​Double féminicide à Sainte-Sophie: une ex-conjointe du suspect juge ne pas avoir été prise au sérieux

Les nuits de Marie-Ève sont perturbées par l'idée que le double meurtre du 1er mars dernier aurait pu être évité si le tribunal avait pris davantage au sérieux la dangerosité de Benjamin Soudin, accusé vendredi de meurtres non prémédités.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Les nuits de Marie-Ève sont perturbées par l'idée que le double meurtre du 1er mars dernier aurait pu être évité si le tribunal avait pris davantage au sérieux la dangerosité de Benjamin Soudin, accusé vendredi de meurtres non prémédités.

Marie-Ève estime ne pas avoir été prise au sérieux lorsqu’elle a porté plainte contre son ex-conjoint, il y a cinq ans. Pendant qu’elle était isolée en maison d’hébergement, Benjamin Soudin jouissait de sa pleine liberté. Aujourd’hui, il est accusé du double féminicide survenu il y a trois semaines dans les Laurentides.

« J’ai fait confiance au système de justice, mais je réalise que, malheureusement, la liberté d’un accusé est plus importante que la sécurité d’une femme », confie Marie-Ève en entrevue au Devoir.

La femme, qui préfère taire son nom de famille pour éviter les représailles, a accepté de témoigner du parcours de combattante qu’elle a traversé pour porter plainte dans l’espoir d’éviter à d’autres femmes de vivre dans la crainte. « Je veux qu’on s’ouvre les yeux sur l’incapacité du système actuel à protéger les personnes vulnérables qui vivent de la violence conjugale, autant les femmes que leurs enfants », insiste-t-elle.

Il y a cinq ans, Marie-Ève était en couple depuis quelques années avec Benjamin Soudin, qui a été formellement accusé vendredi d’avoir tué son ex-conjointe, Myriam Dallaire, et sa belle-mère, Sylvie Bisson, le 1er mars dernier à Sainte-Sophie, près de Saint-Jérôme (voir le texte du haut). « C’est certain que, des fois, je me dis que ça aurait pu être moi », laisse-t-elle tomber, le regard inquiet.

Les corps inanimés des deux femmes ont été retrouvés dans leur maison de la rue Samson à la suite d’un appel au 911. Elles ont été transportées dans un centre hospitalier, où le décès de la mère de 60 ans a été constaté. Myriam Dallaire, 28 ans, a succombé à ses blessures le lendemain.

Benjamin Soudin aurait fui les lieux après la double attaque avant d’être impliqué dans un accident de la route à Saint-Jérôme dans les minutes qui ont suivi.

Des faits « minimisés »

Depuis, les nuits de Marie-Ève sont perturbées par l’idée que ces meurtres auraient pu être évités. Elle s’explique mal que la dangerosité de Benjamin Soudin n’ait pas été prise davantage au sérieux par le tribunal même s’il avait un lourd passé lorsqu’il a plaidé coupable à des accusations de voies de fait et de menaces de mort envers elle en janvier 2018, deux ans après le dépôt des accusations.

Devant la cour, Benjamin Soudin avait notamment reconnu l’avoir « grafignée ». « La séparation ne s’est pas bien faite. Il y a eu une bousculade et des mots malheureux ont été échangés », avait expliqué l’avocat de l’homme à l’époque.

Cinq ans plus tard, Marie-Ève réalise que la version des faits présentée au tribunal n’est pas fidèle à ce qu’elle a vécu. N’ayant plus à témoigner puisqu’il avait plaidé coupable, la femme n’avait pas assisté à l’audience. « Je n’ai jamais pensé que la violence qu’il m’a fait subir allait être minimisée de la sorte. Je trouve ça fâchant », regrette-t-elle.

Devant le tribunal, M. Soudin avait également juré avoir repris sa vie en main. « J’ai décidé de changer », avait-il plaidé, écopant d’une peine de 150 heures de travaux communautaires.

« Des sentences de travaux communautaires, non seulement ce n’est pas exemplaire, mais ça ne sert personne, déplore Marie-Ève. Ça ne sert pas les hommes et ça ne sert pas les femmes non plus. Ils devraient plutôt investir ce temps-là à travailler sur eux, à être suivis en thérapie et à se responsabiliser face aux gestes qu’ils ont commis. »

Marie-Ève se remémore également l’expérience difficile qu’elle a vécue lorsqu’elle a porté plainte contre son ex-conjoint en 2016. « Au poste, le policier trouvait que je n’avais pas assez peur de lui parce que je ne voulais pas aller en maison d’hébergement », raconte-t-elle.

Elle avait pourtant changé toutes les serrures de son logement parce qu’il refusait de lui redonner le double des clés. Elle dormait même avec la manette de l’alarme de son auto dans la main. « Il a fallu que je démontre ma peur pour qu’on prenne ma plainte. »

Porter plainte en vain ?

Après le dépôt des accusations, son ex a été libéré en attendant son procès. De son côté, Marie-Ève s’est rendue dans une maison pour femmes victimes de violence conjugale. « Il y a une incohérence à ce qu’on libère un homme, mais que, parallèlement, pour protéger une femme, on l’emprisonne dans une maison d’hébergement », souligne-t-elle.

Certains jours, la femme se rassure et estime avoir pris la bonne décision en portant plainte contre son ex, en 2016. D’autres, elle est rongée par le sentiment que sa démarche a été faite en vain.

« J’ai l’impression que ç’a été inutile. Ce procès-là aurait pu ne pas avoir lieu et le résultat aurait été le même aujourd’hui », se désole-t-elle. « Mais j’ose à peine imaginer les remords que j’aurais aujourd’hui si je ne l’avais pas fait. Je m’en voudrais et j’aurais un énorme sentiment de culpabilité », poursuit-elle.

Au lendemain du double meurtre, le premier ministre François Legault a tenu à adresser quelques mots aux Québécois. « Il n’y a rien de masculin, il n’y a rien de viril d’être violent avec une femme. Au contraire, je trouve ça lâche », avait-il dit.

« J’ai trouvé que c’était infantilisant », confie Marie-Ève. « Dire aux hommes : “On va se le dire, ceux qui ne frappent pas, ce sont des braves, pis ceux qui frappent ce sont des lâches”, ce n’est pas de ça qu’on a besoin. Ce dont on a besoin, ce sont des suivis des conjoints violents, des évaluations de leur dangerosité, des comptes rendus pour s’assurer qu’ils ne constituent pas un danger pour leur entourage, ou signifier que l’accusé a été réfractaire à toute forme de progression ou de cheminement », conclut-elle.


 

Si vous êtes victime de violence conjugale, vous pouvez contacter SOS Violence conjugale au 1 800 363-9010.



À voir en vidéo