Le programme de régularisation des anges gardiens et ses exclus

C’est un timide départ pour le programme de régularisation du statut des anges gardiens du secteur de la santé. Un mois après son lancement, à peine 184 dossiers, visant 481 personnes, ont été déposés pour tout le Canada, selon les chiffres du gouvernement fédéral obtenus par le Conseil canadien des réfugiés pour la période du 14 décembre au 16 janvier. Dans le lot, 90 dossiers ont été déposés par des demandeurs d’asile québécois qui sont dans l’attente de recevoir un Certificat d’acceptation du Québec.
La date limite pour postuler étant en août, il est encore tôt pour prédire la popularité du programme, estime Guillaume Cliche-Rivard, président de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI). Mais pour lui, cela ne devrait pas être un critère pour que le gouvernement décide de l’élargir, ou pas, à d’autres demandeurs d’asile. « Même s’ils n’ont pas travaillé pendant la première vague mais qu’ils l’ont fait pendant la deuxième, il est où, le problème ? Je ne pense pas qu’il y ait 10 000 personnes [qui vont postuler], mais même s’il y en avait 10 000, si elles occupent un emploi dans le milieu de la santé, c’est qu’on a besoin d’elles », a-t-il soutenu.
L’avocat déplore l’arbitraire du critère exigeant d’avoir travaillé dans l’un des emplois admissibles au moins 120 heures entre le 13 mars et le 14 août, date de l’annonce de la mise sur pied du programme. « C’est complètement injuste pour tous ceux qui travaillent comme des fous depuis le mois de septembre. Pourquoi avoir arrêté au 14 août ? En plus, le programme n’a pas été lancé avant le 14 décembre, quatre mois plus tard. »
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L'ange qui ne croyait pas aux miraclesTout comme la Coalition de la régularisation des statuts, qui milite activement dans le dossier, Me Cliche-Rivard plaide aussi pour élargir le programme à d’autres travailleurs essentiels, comme des travailleurs du secteur alimentaire, des agents de sécurité, etc.
Au Québec depuis trois ans, Souni Idriss Moussa, un demandeur d’asile venu du Tchad, est du lot. Car même s’il a pu faire des semaines de 100 heures pendant la première vague, c’est comme gardien de sécurité qu’il a essentiellement travaillé. Il déplore que les demandeurs d’asile soient vus à tort comme des « criminels » ayant commis « un crime impardonnable ». « Peu importe ce que l’on fait aujourd’hui, ce n’est pas suffisant », a dit le jeune Africain dans la vingtaine, dont l’une des tâches était de descendre les cadavres de personnes décédées de la COVID-19 à la morgue.
Au Québec depuis 2017, Marc, qui change son nom par crainte de nuire à son dossier d’immigration, ne peut pas être plus essentiel au fonctionnement d’un hôpital en pleine pandémie. « Souvent, quand on parle d’entretien ménager, les gens voient le ménage, mais àl’hôpital c’est différent. On fait de la désinfection pour éviter la propagation des bactéries et des virus », explique l’infirmier haïtien de 29 ans. « En zone rouge, par exemple, le préposé aux soins sortait le patient pour l’emmener à la douche et nous, on entrait dans la chambre pour tout désinfecter, même les murs. Ensuite, le préposé ramenait le patient à sa chambre et nous allions nettoyer la douche. Il fallait suivre cette procédure pour chaque patient, toute la journée. »
Il est déçu de ne pas être admissible au programme qui lui donnerait enfin sa résidence permanente. « C’est absurde quand on considère tous les programmes que le gouvernement met en place pour faire venir des travailleurs étrangers, s’exaspère-t-il. Pourtant, on est déjà là, on est dans le système et on travaille. C’est dur de voir ça. »