L'authenticité des femmes dans l'œil de Bénédicte Brocard

Bénédicte Brocard Collaboration spéciale
De gauche à droite: Pauline Marois, Mylène Paquette et Mitsou Gélinas
Photomontage: Bénédicte Brocard De gauche à droite: Pauline Marois, Mylène Paquette et Mitsou Gélinas

Ce texte fait partie du cahier spécial Journée internationale des femmes

La photographe Bénédicte Brocard partage un extrait de son essai photographique qui se rapporte à l’authenticité et au regard que les femmes portent sur elles-mêmes.


Photographe portraitiste depuis une quinzaine d’années, Bénédicte est passionnée par l’actualité, l’entrepreneuriat et la position des femmes dans la société. Ses 50 ans de vie et les aléas associés l’ont amenée à une certaine introspection. Cette quête de sincérité qui l’anime la conduit naturellement à s’interroger sur sa pratique et sur les notions de rapport à l’image.

La photographie nous entoure, nous traque, nous étouffe parfois par sa quantité. Cela nous change, et change notre perception de la réalité, selon la photographe. Son projet Vraie. est ainsi né d’une réflexion personnelle menée à travers sa pratique professionnelle. « Qu’est-ce que je photographie, qu’est-ce que mon œil de portraitiste saisit et transmet ? Est-ce que mes images traduisent la vérité, l’authenticité ? » Voilà quelques-unes des questions qu’elle se pose continuellement.

Par cet essai photographique, Bénédicte Brocard cherche à revenir sur des choses essentielles. À travers des portraits non maîtrisés, non calculés, elle tente de mettre ses modèles face à elles-mêmes. Le projet consiste à organiser des rencontres avec des femmes véhiculant une image publique conforme aux attentes médiatiques ou institutionnelles. Sans préparation, ces femmes sont invitées à se laisser photographier dans le cadre de leur vie ordinaire, un espace de liberté dénué d’attente où elles sont elles, tout simplement.

Le choix des photos retenues fait ensuite partie du processus de création. Lors d’une seconde visite, elle révèle ses photographies aux modèles, les invitant à faire le choix sincère d’une seule image. Cette sélection unique est orientée en fonction de la question de l’authenticité. « Où suis-je la plus vraie ? » C’est alors que la magie opère.

Cette aventure pleine de rencontres a débuté en 2017. Ce sont aujourd’hui 15 femmes qui ont été rencontrées et photographiées. Voici ici un extrait d’un livre en devenir, avec les rencontres de Pauline Marois, Mylène Paquette et Mitsou.


PAULINE MAROIS

Photomontage: Bénédicte Brocard

Le choix du modèle (à gauche)

L’authenticité est une notion fortement ancrée dans les valeurs et dans la vie de la femme politique au franc-parler que nous connaissons. Pour elle, l’authenticité est tout d’abord liée au courage dans la démonstration de ses convictions et à la défense de ses valeurs. Selon Mme Marois, être authentique, c’est l’aptitude à s’accepter dans son entièreté. En nous ouvrant la porte de son monde intérieur, elle nous donne un aperçu privilégié de cet amour-propre. Comme elle nous le mentionne, ce ne sont pas que nos côtés lumineux et enviables qui font de nous des êtres à part entière, ce sont aussi nos côtés sombres et parfois critiquables.

Mme Marois est une adepte de la photographie. C’est pourquoi elle se prête au jeu avec une aisance remarquable. Sa présence impose un climat de respect, mais elle a une facilité à rendre ses interlocuteurs à l’aise. Chaque nouvelle photo dévoilée est accompagnée d’une interprétation profonde, qui nous donne un accès privilégié à son authenticité. « C’est beaucoup moi ça ! » s’exclame-t-elle à plusieurs reprises alors que les photos défilent devant ses yeux. Le choix unique est difficile. La photo qu’elle sélectionne, après un processus méticuleux, est, selon ses dires, une métaphore. L’espace autour d’elle est chargé et imposant, comme le monde dans lequel elle a évolué, mais on la retrouve assise et sereine, dans son univers bien à elle. 

Le choix de la photographe (à droite)

Elle m’a laissée entrer sans gêne ni hésitation dans cet espace privé de sa maison, contexte qui impose une délicatesse de ma part. Rien de plus vrai qu’une personne immortalisée dans un lieu qui lui est intime. De tous les clichés issus de cette séance, c’est donc cette photo prise dans le confort de sa demeure, sur ce lit inondé de lumière que je retiens.

Ici, personne ne joue, la pose n’en est pas une, elle s’est simplement assise là, sur un coin de son lit, pieds nus. La posture gracieuse de Pauline Marois qui discute avec moi tout en oubliant la caméra témoigne de son aisance, la position de sa jambe, l’appui sur sa main, l’élégance de sa tenue d’une simplicité remarquable, tout cela laisse entrevoir son bon goût, son goût du beau qu’elle défend avec raison.

Être authentique, c'est l'aptitude à s'accepter dans son entièreté

 

Pauline Marois se livre, elle semble ne pas avoir grand-chose à cacher, ce qui lui a, paraît-il, joué quelques mauvais tours dans sa carrière. Mais c’est aussi la force des grands personnages : laisser percevoir les profondeurs de leur âme dans la vie publique. Ici apparaît une femme libérée des contraintes d’une vie politique bien remplie.


