La douce intranquillité de Dorothy Rhau
Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Journée internationale des femmes
Née à Montréal et d’origine haïtienne, Dorothy Rhau est une entrepreneuse polyvalente priorisant l’implication sociale par-dessus tout. Elle est notamment la présidente de l’organisme à but non lucratif Audace au féminin qui chapeaute le Salon international de la femme noire. Sa mission ? Favoriser l’émancipation et la réussite des femmes afrodescendantes.
Quel est votre rapport à la Journée internationale des femmes ?
C’est certes la journée de rayonnement de toutes les femmes, mais pour moi, c’est en lien avec ma mission de mettre en avant des femmes noires. C’est vraiment l’occasion de montrer au monde leur contribution extraordinaire, et ce, dans toutes les sphères. C’est le moment de prendre notre place parce que, pendant très longtemps, durant cette journée, on ne voyait que les portraits de femmes blanches. Il n’y avait pas vraiment de personnes racisées autour de cette célébration.
Revenons sur cette phrase que vous avez écrite dans une chronique : « Mon projet de société est de faire en sorte que nous évoluions dans un espace inclusif. »
Bien qu’on mette en avant les femmes noires, on le fait toujours dans une démarche inclusive. Cette démarche se traduit par la participation de femmes de toutes origines à nos événements, à des partenariats que l’on a avec différentes institutions et avec différents ordres gouvernementaux. On prône toujours le vivre-ensemble. On ne peut pas parler d’inclusion si on ne nous voit pas, si on invisibilise notre apport à la société. C’est important qu’il y ait une reconnaissance, qu’on soit valorisées.
Selon vous, en tant qu’entrepreneuse, quels obstacles subsistent dans le milieu ?
C’est encore difficile d’avoir de la crédibilité auprès des institutions bancaires. Certains critères pour obtenir des prêts, des subventions ou des bourses sont trop restrictifs. Dans le cas d’une mère de famille monoparentale qui essaie de joindre les deux bouts, si c’est son revenu personnel qui doit lui permettre de monter son entreprise, c’est impossible de répondre aux critères. On commence à peine à prendre conscience des réalités des entrepreneuses et il nous reste beaucoup à faire.
Justement, que faudrait-il pour changer la donne ?
Ça commence par la tête : ça prend des personnes issues des communautés culturelles au niveau des postes décisionnels. Si on veut s’assurer qu’il y ait moins de préjugés inconscients, il faut qu’il y ait une meilleure représentation autour de la table. Que ce soit dans les médias ou l’entrepreneuriat, ça part toujours de la tête. Ça prend une volonté politique, une volonté des directions ou des hauts responsables. Avec Audace au féminin, c’est ce qu’on fait. On est là pour sensibiliser les différents acteurs au niveau socio-économique, pour parler de la présence des femmes noires.
Qu’est-ce qui vient parfois ébranler votre engagement ?
Ça vient me chercher lorsque je me heurte à des gens qui nient notre réalité, nos histoires, nos obstacles ou qui pensent que parler des femmes, ça englobe nécessairement les femmes noires. Non, ce n’est pas la même chose. Pour moi, c’est jouer à l’autruche. Mais comme j’aime souvent le dire, quand on a la peau foncée, c’est pour défoncer des portes, donc ça m’en prend plus.
Au contraire, qu’est-ce qui nourrit votre optimisme ?
Quand je vois des femmes percer, fracasser des plafonds de verre, occuper des postes importants, avoir des accès, ça me réjouit. Et quand je vois des personnes qui ne sont pas issues des communautés se joindre à nos voix, je me dis que c’est formidable, c’est motivant. C’est un travail qui ne se fait pas seulement à l’intérieur des communautés noires, mais aussi à l’extérieur. C’est là que je mesure notre impact. Ça me touche énormément.
J’aimerais vous entendre sur ce que la pandémie a révélé sur certaines inégalités vécues par les femmes noires ?
On a d’abord constaté qu’il y avait une absence criante de données. C’est maintenant qu’on commence à se mobiliser pour mettre sur pied des études, et ce, dans tous les secteurs, pour essayer de bâtir des programmes et des services mieux adaptés. Il y a beaucoup de choses qui rendent les femmes noires vulnérables. Le fait qu’elles soient parmi les premières sur le front au niveau de la santé, le taux de monoparentalité élevé, l’inégalité salariale, les emplois et les statuts précaires. Il y aurait tellement de choses à dire. Il y a tout l’aspect de la santé mentale, la charge émotionnelle, la violence conjugale qui reste un sujet extrêmement tabou au sein même des communautés noires, mais elle est présente. On reste tout de même optimiste, il y a une volonté que les choses changent, il y a une ouverture sur des sujets qui nous mettent mal à l’aise, que ce soit à l’intérieur des communautés noires ou dans la société d’accueil.
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