Les doutes des familles du CHSLD Herron sur l'enquête du coroner

Des proches de résidents du CHSLD Herron décédés durant le chaos de la première vague de la COVID-19 doutent que l’enquête publique du coroner, qui commence lundi, révèle les réelles causes des décès survenus et détermine les véritables responsables de cette tragédie.
« Est-ce que mon père est mort de la COVID-19 ? De négligence ? Les deux ? On ne sait pas », laisse tomber Moira Davis, jointe à sa résidence de Creighton, en Saskatchewan. D’emblée, elle dit ne pas avoir confiance dans le gouvernement québécois ni en son coroner, pour faire la lumière sur la mort de son père, Stanley E. Pinnell, l’un des 38 résidents de Herron décédés en mars et avril 2020.
Elle décrit dans le détail l’horreur qu’elle a vécue, au tournant du mois d’avril dernier, alors que ni son père, handicapé et en perte d’autonomie, ni aucun employé du CHSLD privé de Dorval ne répondait à ses nombreux appels. « Je ne savais plus qui appeler ! » se remémore-t-elle. Ce n’est que plus tard, et par les journaux, qu’elle comprendra l’ampleur de la désorganisation qui régnait alors.
Un médecin lui a finalement appris le 7 avril que son père était suspecté d’avoir contracté la COVID-19, puisque « tout le monde était atteint ». Moins de 24 heures plus tard, il perdait la vie. À ce jour, Mme Davis n’a jamais eu la confirmation qu’il avait bel et bien été infecté par le coronavirus ni que c’est cela qui l’a emporté, plutôt qu’un manque de soins dans la panique de l’éclosion.
Est-ce que mon père est mort de la COVID-19 ? De négligence ? Les deux ? On ne sait pas.
On peut s’imaginer le chaos des couloirs de Herron lors des derniers jours de M. Pinnell à la lecture d’un rapport d’enquête du ministère de la Santé et des Services sociaux, publié en juin. Le 29 mars, lorsque des employés du réseau public se sont présentés pour la première fois à Herron, ils ont découvert avec stupeur que seuls trois employés étaient au travail, les autres ayant déserté les lieux après avoir eu des contacts avec des résidents infectés. Une odeur nauséabonde d’urine et de selles flottait dans les couloirs, des résidents étaient souillés dans leurs excréments, et plusieurs étaient affamés et assoiffés, la peau et les lèvres sèches. L’administration était désorganisée, et il n’y avait pas d’équipement de protection individuelle.
Scepticisme
« J’ai beaucoup, beaucoup de questions. Et j’ignore si elles seront examinées par le coroner, explique Moira Davis au Devoir, en anglais. Pourquoi personne n’a rien fait ? Pourquoi personne n’a appelé le 911 ? […] Ne vous méprenez pas : les propriétaires de Herron nous doivent beaucoup de réponses. Mais le CIUSSS également, tout comme le gouvernement du Québec. Et je ne crois pas en la capacité du gouvernement québécois d’enquêter sur lui-même. Ça prend une enquête fédérale. Je veux que Justin Trudeau s’en mêle. »
Elle n’est pas la seule à rester sceptique. Dès lundi, l’enquête publique menée par la coroner Géhane Kamel traitera en priorité le dossier du CHSLD Herron. De l’avis du coroner en chef adjoint du Québec, Luc Malouin, celle-ci permettra d’« apporter des réponses aux familles ».
« La COVID a eu le dos large, et ça, ça nous inquiète. Ça inquiète beaucoup les familles. Qu’est-ce qui est arrivé à ma mère et à mon père, pourquoi il ou elle est soudainement mort de la COVID, alors qu’on n’a pas eu accès ni avant ni après aux corps. […] Comment on va démêler ça ? Je ne suis pas sûr que la coroner va pouvoir faire ça », prévient Paul Brunet, président du Conseil pour la protection des malades. Il dit représenter une centaine de familles de victimes dans une autre cause, celle-là devant la Commission des droits de la personne.
Il se trouve que de nombreuses autres instances font des démarches en parallèle dans le dossier du CHSLD Herron. En plus de l’enquête publique du coroner (qui débute lundi) et celle du ministère (conclue en juin), le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a transmis son propre rapport d’enquête au Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), qui l’analyse présentement pour déterminer si des accusations doivent être portées. Le Collège des médecins du Québec enquête également, en partenariat avec les ordres professionnels des infirmières et des infirmières auxiliaires. Finalement, une demande d’action collective a été déposée au nom des victimes.
La COVID a eu le dos large, et ça, ça nous inquiète
Manque de préparation ?
Malgré ces multiples enquêtes, M. Brunet dit avoir « peur qu’on ne mette pas le doigt sur les vraies affaires, et qu’on ne tire pas l’oreille de celles et ceux qui ont manqué le bateau. » Comme Mme Davis, il souhaite surtout que le gouvernement s’interroge sur les raisons pour lesquelles le Québec était aussi mal préparé à l’arrivée du virus, malgré les nombreux signes annonciateurs de la pandémie mondiale, officialisée par l’Organisation mondiale de la santé le 11 mars 2020.
Dès lundi, l’enquête publique du coroner sur certains décès survenus entre le 12 mars et le 1er mai 2020 au CHSLD Herron entendra la sergente détective du SPVM Andréanne Laplante, ainsi que la directrice régionale de la santé publique de Montréal, la Dre Mylène Drouin. La propriétaire du CHSLD Herron, Samantha Choweiri du groupe Katasa, s’expliquera à la mi-mars.
Entre-temps, le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal continue à déplacer les résidents de Herron vers d’autres milieux de vie, puisque l’établissement privé a annoncé en novembre qu’il fermait ses portes.