MYLÈNE PAQUETTE

Photomontage: Bénédicte Brocard

Le choix du modèle (à gauche)

L’accueil de Mylène dans son appartement montréalais est convivial, désencombré de l’inutile. « L’authenticité, c’est quelque chose qui se ressent au-delà de l’image. C’est être honnête et laisser paraître ce que l’on est sans artifices, sans bruit », me dit-elle. Tout en elle est relation et communication. On sent qu’elle est la même sur l’océan, sur une scène de conférence ou sur le pas de sa porte.

Le jour de l’entrevue, c’est une véritable entrée dans son intimité qu’elle nous accorde. Tout en confiance, elle se prête au jeu. Se rappelant son passé de photographe, elle raconte sa frustration de faire une photo parfaite et d’être confrontée à la résistance des femmes à se trouver belles.

Lorsque Mylène a découvert la série de photos, un silence s’est installé. « Cette photo dégage quelque chose de ce que je suis et que je voudrais être encore plus. Mon physique et la paix qui se dégage de moi me ressemblent. » Quelques mois après la séance photo, elle a vécu ce type de traversée qui vous change pour toujours, parce qu’elle vous fait découvrir la force insoupçonnée du courage et de l’amour qui vous habitent pour faire triompher la vie : la naissance de son fils.

« Je les aime toutes […], les photos. Ça me surprend de toutes les aimer ! » En elle, tout semble simple, clair et à sa place. Son authenticité est reposante et nous entraîne dans la nôtre. « Tu me dirais, cette photo-là va passer dans un magazine, et je te dirais : vas-y, c’est moi ! »

Le choix de la photographe (à droite)

Je m’arrête sur la photo de Mylène Paquette devant son étagère de graines et de céréales en tout genre. Mylène mange comme un oiseau ; elle prend de petites graines du bout de ses doigts et semble les déchiqueter en petits morceaux avant de les manger. La femme de précision qu’est Mylène Paquette se reconnaît dans cette façon appliquée de saisir de la nourriture. Est-ce la conséquence d’être restée seule sur un rameur pendant quatre mois et six jours, à prendre le temps de manger, calmement, avec attention, de petits plats réhydratés ? J’aime le fait qu’elle ignore complètement ma présence dans cette image, qu’elle se concentre sur son grignotage, qu’elle soit complètement en confiance avec moi et ma caméra.

La composition et les éléments de l’image viennent influencer mon choix ; cette étagère immense, ouverte, généreuse, qui rend l’accès facile à la nourriture, à la boisson prête à saisir, à offrir aux visiteurs. Cette étagère n’a rien à cacher, elle vient, comme un symbole, parfaitement refléter l’idée que je me fais de Mylène. Sa silhouette qui se découpe sur le fond me séduit tout autant. Le corps debout en parfaite détente, bien planté dans de larges chaussons mous, est le signe clair que mon modèle n’est pas en représentation. Et pourtant, une immense beauté et une assurance se dégagent de cette pose. Comme Mylène le dit elle-même, l’authenticité est de laisser paraître ce qu’on est vraiment.


MITSOU GÉLINAS

Photo: Bénédicte Brocard

Le choix du modèle (à gauche)

Centre-ville de Montréal, 10 h du matin. Mitsou est au rendez-vous autour d’un cappuccino. C’est une femme spontanée, enjouée, qui aime créer une relation chaleureuse et directe. Son visage est lumineux, son rire franc, sa voix posée. Ses yeux clairs vous scrutent en profondeur.

Pour elle, l’authenticité se voit dans le regard, se perçoit dans le contact humain. C’est une expression sincère et sans artifice, une dimension qui présente plusieurs couches. Une palette d’expressions qui va du plaisir au désespoir et qui se dira dans un sens ou l’autre selon l’interlocuteur rencontré.

Mitsou est très heureuse de découvrir les photos de cette séance. Elle est critique devant certaines qui laissent filtrer le réel imparfait d’un maquillage ou d’une coiffure. Elle est touchée face à d’autres qui expriment des aspects profonds de sa personnalité. Puis, elle arrête son choix. « Ah, cette photo. Ici, c’est le travail, le duty. Cette photo exprime la charge mentale de la mère, de la femme. […] Personne ne va arroser les plantes si je ne le fais pas. En même temps, ça parle de l’importance de mon jardin secret. » Cet espace dans lequel elle se contente d’être, de faire, en sandales ou pieds nus tout simplement.

Le choix de la photographe (à droite)

Mitsou sortant ses photos de famille du placard, captée sous un angle de visage inhabituel. L’expression est neutre, mais concentrée. Un simple jeu de regards entre Mitsou et son grand-père rend la photo intrigante. Elle n’est pas là avec moi dans cette image, elle est ailleurs, ce qui me permet de la surprendre dans ce moment de réflexion. J’aime l’idée de cette attention de Mitsou portée loin dans ses souvenirs. J’aime ce regard porté de haut sur une photo dont on suppose aisément l’importance. Car elle révèle ce je ne sais quoi de génétique dans les talents que Mitsou a développés au fil des ans, la puissance de l’héritage culturel familial et la reconnaissance qui en découle. C’est incroyable ce que l’on peut comprendre et révéler d’une personne en la surprenant dans cet état furtif de lâcher-prise. Cette image me conforte et m’encourage à poursuivre mon projet.


Découvrez la version Web du projet, incluant deux autres portraits de femmes.

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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