Immigration: des délais encore plus longs et des rêves brisés

Des délais qui s’allongent encore et des rêves d’immigration brisés. C’est en partie l’impact que laisse un an de pandémie sur des parcours migratoires qui ont vu dévier leur trajectoire.

Il y a un an jour pour jour, personne ne pouvait s’imaginer une fermeture complète des frontières et encore moins en prédire les répercussions, soutient Natacha Mignon, avocate en immigration chez Immétis. « Fermer les frontières en cette période d’échanges internationaux, ça a été un cataclysme. C’est une chose à laquelle on ne s’attendait pas », dit-elle. Parmi les répercussions majeures, elle cite d’entrée de jeu l’arrêt soudain des visites commerciales de futurs investisseurs. Le même sort est réservé aux personnes à l’étranger à qui on avait accordé une résidence permanente : depuis un an, elles doivent rester chez elles et sont empêchées de venir vivre leur « rêve canadien ».

Toutes catégories confondues, le gouvernement n’a admis que 25 000 immigrants en 2020, soit à peine plus de 50 % de sa cible de 44 500. En octobre dernier, il a d’ailleurs prévu un rattrapage d’au moins 7000 personnes cette année, en plus de l’objectif annuel.

La fermeture soudaine des frontières a également compliqué les renouvellements de permis de travail. Le fameux « tour du poteau » n’était plus possible. Cette manœuvre qui consiste à demander un renouvellement d’un statut en allant aux États-Unis par la frontière terrestre la plus proche, et à revenir le même jour, voire aussitôt, permet un traitement accéléré qui fait économiser de quatre à six mois. « Maintenant, ça se fait à certains endroits, mais ça reste incertain », dit Thibault Camara, instigateur du mouvement Le Québec, c’est nous aussi.

Rallongement des délais

 

Les restrictions de voyage, la fermeture des ambassades, des centres de traitements fédéraux des visas à l’étranger et des centres de biométrie ont également contribué au rallongement des délais, quel que soit le statut demandé. « Les gens des bureaux des visas à l’étranger ont été rapatriés au Canada. Ça a beaucoup ralenti le processus, surtout pour le parrainage », a dit Thibault Camara.

En ce qui concerne l’obtention d’une résidence permanente, il faut désormais attendre un minimum de 27 mois au fédéral, selon ce qu’affichent les sites gouvernementaux, ou 33 mois en comptant le délai pour obtenir le certificat de sélection du Québec. À titre comparatif, ailleurs au Canada, ce délai est de six mois au total.

La fermeture des frontières a directement touché la vie de plusieurs étudiants internationaux, qui n’ont pas pu venir au Québec pour suivre leurs cours à l’université. « Il y a des étudiants qui paient les droits de scolarité d’une université québécoise mais qui suivent leurs cours depuis leur chambre en France », souligne M. Camara.

Impact psychologique

 

Au-delà des délais et des chiffres, l’impact de la pandémie a aussi été psychologique pour toutes ces personnes qui avaient des rêves « plein les yeux », croit Me Natacha Mignon. « J’ai vu des travailleurs décider de reporter leur projet de venir au Canada quitte à prendre le risque de perdre l’emploi qu’ils avaient ici », dit-elle. « Si vous savez que vous venez dans un pays et qu’il sera difficile que vos proches vous rendent visite ou que vous puissiez retourner les voir dans votre pays d’origine […], c’est moins alléchant. »

L’avocate tient toutefois à dissiper la confusion : ce n’est pas parce que les frontières étaient fermées qu’il était impossible d’obtenir un permis de travail. Malgré tout, quand les frontières rouvriront, elle prédit le contrecoup de cette fermeture : une hausse massive des demandes.

Mia Homsy, présidente-directrice générale de l’Institut du Québec, est d’avis que la pandémie et la fermeture des frontières n’ont fait qu’accentuer la nécessité d’avoir recours à des travailleurs immigrants. Car si certains domaines connaissent un fort ralentissement économique, comme l’hôtellerie et la restauration, ce n’est pas le cas de secteurs comme l’agroalimentaire, délaissé par les Québécois. « Le premier ministre avait essayé de les attirer en disant : “Allez dans les champs, on perd des laitues parce qu’on ne peut pas les cueillir.” Eh bien, on a perdu des laitues parce qu’on n’a pas été en mesure de les cueillir », rappelle-t-elle.

Lorsque les mesures sanitaires vont s’assouplir et qu’on assistera à la réouverture des frontières, l’enjeu de la pénurie de main-d’œuvre devrait être encore plus criant qu’avant dans certains secteurs, croit-elle, brandissant les plus récents chiffres de Statistique Canada. « La pandémie a eu comme effet de réduire la population active. Ça veut dire que des gens de 55 ans et plus se seront retirés du marché du travail, explique Mme Homsy. Et en plus, on va avoir accueilli moins de monde pendant un an. »

Selon elle, le Québec devra être d’autant plus prêt pour la relance. « Je comprends que l’objectif du gouvernement est le rattrapage, mais va-t-il en être capable ? La collaboration Québec-Ottawa sera-t-elle assez bonne ? Je ne sais pas si on va y arriver, mais l’économie, elle, va en avoir énormément besoin. »

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