Situation précaire pour l’un des plus vieux presbytères d’Amérique du Nord

Quel sort sera fait à l’un des plus vieux presbytères d’Amérique, placé sous la responsabilité de la municipalité de Saint-Michel-de-Bellechasse ? L’administration municipale ne cache pas que cet édifice l’embarrasse. Plusieurs organismes s’inquiètent vivement de la situation, au point d’avoir organisé une manifestation jeudi prochain pour que le ministère de la Culture intervienne enfin.

Construit en 1739, rallongé en 1790, ce presbytère est un des rares bâtiments de ce type. « Bien qu’il ait subi quelques modifications au cours des siècles, il a conservé son cachet traditionnel et demeure des plus remarquables, tant par ses dimensions impressionnantes que par son site exceptionnel », affirme le Groupe d’initiatives et de recherches appliquées au milieu (GIRAM).

En novembre, conjointement avec la Société du vieux bourg de Saint-Michel, le GIRAM a fait une demande officielle de classement auprès du ministère de la Culture et des Communications. « Incroyable qu’on n’ait jamais jugé bon, à ce jour, de protéger cet édifice de valeur nationale », soutient le GIRAM. Les demandeurs n’ont reçu depuis qu’un simple accusé de réception. À leurs yeux, la situation presse. Mais pour Éric Tessier, le maire de la municipalité, il n’y a pas de soucis à se faire en particulier pour ce presbytère, dit-il, en précisant être opposé à pareille protection patrimoniale. « Ça fait augmenter le prix de rénovations à venir. Qui va payer la facture ? » Selon lui, « c’est une conseillère qui est arrivée avec ça pour le presbytère. Je ne sais pas trop ce qu’il a de spécial ».

Témoin de l’invasion militaire britannique en 1759, le bâtiment religieux s’est trouvé, en 1775, mêlé à l’élan révolutionnaire américain. Des paroissiens animés par un esprit républicain se sont alors emparés des lieux afin de résister aux efforts d’embrigadement forcés, même s’ils étaient dénoncés par le curé.

Aucun entretien n’a été fait sur ce bâtiment depuis qu’il a été acquis par la Ville en 2017, dénonce Nathalie Lessard, conseillère municipale et présidente de la Société du vieux bourg. « Pas même de la peinture à l’extérieur. » Le maire admet que le strict minimum est fait. L’édifice est chauffé, dit-il, et « on s’assure que l’eau fonctionne ».

Quel avenir la municipalité réserve- t-elle à ce bâtiment dont l’éclat se ternit bien vite ? « Tout est possible », affirme le maire. « Il va y avoir une analyse des besoins », dit-il, tout en répétant que sa municipalité n’avait pas à acquérir le bâtiment et qu’il n’a pas l’intention de veiller non plus sur l’avenir de l’église historique du village.

« Est-ce que ce sera la destruction, la restauration ou la vente ? Je ne sais pas. […] Tout est possible. » Le maire affirme au Devoir que la démolition n’est pas au programme dans l’immédiat, mais réaffirme aussitôt qu’« il n’y a aucun scénario qui est exclu ». Selon lui, « que ça soit une pelle, une pioche ou un bâtiment, il faut savoir à quoi ça va servir ». Et si ça ne sert pas, il n’y a pas de raison de le conserver.

Municipalités et patrimoine

 

Pour le GIRAM, la situation précaire dans laquelle se retrouve ce rare bâtiment démontre, une fois de plus, qu’« à quelques exceptions près », les municipalités du Québec ne sont pas aptes à protéger notre patrimoine national. Il suffit de « quelques élus peu sensibles au patrimoine — plus enclins à s’en débarrasser qu’à le protéger — pour que des sites de grande valeur, comme celui du cœur institutionnel de Saint-Michel, risquent de disparaître ou d’être altérés de manière irréversible ».

L’automne dernier, le maire a voulu renégocier le contrat d’achat signé par son prédécesseur, explique Denis Breton, président de la fabrique locale. La fabrique a refusé. Elle dit avoir cédé le bâtiment historique à bas prix à condition que le site soit préservé et entretenu dans l’intérêt de la communauté. « Il ne s’est pas fait le moindre entretien de ce bâtiment » depuis, regrette M. Breton, en pointant, à titre d’exemple, une galerie qui s’effondre.

Le maire confirme qu’il a bel et bien voulu rouvrir le contrat de vente « parce que ce n’était pas gagnant-gagnant ». En novembre, suivant cette démarche infructueuse, le conseil municipal a adopté par une voix de majorité — celle du maire — une motion pour que la fabrique quitte le presbytère d’ici le 15 février 2021, soit ce lundi, avec une possibilité minime de prolongation si le contrat est rouvert. « En plein hiver, pendant la pandémie, avec deux mois d’avis », commente Denis Breton. « Ce n’était pas dans l’esprit de la vente du tout. »

« Un loyer ad vitam aeternam pour l’Église catholique, ça ressemblait à du favoritisme », rétorque le maire, Éric Tessier. « Nous avons décidé d’exercer un droit que nous avions. Ça va nous donner la possibilité de diminuer les coûts d’entretien du bâtiment », affirme-t-il. « On veut diminuer les coûts de chauffage. » Le bâtiment ne sera donc plus occupé désormais. Selon le maire, le bâtiment devrait être entièrement modernisé pour répondre aux normes d’aujourd’hui.

Décharge pour les neiges usées

 

Le GIRAM observe que les terrains du presbytère servent désormais de décharge pour les neiges usées de la municipalité, ce qui risque de créer des problèmes. Nathalie Lessard, de la Société du vieux bourg, affirme que « le maire fait désormais pousser de la neige autour du presbytère, ce qui n’avait jamais été le cas avant ».

Faux, rétorque le maire : « Depuis l’hiver 2017 qu’on pousse et qu’on souffle de la neige là ! » Dans les rues avoisinantes, ajoute-t-il, les citoyens se plaignaient des effets dommageables de la vieille neige. Cela « occasionnait des infiltrations et représentait une source de mécontentement pour une conseillère municipale ». La nouvelle administration a donc résolu, en attendant de trouver mieux, d’utiliser les terrains du presbytère pour loger les neiges souillées des environs.

Cette pratique aura « des conséquences pour le bâtiment et pour des arbres centenaires », estime le GIRAM, qui est appuyé dans ses demandes de protection par la Société historique de Bellechasse.

Refus de protection

 

Pourquoi la municipalité ne cite-t-elle pas ce bâtiment pour le protéger en vertu de la loi ? « Il y a plusieurs bâtiments exceptionnels à Saint-Michel de Bellechasse, répond le maire au Devoir. Il y a même un poulailler qui est très intéressant. On ne peut pas tout citer. »

À ce jour, combien de bâtiments la municipalité de Saint-Michel-de- Bellechasse a-t-elle cités ? « Oh, c’est une bonne question. » Se peut-il qu’il n’y en ait aucun ? « C’est très possible. J’étais gêné de vous dire qu’il n’y en a pas de cité. »

Pour le maire, la protection légale des bâtiments est à éviter. « Ça coûte à partir du moment où c’est cité ! » Le maire de cette municipalité fondée en 1678 affirme par ailleurs que la question du patrimoine et de la culture n’est pas prioritaire parmi « les 250 dossiers qui sont sur [son] bureau ».

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