Attendre des années sa résidence permanente au Québec ou plier bagage

Derrière l’énorme inventaire de dossiers et les longs délais de traitement que les gouvernements peinent à expliquer, il y a des dizaines de milliers de personnes qui attendent impatiemment leur résidence permanente. Découragés de voir leur rêve d’immigration se réaliser, certains songent à plier bagage. Pour d’autres, c’est déjà fait.
Après avoir vécu neuf ans au Québec et rêvé de s’y installer pour de bon, Ricardo Assis a fini par tout abandonner. Avec sa femme et ses trois enfants, cet ingénieur en aérospatiale est retourné au Brésil l’été dernier, après deux ans d’attente de sa résidence permanente demandée en 2018. Il n’a même jamais reçu d’accusé de réception. « La fin heureuse souhaitée n’est jamais arrivée », dit-il, dans un très bon français.
Ricardo Assis était pourtant plein d’espoir. Il était arrivé au Québec en 2011 avec un permis de travail temporaire de trois ans, embauché par un fournisseur de Bombardier. Mais après un premier renouvellement de permis, il a perdu son emploi en raison d’une baisse d’activité dans le secteur et il lui a été difficile de s’en trouver un autre puisque son permis de travail fermé le liait à son employeur.
Malgré tout, il a obtenu un certificat de sélection du Québec (CSQ) en 2018, la première étape de sa demande d’immigration, et a déposé peu de temps après son dossier de résidence permanente. « Comme je n’ai jamais reçu de réponse, ma situation est devenue insoutenable », explique le père de famille, joint par Le Devoir à Belo Horizonte, au Brésil.
Reposant entièrement sur le permis de travail temporaire de Ricardo Assis, la vie de la famille au Québec a complètement basculé. Sa femme, qui travaillait dans le secteur logistique à l’entrepôt de L’Oréal, a fini par ne plus avoir le droit de travailler. Sans permis de travail ni de confirmation que le processus de résidence permanente était en cours, la famille a perdu son assurance médicale et le condo qu’elle louait. « Le plus dur a été pour mes enfants. Les deux plus vieux étaient en 4e secondaire. Ils sont de très bons élèves et n’ont pas pu terminer leur secondaire ici. »
Une attente qui coûte cher
D’origine française, Marjolaine Masson attend sa résidence permanente depuis déjà deux ans et demi. Venue au Québec pour un postdoctorat en 2013, cette neuropsychologue a adoré son expérience et a finalement convaincu son conjoint de venir la rejoindre en 2015. « On a aussitôt lancé la procédure pour la résidence permanente », explique-t-elle. Mais étant travailleuse autonome, elle ne se qualifiait pas pour la voie rapide du Programme de l’expérience québécoise (PEQ).
Le message est : venez, on vous veut bien, mais on ne vous veut pas tant que ça, finalement.
Après des démarches laborieuses, ce n’est qu’en novembre 2018 qu’elle a déposé sa demande de résidence permanente pour elle et son conjoint. Signe que le dossier a cheminé, ils ont été invités par le gouvernement fédéral à passer aux étapes subséquentes du dossier médical et de la vérification des antécédents criminels. Or, le dossier stagne depuis l’automne dernier. « On voit [sur Internet] que la barre de progression de notre dossier est à 100 % depuis septembre 2020. Mais depuis, plus rien », explique cette mère de famille, qui vient d’accoucher d’un deuxième enfant né au Québec.
Les délais annoncés étaient de 18 mois au moment du dépôt de son dossier. « Ça commence à être vraiment long. Les coûts sont beaucoup plus importants que ce qu’on avait prévu. Et quand on contacte IRCC [Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada], on nous dit que c’est la faute de la COVID. Alors là, non. On n’y croit plus. »
Elle en est à son quatrième renouvellement de permis de travail, qui lui coûte des centaines de dollars chaque fois, et son conjoint est sans emploi depuis que son employeur a fait faillite il y a six mois. « Heureusement, il a droit au chômage, mais psychologiquement, c’est dur », admet-elle.
