Le racisme anti-asiatique dénoncé dans les rues de Montréal

Plus de 1000 personnes se sont rassemblées dimanche au centre-ville de Montréal pour dénoncer le racisme anti-asiatique. La marche, à l’initiative du Groupe d’entraide contre le racisme envers les Asiatiques du Québec et de l’organisme Chinois progressistes du Québec, a attiré plusieurs personnalités politiques qui ont dénoncé d’une seule voix la montée des crimes haineux envers les Asiatiques depuis le début de la pandémie.
La semaine dernière, des fusillades dans des salons de massage asiatiques à Atlanta ont fait huit morts, dont six femmes d’origine asiatique. Les enquêteurs dans cette affaire n’ont pas encore établi s’il s’agissait d’un crime haineux. Mais pour les participants à la marche de dimanche à Montréal, cela ne faisait aucun doute. L’onde de choc a frappé jusqu’ici : « C’est la goutte qui a fait déborder le vase », a dit Walter Chyan Tom, l’un des participants.
« La pandémie a mis en lumière ce racisme que les communautés asiatiques subissent depuis longtemps. Et la violence augmente encore, comme on l’a vu à Atlanta », a affirmé Julie Tran, l’une des organisatrices. Selon elle, les stéréotypes des « Asiatiques discrets » et une certaine crainte d’être stigmatisés ont freiné les dénonciations de la part des membres de la communauté.
Au micro devant la foule, Mme Tran a dénoncé la perception de la communauté comme « un bon peuple qui ne crée pas de trouble » et les clichés sur les femmes en particulier, comme cette fausse idée qu’elles soient « toutes petites comme des poupées geishas ». « C’est ce fétichisme et cette sexualisation du corps des Asiatiques qui a tué six femmes à Atlanta », a dit la jeune femme. Elle dit recevoir des témoignages dans son groupe d’entraide tous les jours à propos d’insultes et de comportements racistes.
« En recrudescence »
« Plusieurs personnes de la communauté craignent de sortir, et pas seulement à cause du virus. Elles ont peur d’être prises pour cible », a dit May Chiu, une autre organisatrice. Avant même le début du confinement en 2020, la communauté d’affaires du quartier chinois avait remarqué une baisse d’achalandage, dit-elle, y voyant un amalgame erroné et nocif entre le coronavirus et les personnes d’origine chinoise ou vietnamienne. Puis, une vague de vandalisme est survenue en mars 2020 dans ce quartier et, plus récemment, une série d’incidents qui doivent être traités comme des actes haineux, selon elle.
Aux côtés des organisatrices, la conseillère de la Ville de Montréal Cathy Wong a aussi affirmé que cette marche est « un devoir d’histoire ». Le Canada, à l’instar des États-Unis, a connu des décennies de politiques migratoires racistes qui interdisaient l’entrée des Chinois sur le territoire. L’augmentation des crimes haineux se replace donc dans un contexte historique de racisme anti-asiatique, y compris de la part de l’État. Malgré tout, « nous nous tenons encore debout », a dit Mme Wong sous les applaudissements.
Benoit Charette, le ministre responsable de la Lutte contre le racisme, était également sur place et a reconnu que le racisme anti-asiatique était « en recrudescence ». « Toutes les formes de racisme sont préoccupantes », a-t-il ajouté en entrevue, peu après qu’un manifestant eut tenté de lui faire reconnaître que le racisme était « systémique ». Son gouvernement refuse d’utiliser ce terme.
Bochra Manaï, première commissaire à la lutte contre le racisme à Montréal, a quant à elle insisté sur cet aspect « systémique ». Elle a aussi incité à signaler tout geste de ce genre à la police : « On ne doit céder en rien face à l’atteinte à la dignité. »
« C’est comme si la méfiance, la moquerie et les autres agressions plus sournoises étaient devenues du racisme ouvertement exprimé à la face des Asiatiques avec la pandémie », a quant à lui remarqué l’entrepreneur Winston Chan.
Après les discours des organisatrices, la marche s’est dirigée vers les bureaux du premier ministre François Legault, avenue McGill College, puis vers le quartier chinois.
Droits des travailleuses du sexe
Une veillée était aussi organisée, plus tard en journée, par des groupes de défense des droits des travailleuses du sexe. Sandra Wesley, directrice de l’organisme Stella, a insisté pour attirer l’attention sur le statut précaire des travailleuses du sexe asiatiques, surtout les immigrantes. « Les événements d’Atlanta ne sont pas un incident isolé », a-t-elle affirmé.
Tout en reconnaissant que les employés des salons de massage ne s’identifient pas nécessairement comme « travailleur ou travailleuse du sexe », l’organisation Butterfly a aussi appelé à l’unité devant l’urgence d’agir. « Les femmes asiatiques dans les salons de massage ont des armes invisibles pointées sur elles tous les jours », a illustré la directrice,Elene Lam, par la voix d’une porte-parole sur place dimanche. Elle s’est dite inquiète que d’autres personnes « imitent » les crimes d’Atlanta.
Ces deux groupes revendiquent la décriminalisation du travail du sexe, notamment pour des raisons de sécurité des travailleuses et des travailleurs. « Nous en avons assez d’être effacées de l’histoire », a conclu Sophie, une proche de l’organisation Stella qui a préféré taire son nom de famille.