Un autre cas de discrimination envers une Autochtone touche le CLSC de Joliette
Des infirmières du CLSC de Joliette se seraient moquées d’une femme atikamekw qui recevait des soins en lui disant : « On va t’appeler Joyce. » Elles ont été suspendues sans solde le temps que le CISSS de Lanaudière mène son enquête.
Jocelyne Ottawa, 62 ans, vient de Manawan. Depuis quelques semaines, elle réside à Joliette, car elle doit recevoir des soins réguliers pour une blessure au pied. Généralement, c’est une infirmière qui vient la voir à domicile. Mais vendredi dernier, elle a dû se rendre elle-même au CLSC de Joliette pour faire changer son pansement. C’était sa première visite dans cet établissement.
« Il y avait deux infirmières qui m’ont reçue et, quand elles ont vu mon nom, il y en a une qui a dit : “On va t’appeler Joyce, ça sonne comme Jocelyne. Ça va être Joyce pour les intimes.” Elles riaient, elles trouvaient ça drôle. »
Je n’ai rien dit sur les propos qu’elles ont tenus, parce que j’avais un peu peur qu’elles décident de ne plus me donner de soins. J’ai besoin de ces soins.
La dame a tout de suite pensé à Joyce Echaquan, une Atikamekw de Manawan qui est décédée en septembre dernier après avoir filmé les infirmières qui la ridiculisaient à l’hôpital de Joliette. « Quand ils ont dit le nom de Joyce, je me suis dit : “Ils trouvent encore un moyen de rire d’elle, elle a assez souffert et il y a encore du monde qui veut rire d’elle.” »
La dame a senti qu’on se moquait d’elle aussi, d’autant plus que, par la suite, on lui aurait demandé de chanter une chanson en atikamekw.« Je leur ai juste répondu que je n’avais pas la tête à chanter une chanson. »
Peur de représailles
Lorsque les infirmières ont eu fini de refaire le pansement, Jocelyne Ottawa a cherché son cellulaire, qu’elle avait laissé sur le bord de la civière. « Une infirmière m’a demandé ce que je cherchais. J’ai dit : “Mon cellulaire.” Elle a répondu : “c’est moi qui l’ai dans les mains, en riant d’un rire sarcastique. Je voulais voler vos données, qu’elle a dit.” »
Jocelyne Ottawa a répondu qu’elles n’avaient pas le droit de consulter son cellulaire, mais elle n’a rien dit de plus. Elle a ravalé sa douleur et ses émotions. « Je me suis sentie humiliée d’être traitée comme ça », affirme-t-elle. « Je n’ai rien dit sur les propos qu’elles ont tenus, parce que j’avais un peu peur qu’elles décident de ne plus me donner de soins. J’ai besoin de ces soins. »
Elle était triste lorsqu’elle est revenue à sa chambre, au foyer Rosalie, qui accueille les Autochtones nécessitant des soins de santé à Joliette. D’autant plus qu’elle était loin des siens. Un appel de ses sœurs sur FaceTime lui a remonté le moral.
Le lendemain, elle a raconté son expérience dans un statut en atikamekw sur sa page Facebook. Plusieurs personnes lui ont recommandé de porter plainte officiellement, mais elle craint toujours de subir des représailles.
Suspendues sans solde
Au CISSS de Lanaudière, la p.-d.g. par intérim, Caroline Barbir, affirme avoir été informée de la situation à la suite de la demande du Devoir lundi matin. Elle parle d’un « horrible événement » et reconnaît qu’il s’agit de « comportements racistes ».
« Dès que j’ai su ça, j’ai parlé à notre agente en sécurisation culturelle pour lui demander de rencontrer la personne qui a subi cet événement de racisme afin de documenter ce malencontreux épisode », affirme Mme Barbir. Elle affirme avoir proposé d’offrir elle-même ses excuses à Mme Ottawa tellement elle était « indignée » par ces événements.
Il y avait deux infirmières qui m’ont reçue et, quand elles ont vu mon nom, il y en a une qui a dit : “On va t’appeler Joyce, ça sonne comme Jocelyne. Ça va être Joyce pour les intimes.” Elles riaient, elles trouvaient ça drôle.
Les deux infirmières concernées ont été identifiées, assure Mme Barbir, et elles ont été suspendues sans solde en attendant de connaître les résultats de l’enquête interne. « Habituellement, les gens sont suspendus avec solde, mais, cette fois-ci, j’ai demandé qu’elles soient suspendues sans solde compte tenu de la gravité. Il faut aller voir [ce qui s’est réellement passé], mais si c’est vrai, c’est un manquement déontologique très grave. »
« Complètement inhumain »
En entrevue au Devoir, le chef de l’Assemblée des Premières Nations, Ghislain Picard, a dénoncé cet événement. « Je suis complètement renversé, surtout que ça se passe à Joliette. C’est tout à fait inacceptable. »
Se moquer du nom et de la mémoire de Joyce Echaquan est, selon lui, « complètement inhumain ». « C’est ajouter l’insulte à l’injure », affirme-t-il, d’autant que Joyce est devenue un « symbole de solidarité qui a contribué à remettre en question plein de choses au Québec ».
À la suite du décès de Joyce Echaquan, une infirmière et une préposée aux bénéficiaires ont été congédiées. Le p.-d.g. de l’époque, Daniel Castonguay, a également perdu son poste en décembre.
Le CISSS de Lanaudière a annoncé le mois dernier, avec le gouvernement du Québec et le chef de Manawan, de nouvelles mesures de sécurisation culturelle pour les autochtones, dont la création d’un poste d’adjoint au p.-d.g. qui sera occupé par un Atikamekw de Manawan.
« On a vu dans le dossier de Joyce Echaquan qu’on a un changement majeur culturel à faire comme organisation, a reconnu Mme Barbir lundi. Et les changements de cette envergure, ça prend du temps, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Ça se fait avec de la formation et de la sensibilisation, mais aussi avec des politiques de tolérance zéro. »