En Alberta, les francophones ne sont-ils qu’une communauté parmi d’autres?

Mars marque le Mois de la francophonie en Alberta. Une occasion de célébrer le fait francophone aux quatre coins de la province. Pourtant, cette communauté continue de voir certains de ses acquis reculer.
Voir flotter durant un mois entier le drapeau franco-albertain devant le parlement de la province peut sembler anodin, quand on vit en milieu linguistique majoritaire. Mais en milieu minoritaire, c’est une preuve de reconnaissance publique, une prérogative difficilement obtenue qui contribue à la visibilité de la francophonie.
Si le mois de mars est considéré comme une fête en Alberta, où prestations musicales, activités, concours et jeux linguistiques animent le calendrier des francophones en ces temps de COVID-19, il reste tout de même une ombre au tableau. Pour une deuxième année consécutive, le drapeau franco-albertain flottera moins d’un jour au-dessus du parlement au lieu d’un mois, comme l’avait décidé en 2017 l’ancien gouvernement néodémocrate.
« Il est relayé au même statut que les autres drapeaux, comme le drapeau du Jour des bénévoles ou bien le drapeau LGBTQ, au lieu d’être traité comme un emblème officiel de la province », déplore Annie McKitrick, ancienne députée sous ce gouvernement de Rachel Notley (2015-2019).
L’organisme porte-parole de la province, l’Association canadienne-française de l’Alberta (ACFA), n’avait pas été informé à l’avance par l’actuel gouvernement conservateur d’un tel changement. Le drapeau franco-albertain a perdu le privilège obtenu il y a quatre ans, à la suite de l’adoption en 2019 d’un protocole limitant la durée des drapeaux hissés à une journée pour chacun d’eux. Le bureau de Leela Aheer, ministre de la Culture, du Multiculturalisme et de la Condition féminine et responsable du Secrétariat francophone, avait alors répondu que c’était pour « assurer la cohérence et l’équité » parmi ces derniers. Le drapeau franco-albertain est ainsi devenu un drapeau comme tous les autres.
« Les acquis ne sont jamais éternels », affirme Victor Moke Ngala, président de Francophonie albertaine plurielle (FRAP). « Je pense que c’est un recul par rapport à la promesse de l’ancien gouvernement. Tout dépend du gouvernement qui arrive, ça peut tout changer. C’est ce que nous sommes en train de voir et c’est vraiment dommage », exprime-t-il avec regret.
Une francophonie diluée
Cet épisode n’est pas sans rappeler la suppression, en 2017, de la Direction de l’éducation française, établie alors depuis presque 40 ans au sein du ministère de l’Éducation provincial. Elle était chargée de gérer l’éducation en français en Alberta.
Là encore, une décision a été prise unilatéralement par le gouvernement, cette fois-ci néodémocrate, et ce, dans la plus grande indifférence.
« C’était une voix collective pour les francophones et les programmes d’immersion au ministère de l’Éducation », rappelle Elissa Corsi, la responsable des communications de l’Alberta Teachers’ Association (ATA). Aujourd’hui, cette voix est diluée, rapporte-t-elle. « Les représentants francophones se trouvent éparpillés dans différents départements à travers le ministère de l’Éducation, composés majoritairement d’anglophones. »
À l’époque, l’ATA avait fait des démarches auprès du ministère de l’Éducation par l’entremise d’un conseil de spécialistes, le Conseil français, afin de demander quelle serait la répercussion de ce changement sur les enseignants francophones et d’immersion. Aujourd’hui, le Conseil français de l’ATA attend toujours. « Nous n’avons jamais reçu de réponse à ce sujet », déclare au Devoir Mme Corsi.
Si l’existence de la Direction de l’éducation française avait perduré, cette dernière aurait pu être à la table des négociations afin de faire entendre la voix des francophones lors de la refonte des programmes scolaires en octobre dernier.
Cette question avait soulevé le courroux des Franco-Albertains, indignés par la série de recommandations où l’histoire et la perspective franco-albertaines étaient quasiment absentes du programme proposé par le Parti conservateur.
En ce qui concerne le niveau postsecondaire, la ministre fédérale des Langues officielles, Mélanie Joly, a annoncé cette semaine qu’elle mettait 3,7 millions de dollars sur la table, à condition que le gouvernement provincial propose un partenariat financier pour soutenir les besoins du Campus Saint-Jean.
Pour Valérie Lapointe Gagnon, qui y est professeure agrégée d’histoire et de droits linguistique, il n’y a jamais eu une grande reconnaissance de la francophonie dans l’espace public.
« Les francophones se battent constamment pour que le patrimoine soit reconnu, tant au provincial qu’au municipal. Les gouvernements se sont battus contre les francophones dans toutes les causes juridiques les concernant. On l’a vu récemment avec les frais juridiques payés (1,5 million de dollars) par le gouvernement Kenney dans le cas concernant Saint-Jean », conclut-elle.
Une version précédente de ce texte comportait une erreur quant au nom de Mme Elissa Corsi. Le texte a depuis été corrigé. Nos excuses.