences de cette réforme. Les services sociaux répondent mal à la logique des soins de santé qui prédomine dans ces mégastructures que sont les CISSS-CIUSSS, constate la commission. Elle recommande d’abandonner, au bénéfice des enfants, le fonctionnement de cette structure en lui substituant une direction plus indépendante pour les services psychosociaux, de même qu’en créant un conseil propre aux disciplines psychosociales.

La commission Laurent recommande une refonte de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) afin qu’elle soit « axée sur une structure simplifiée et claire », pour « en faciliter l’interprétation et clarifier certains éléments ».

Elle souhaite en outre l’adoption d’une Charte des droits de l’enfant, pour affirmer le droit de ceux qui constituent 19 % de la population du Québec, ainsi que la création d’un poste de commissaire au bien-être des enfants, comme on en trouve ailleurs.

Les principes directeurs de la LPJ devraient par ailleurs être revus, notamment pour placer davantage l’enfant et ses parents au centre de la prise de décisions qui le concernent, écrivent les commissaires. Les enfants doivent être davantage écoutés à l’intérieur de ce système.

Pour l’instant, les décisions sociales et judiciaires sont peu documentées, déplore la commission Laurent. Elle demande que, désormais, les décisions concernant les enfants soient accompagnées d’une analyse « écrite et rigoureuse ».

Les commissaires observent au passage que l’ensemble des Québécois n’ont pas accès à des cours prénataux et postnataux. Une situation qui devrait vite être corrigée, selon eux.

Nous ne pouvons plus accepter, en 2021, dans une société qui en a les moyens, que des enfants n’obtiennent pas de réponse à leurs besoins les plus fonda-mentaux.   

 

Réévaluer le rôle des DPJ

Après 40 ans sous le régime des DPJ, il s’est opéré un glissement : elles sont devenues les portes d’entrée pour obtenir des services sociaux à l’enfance. Or ce n’était pas la fonction initiale de ces structures, observent les commissaires.

« Les tâches des intervenantes sont trop lourdes », a expliqué Régine Laurent. Les intervenantes de la DPJ — à majorité des femmes — doivent être valorisées, soutenues, mieux formées et protégées, indique le rapport.

Au sujet des enfants autochtones, les commissaires répètent qu’il faut mettre en œuvre les recommandations de la commission Viens. Régine Laurent considère aussi qu’il faut adapter les services sociaux aux réalités des communautés ethnoculturelles. Elle observe de plus que l’accessibilité des services aux enfants et aux parents anglophones doit être garantie et surveillée.

« Nous ne pouvons plus accepter, en 2021, dans une société qui en a les moyens, que des enfants n’obtiennent pas de réponse à leurs besoins les plus fondamentaux », indiquent les commissaires.

Cette commission a été lancée à la suite du décès tragique d’une fillette à Granby, le 30 avril 2019. « La mort de Tilili est le symbole d’un échec collectif », a indiqué Régine Laurent lors de la présentation du rapport. Le ministre responsable, Lionel Carmant, entend réagir mardi à ce rapport dont le résumé à lui seul comporte 122 pages.

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