

La mort à distance
Des plaies difficiles à cicatriser pour les proches.
Habituée de travailler d’arrache-pied pour sauver des patients en sursis, la Dre Annie Lavigne a perdu des alliés de taille dans la lutte sans merci qui l’oppose au virus : les familles, ses meilleurs coéquipiers.
« La COVID a déshumanisé la mort et fait tomber tous nos points de repère », confie celle qui travaille depuis le début de la pandémie aux soins intensifs de l’hôpital Charles-LeMoyne.
Quand rien ne va plus, une grande partie de son travail consiste à expliquer l’inéluctable aux familles. « Quand on est en train de perdre la bataille, comment on explique ça à une famille qui n’a jamais pu venir à l’hôpital, qui n’a jamais vu la condition de son proche se dégrader ? On doit annoncer ça au téléphone. Le rapport avec les familles, crucial dans notre métier, a été chamboulé », explique la docteure.
L’hiver dernier, des patients étaient condamnés à mourir seuls. Aujourd’hui, trois personnes au maximum peuvent pénétrer quelques minutes dans l’antichambre où leur proche vit ses dernières heures.
Les soins intensifs sont souvent le théâtre de drames pour les familles. La COVID a exacerbé cette détresse humaine, explique la Dre Lavigne. « Début janvier, un jeune ado asymptomatique a infecté sa grand-mère, qui en est morte. La famille devait composer à la fois avec le deuil de la grand-mère et l’état dépressif de l’adolescent. »
Le fait que la médecine, même en 2021, dispose d’un arsenal limité contre la COVID donne à la mort un goût encore plus amer. « D’habitude, environ 5 % des patients admis aux soins intensifs meurent. J’ai des collègues qui ont perdu cinq ou six patients par jour », raconte le Dr Germain Poirier, lui aussi intensiviste à l’hôpital Charles-LeMoyne.
Et quand ces patients ont 26 ans, comme ce jeune homme en détresse respiratoire dont le cœur a flanché récemment pendant une intubation, c’est encore plus difficile, confie la Dre Lavigne. « Le virus a attaqué le cœur. Le jeune homme a dû être transféré au CHUM. Je ne saurai jamais s’il s’en est sorti. Mais si c’est le cas, il y aura des séquelles. Perdre des patients plus jeunes que soi, c’est toujours insensé. »
Des plaies difficiles à cicatriser pour les proches.
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Quand rien ne va plus, une grande partie du travail des intensivistes consiste à expliquer l’inéluctable aux familles.
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