Partir ou rester ?
En juillet, cela fera trois ans que Valérie Hewyn attend des nouvelles de sa résidence permanente, qu’elle a demandée avec son conjoint. Cette Française d’origine, qui travaille comme ergothérapeute à Chibougamau, trouve cette attente — et le silence radio du gouvernement fédéral — très difficile. « C’est long et on ne comprend pas pourquoi. C’est ça qui est dur », dit-elle. « Je travaille en tant que travailleuse de la santé en région, ce qui répond exactement aux demandes d’immigration », ajoute celle qui a fait sa maîtrise au Québec.
C’est long et on ne comprend pas pourquoi. C’est ça qui est dur.
Elle déplore ne pas pouvoir se projeter dans sa vie au Québec. « C’est beaucoup de stress. On ne sait pas du tout quand on va l’avoir ni combien de temps encore ça va prendre », soutient la jeune femme, qui songe à repartir en France pour vivre cette attente. Parfois, elle se dit même qu’elle va proposer à son amoureux de partir pour Toronto, où l’attente est de moins d’un an.
Conseiller élu à l’Assemblée des Français à l’étranger, Yan Chantrel croit que le phénomène d’exode est réel et qu’il pourrait s’accentuer. « Ces dernières années, j’ai eu affaire à beaucoup plus de personnes qui m’ont dit qu’elles songent à aller dans une autre province ou ailleurs, car il y a trop d’obstacles pour immigrer au Québec, dit-il. On n’est pas sur une île. Et les francophones sont aussi recherchés dans les autres provinces. »
Vendre un (mauvais) rêve
Selon M. Chantrel, le « désenchantement » des Français vient du silence radio des autorités, mais aussi du message contradictoire envoyé par le gouvernement du Québec. « Ils ont l’impression qu’en France, on leur vend quelque chose de manière publicitaire, mais qui ne correspond pas à la réalité, car ce n’est pas un processus facilitant. Ça l’a déjà été, mais ce ne l’est plus, soutient-il. Le message est : venez, on vous veut bien, mais on ne vous veut pas tant que ça, finalement. »
Selon lui, le Québec a le droit de choisir la quantité d’immigrants qu’il souhaite accueillir, mais encore faut-il qu’il soit cohérent. « Quand l’intention est de vouloir moins d’immigrants, alors il ne faut pas faire toute cette promotion. […] Il faut avoir un discours de cohérence, sinon personne ne sera gagnant. »
M. Chantrel dit avoir écrit à la déléguée générale du Québec en France et à la ministre de l’Immigration, Nadine Girault, pour les sensibiliser au problème. Le discours tenu lors des campagnes faisant la promotion du Québec auprès des Français est loin de la réalité vécue et engendre une forme de désillusion, leur avait-il écrit. Ce décalage est « dommageable » pour le Québec, qui est pourtant une province qui « rayonne » dans la francophonie. « Il y a maintenant un petit risque là-dessus que l’image qui est véhiculée soit entachée. »
Québec n’avait pas le portrait complet
Après un imbroglio, la question du nombre de personnes en attente d’une résidence permanente semble avoir été résolue. Radio-Canada rapportait jeudi que 51 213 travailleurs qualifiés sélectionnés par le Québec étaient en attente d’une résidence permanente, soit un inventaire record. Ce chiffre, qui provient d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), avait surpris le cabinet de la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), Nadine Girault, qui avançait plutôt un chiffre deux fois moindre, soit 25 000. Jeudi, après vérification à la source auprès d’IRCC, le MIFI a appris qu’il n’avait pas le portrait complet. Le chiffre communiqué par le MIFI a été puisé dans le rapport mensuel de l’inventaire qu’il reçoit. Or, il tient uniquement compte de l’inventaire de demandes « en traitement » et non des demandes pour lesquelles aucun accusé de réception n’a pour l’instant été envoyé (19 500) ni des demandes finalisées non encore suivies de la délivrance de la résidence permanente(4000).