Couvre-feu suspendu pour les itinérants

Le premier ministre Legault ne voulait pas faire d’exception pour les itinérants ? La Cour supérieure du Québec s’est chargée mardi soir de corriger le tir en suspendant temporairement l’application du décret sur le couvre-feu pour les personnes en situation d’itinérance.
La juge Chantal Masse a ainsi répondu positivement à une demande de la Clinique juridique itinérante (CJI). Le dossier devra être entendu sur le fond plus tard. Dans l’immédiat, « la balance des inconvénients joue en la faveur de la suspension partielle et très ciblée de la mesure » de couvre-feu, indique-t-elle dans son jugement rendu vers 18 h mardi.
La CJI avait fait valoir lors des audiences que le couvre-feu a un « effet discriminatoire et disproportionné sur les personnes en situation d’itinérance ».
La suspension est en vigueur jusqu’au 5 février (pour le moment, le couvre-feu de 20 h à 5 h est prévu jusqu’au 8 février). Le gouvernement Legault, qui n’a pas souhaité réagir mardi, pourrait entre-temps choisir de modifier son décret pour soustraire les itinérants à l’application du couvre-feu, comme l’Ontario.
Malgré les nombreuses pressions en ce sens de la part des partis d’opposition, du milieu communautaire ou encore de la mairesse de Montréal, le premier ministre Legault avait réitéré son refus la semaine dernière. Selon lui, « n’importe qui pourrait dire qu’il est itinérant », ce qui complexifierait le travail des policiers. Il préférait se fier au bon jugement de ceux-ci.
Mais la juge Masse affirme que des « questions sérieuses sont soulevées dans la demande » de la CJI, et ne pas accorder l’ordonnance de sauvegarde causerait un « préjudice irréparable » aux itinérants. Le Procureur général avait décidé de ne pas contredire la preuve à cette étape du processus. La CJI avait pour sa part plaidé le fait que de nombreux itinérants « cherchent à se cacher des policiers afin de ne pas recevoir de contravention » lorsque le couvre-feu entre en vigueur. Ils sont ainsi « susceptibles de mettre leur santé et leur sécurité en danger ».
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La décision rappelle qu’« il est impossible pour une personne en itinérance de savoir d’avance » si un policier choisira d’être tolérant ou non. D’ailleurs, la mort il y a une dizaine de jours d’un itinérant à Montréal a donné un sens tragique à ces questions. Raphaël André est mort après avoir passé la nuit dans une toilette chimique, vraisemblablement pour ne pas être vu des policiers.
La CJI avait aussi plaidé le fait que de nombreuses personnes en situation d’itinérance « craignent, pour des raisons objectives, de contracter le virus de la COVID-19 dans les refuges », et que nombre d’entre elles n’ont pas accès à ces refuges, ou sont incapables d’y rester à cause de problèmes de santé mentale.
Dans sa décision, la juge Masse rappelle qu’une mesure visant uniquement les itinérants ne concerne qu’un « nombre infime » de personnes (environ 3000), mais que leur « vie, leur sécurité et leur santé […] sont mises en péril par l’application qui est actuellement faite de cette mesure ». D’où la justification de suspendre le décret à leur égard.
Lors des plaidoiries lundi, l’avocat du Procureur général, Me Éric Cantin, avait fait valoir qu’accorder une exemption aux itinérants pourrait permettre à d’autres groupes de demander le même traitement. « On finit par risquer d’affaiblir la mesure qui a été adoptée par le gouvernement pour combattre la pandémie », avait-il dit.
Soulagement
La mairesse de Montréal, Valérie Plante, n’a pas tardé à réagir mardi soir. « Cette décision va faciliter la vie des personnes en situation d’itinérance et des intervenants sur le terrain qui leur viennent en appui », a-t-elle écrit sur Twitter.
Les partis d’opposition à Québec — qui étaient tous pour une exemption du couvre-feu pour les itinérants — ont également partagé leur satisfaction sur les réseaux sociaux.
Le milieu communautaire a aussi explosé de joie. « Wouhou ! » a crié Fiona Crossling, directrice générale de l’Accueil Bonneau, en apprenant la nouvelle. « Le SPVM agissait de bonne foi, mais avec cette décision, c’est un stress en moins pour les personnes itinérantes qui avaient peur d’être surprises dehors en plein couvre-feu. »
Pour Annie Savage, directrice du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal, c’est une « excellente nouvelle », qui va avoir « un impact sur la santé et la sécurité des personnes itinérantes ». Elle trouve toutefois dommage qu’il ait fallu aller devant les tribunaux pour « prendre une décision reconnue par beaucoup comme nécessaire ».