Survivre à l’exclusion sociale

André Lavoie
Collaboration spéciale
La pandémie a exacerbé les problèmes auxquels étaient déjà confrontées les personnes en situation d’itinérance.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir La pandémie a exacerbé les problèmes auxquels étaient déjà confrontées les personnes en situation d’itinérance.

Ce texte fait partie du cahier spécial 88e congrès de l'Acfas

Depuis le début de la pandémie, les personnes itinérantes sont à la fois visibles et invisibles : seules dans les rues, alors que tout le Québec est « mis sur pause », elles sont très loin des priorités depuis le début de cette situation chaotique. Sans compter le cafouillage lors de l’imposition du couvre-feu qui allait les plonger dans la peur, au moment où les places dans les centres d’hébergement se faisaient rares.

Toutes ces réalités seront explorées dans le cadre du colloque L’itinérance en quelques minutes au 88e congrès de l’Acfas. Non, les chercheurs, les intervenants sociaux, et les étudiants présents à cette journée d’échanges n’ont pas l’ambition de régler les problèmes en quelques coups de baguette magique. La formule se veut légèrement différente, inversant la séquence de déroulement de ce type d’événement : chaque présentateur doit partager ses idées et ses observations en peu de temps pour en donner davantage à l’auditoire au moment des échanges.

Carolyne Grimard, professeure à l’École de travail social de l’Université de Montréal et une des organisatrices de ce colloque, est ravie par l’enthousiasme de ses collègues pour cet exercice. « J’ai demandé aux gens d’éviter les PowerPoint, mais je suis consciente que ça peut en rassurer certains. Le but, c’est que l’on puisse les écouter avec attention, et rendre leurs travaux accessibles. »

L’itinérance à l’heure de la COVID-19

Ils n’auront pas trop d’une journée pour aborder toutes les questions qui préoccupent celles et ceux qui sont engagés dans les multiples réalités de l’itinérance au Québec. Car elles sont représentatives de l’évolution de notre société, passant des méthodes répressives et moralisatrices à une approche plus compatissante, cherchant avec les personnes en situation d’itinérance la porte de sortie hors de la rue.

Il s’agit tout de même d’une vision socio-historique quelque peu idéalisée, selon Carolyne Grimard. « Il y a une superposition des pratiques d’interventions, de contrôle social, et de care [NDA : une approche basée sur l’empathie et la sollicitude]. Elles cohabitent et, selon les métiers, certaines prennent plus de place que d’autres. Par exemple, quand les centres de jour mettent à pied des intervenants sociaux pour les remplacer par des gardiens de sécurité, c’est sûr qu’on va plus vers la répression que le care. »

Comme de nombreux intervenants et observateurs, Carolyne Grimard a fait elle aussi ce triste constat : la pandémie a exacerbé des problèmes déjà existants. Et comme tant d’autres, elle se désole devant des autorités ayant du mal à comprendre « que l’intervention d’urgence coûte plus cher que la prévention ». Depuis plus d’un an, et avec une intensité inédite, « on voit l’importance du logement social, du soutien communautaire, des intervenants sociaux dans les banques alimentaires pour faire des suivis, et aiguiller les gens vers d’autres ressources et services ».

Soulager l’itinérance a un prix

Dans le cadre du colloque, Étienne Paradis-Gagné, professeur adjoint à la Faculté des sciences infirmières de l’Université de Montréal, présentera la première partie d’une recherche amorcée en 2019 sur l’itinérance, mais d’abord du point de vue des infirmières et infirmiers qui interviennent auprès de ces personnes.

C’est un rôle « peu documenté », déplore celui qui a travaillé comme infirmier en psychiatrie au Centre hospitalier de l’Université Laval de même qu’à l’Institut Philippe-Pinel. Au fil des rencontres et des entrevues se dresse un double constat : ces soignants sont stigmatisés par les uns et louangés par les autres. « Il existe une hiérarchie au sein du réseau de la santé, et ces intervenants sont parfois perçus comme étant dans une catégorie à part. Si certains idéalisent leur rôle, d’autres les associent à leur clientèle », note le chercheur.

Or, ces soignants ne sont jamais autant stigmatisés que les personnes itinérantes. « Parfois c’est une perception, parfois c’est la réalité pour les itinérants, affirme-t-il, mais plusieurs intervenants nous ont confié à quel point ces personnes ne font pas confiance au réseau de la santé ni aux autres institutions, et qu’elles iront dans les urgences des hôpitaux seulement si c’est très grave. »

Comment faire alors pour rétablir la confiance ? Le chercheur ira bientôt à la rencontre des personnes itinérantes pour entendre leurs besoins, sur le terrain et dans un contexte difficile, celui de la COVID-19, de la crise des opioïdes, et du racisme. « La rue, c’est la survie », déplore Étienne Paradis-Gagné.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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