La déconversion, une épreuve existentielle encore taboue

Yves Casgrain
Collaboration spéciale
Pendant cinq années, Mélanie Gagné a déconstruit ses croyances une à une.
Photo: Karine Couillard Pendant cinq années, Mélanie Gagné a déconstruit ses croyances une à une.

Ce texte fait partie du cahier spécial Religions

Malgré la perte de popularité des institutions religieuses, nouvelles ou traditionnelles, sectaires ou non, l’appartenance à une religion et la pratique cultuelle propre à celle-ci revêtent une importance capitale pour des milliers de Québécois. Elles constituent le socle de leur existence et de leur vision du monde. Lorsque l’adepte remet en cause les croyances de son mouvement religieux et le quitte, parfois contre sa volonté, il provoque un tsunami intérieur qui détruit non seulement sa vision du monde, mais également son réseau social, essentiellement constitué par ses anciens coreligionnaires. Isolé et ne trouvant plus les mots pour se définir, il peut errer ainsi pendant des années avant de pouvoir se reconstruire.

C'est ce qu’a vécu Mélanie Gagné en 2011. Missionnaire durant quatre années dans un mouvement de type évangélique, elle vit alors une profonde remise en question qui l’entraînera à tout abandonner, y compris son mari, missionnaire tout comme elle.

« Cela a été assez soudain. Quelque chose au-dedans de moi s’est dit : “Je suis épuisée spirituellement d’avoir à défendre mon point de vue avec un pasteur et un autre et un autre. Frustrée de me faire attaquer dans des sermons. Je ne sais plus ce qui est vrai et ce qui est faux dans les enseignements. Je suis épuisée d’avoir à surveiller mes pensées et mes actions. Je ne suis plus capable. J’ai envie de tout quitter.” »

Fatigue spirituelle

 

Détentrice d’un diplôme en enseignement au primaire, Mélanie Gagné décide de poursuivre ses études universitaires en s’inscrivant au programme de maîtrise en étude des pratiques psychosociales de l’Université du Québec à Rimouski. Son mémoire, publié en 2016, s’inspire directement de son expérience de « déconversion », expression qu’elle découvre dans les publications scientifiques consacrées à ce processus de reconstruction.

« C’est vraiment grâce à la maîtrise que je suis entrée dans une étude très volontaire de mon parcours. Cela m’a aidée à devenir consciente de ce qui se passait en moi et à nommer ma fatigue spirituelle. » Toujours croyante, elle visite, pour les besoins de son mémoire, d’autres mouvements religieux.

« Cependant, j’avais toujours le goût de vomir ma spiritualité, confie-t-elle. Je n’étais plus capable ! Je vivais un processus de déconstruction. J’ai forcé l’ouverture. C’est comme si je prenais mes croyances une à une et que je les regardais en face. Je me disais : “Est-ce que cela me convient vraiment ?” Je déconstruisais mes croyances une à une. » Ce processus a duré cinq ans.

Celle qui dit ne plus croire en Dieu, du moins tel que conçu par la religion chrétienne, définit l’expression « déconversion » comme un « changement de cap. C’est un retournement à 180 degrés pour revenir… eh bien… à rien ! Se déconvertir, c’est perdre des croyances. C’est voir notre vision du monde s’effondrer. C’est voir notre identité se déliter. Ceux qui vivent ce processus peuvent se sentir complètement perdus, en perte de repères. Certains vivent des symptômes dépressifs, ce qui est assez commun chez ceux qui ont été forcés de quitter leur mouvement. À l’inverse, ceux qui en sortent librement expérimentent un sentiment de libération. »

En 2015, Mélanie Gagné met en ligne un blogue dans lequel elle témoigne de son expérience. Des dizaines de personnes qui se reconnaissent en elle se joignent immédiatement à elle.« Lorsque nous quittons un milieu religieux, nous nous sentons isolés, incompris. Nous ne savons pas comment exprimer notre vécu à notre entourage. Nous sommes très ostracisés, car nous sommes coupés de la communauté dont nous faisions partie avant de la quitter. Les membres de cette communauté nous disent que nous sommes dans l’erreur. De rencontrer des ex-religieux qui peuvent nous aider, cela nous fait un bien énorme. »

Écrire pour guérir

 

Elle décide donc de créer un groupe d’ex-religieux. À l’heure actuelle, il comprend près d’une trentaine de membres. Avec eux, elle organise des retraites de manière plus ou moins régulière. « Le but du groupe, c’est d’offrir un endroit sécuritaire où des gens qui sont en questionnement ou qui ont quitté le mouvement religieux puissent se retrouver et discuter de leur cheminement. Je veux créer un nid où ils vont tous se sentir en sécurité pour éclore à leur couleur. Je veux accueillir l’être humain dans son cheminement. »

En pleine pandémie, elle publie son autobiographie, qu’elle intitule sobrement Déconversion. Ce livre est immédiatement suivi par le projet d’un collectif qui sera publié d’ici la fin de l’année 2021 ou au début de l’année prochaine. « L’ouvrage n’est pas encore terminé, mais nous avons recueilli 14 témoignages », dont celui d’Édith Blais, cette jeune Sherbrookoise enlevée au Burkina Faso le 15 décembre 2018.

« La majorité des auteurs du livre n’avait jamais publié leur témoignage. J’ai constaté que de mettre leur histoire sur papier, de trouver les mots pour le dire, d’être entendus pour la première fois par les autres a eu un effet guérisseur chez plusieurs. »

Bien que le style et le contenu des témoignages diffèrent grandement, Mélanie Gagné constate que certains parlent de la sexualité qui, dans bien des groupes, est totalement opprimée. « Plusieurs soulignent le sentiment de honte qui les habitait alors qu’ils étaient encore adeptes de leur mouvement. Honte du désir, honte de ne pas être parfait. »

Mélanie Gagné est accompagnée dans ce projet littéraire par Raphaël Mathieu Legault-Laberge, coordonnateur et chercheur partenaire au Centre de recherche Société, Droit et Religions de l’Université de Sherbrooke. Celui qui signe la préface du collectif à paraître avance que le processus de déconversion est une « redéfinition de l’appartenance. Dans cette redéfinition des repères et des réseaux d’appartenance, les gens vont refaire une structure à leur vie et rencontrer de nouvelles personnes et s’inclure dans de nouveaux groupes. Il n’y a rien de facile dans tout cela. L’ensemble des témoignages du collectif démontre qu’il y a eu des difficultés. C’est assez unanime à ce chapitre », confie-t-il.

Avec ce livre écrit à plusieurs mains, Mélanie Gagné souhaite « faire tomber le tabou qui subsiste autour de la sortie de religion et de la remise en question religieuse et spirituelle ».

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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