L’odyssée mémétique de Bernie Sanders

Au milieu des manteaux Prada, des complets Ralph Lauren et de la robe flamboyante de Lady Gaga, c’est la tenue décontractée de Bernie Sanders qui a retenu l’attention mercredi lors de l’intronisation du président américain. Une photo du démocrate assis confortablement sur sa chaise, emmitouflé dans son manteau d’hiver kaki et des mitaines en laine recyclée, a donné lieu à une multitude de mèmes le transportant d’un bout à l’autre du globe, et même dans le temps.
« J’étais juste assis là, à essayer de rester au chaud et à prêter attention à ce qui se passait », a lancé le sénateur du Vermont à la chaîne américaine NBC, jeudi.
Un style assumé donc, bien qu’en parfait contraste avec le décorum de l’événement. La cérémonie d’intronisation prend habituellement des allures de défilé de mode sur les marches du Capitole à Washington. C’est l’occasion pour les invités de se mettre sur leur 31 et de parader dans des tenues signées par de grands couturiers.
« Avec sa posture désinvolte et ses vêtements, Bernie Sanders casse les codes en décidant de rester lui-même, au naturel, proche du peuple. C’est intéressant parce que c’est cohérent avec le personnage socialiste qui va souvent à l’envers de la circulation et fonce avec ses propres idées. Il y a aussi une petite pointe d’ironie face au milieu politique là-dedans, de quoi marquer les esprits », analyse Mireille Lalancette, professeure à l’UQTR et membre du Groupe de recherche en communication politique.

Parmi les plus viraux, on retrouve le sénateur assis sur un banc à côté de l’acteur Tom Hanks dans Forrest Gump, installé sur le trône de fer de la série Game of Thrones ou dans le fameux sofa du générique de la série Friends.
Bernie Sanders apparaît aussi dans de célèbres tableaux, dont La cène de Léonard de Vinci. Certains internautes ont même décidé de le faire voyager dans le temps, en le plaçant à côté de Staline, Roosevelt et Churchill à Yalta sur une photo de 1945, ou bien sur la Lune avec un casque d’astronaute. Il se retrouve aussi sur cette célèbre photo des années 1930, aux côtés d’ouvriers assis sur une poutrelle surplombant le vide pendant leur pause déjeuner.
Rire un bon coup
Des artistes québécois s’en sont également donné à cœur joie. Le musicien Philippe Brault a assis le politicien dans le fauteuil de juge de l’émission La voix. L’artiste visuelle Miss Me l’a ajouté à des images tirées du vidéoclip qu’elle a réalisé pour la chanson Hey Boy de Random Recipe. Et le chanteur Damien Robitaille l’a installé dans son studio improvisé durant la pandémie.
La majorité des internautes ont surtout fait voyager le sénateur à travers le monde, de New York à Paris, en passant par Montréal. Un site Internet a même été créé spécialement pour intégrer son image dans n’importe quel lieu souhaité.
Voilà qu’en pleine pandémie, on retrouve ainsi Bernie Sanders en train de visiter le Vieux-Port de Montréal et la Place des Arts, faire un détour par le marché Jean-Talon, le campus McGill et le belvédère du mont Royal. On le voit prendre le métro de la STM et attendre devant le Musée des beaux-arts que les lieux culturels rouvrent.
« C’était inévitable, estime la professeure Mireille Lalancette. Tout le monde a décidé de surfer sur la tendance. Ça permet un coup de pub pour certains commerces, organismes ou institutions. Mais contrairement aux mèmes qui habituellement visent à dénoncer, à critiquer, à montrer des paradoxes, là, c’est vraiment un mème festif. On a juste du plaisir à imaginer Bernie Sanders, qui nous ressemble, dans des situations différentes et infinies. »

Nina Duque, chargée de cours et doctorante à l’UQAM, spécialiste des questions entourant la socialisation numérique, constate chez les internautes une envie de s’approprier l’image pour appartenir à un groupe. « Avec ces mèmes, on veut juste se divertir et rire ensemble, note-t-elle. En partageant notre propre version, on fait réagir les amis, on crée des liens avec des inconnus. Ça nous unit. »
De son côté, Brendan Smialowski, l’auteur de la photo, semble moins apprécier les dérivés de son travail. « Je n’aime pas que le travail d’un journaliste devienne un mème. […] Ce n’est pas à moi de dicter comment les gens consomment ou utilisent le journalisme, mais notre travail ne doit pas être un divertissement », a-t-il déclaré vendredi à Elias Makos, animateur à la radio CJAD800. Le photographe de presse constate toutefois à travers ses réseaux sociaux que l’engouement pour sa photo de Bernie Sanders a au moins permis de mettre les projecteurs sur l’ensemble de son travail.
Trudeau utilise le mème de Bernie Sanders pour appeler à éviter les voyages
Le premier ministre Justin Trudeau s’est servi, dans un clin d’œil, du désormais célèbre mème de Bernie Sanders pour inviter ses compatriotes à éviter les voyages et à rester chez eux à cause de la pandémie de COVID-19.
M. Trudeau a publié samedi sur son compte Twitter une photo le montrant en train de donner une conférence de presse devant sa résidence de Rideau Hall. Derrière lui, on aperçoit le sénateur du Vermont, assis sur le perron de la résidence avec le manteau d’hiver et les fameuses mitaines tricotées qu’il portait lors de l’inauguration du président Joe Biden.
Le premier ministre a accompagné la photo d’un texte soulignant à propos de cette « visite » virtuelle du sénateur américain de 79 ans que ce « n’est pas le moment de voyager ». « Restez à la maison. Et par là je veux dire votre propre maison », écrit-il.
C’était une chose de recevoir une visite de mon fils lors de ma conférence de presse il y a un mois environ, mais ça... Ce n’est pas le moment de voyager. Restez à la maison. Et par là, je veux dire votre propre maison. pic.twitter.com/93lZ1KzFRW
— Justin Trudeau (@JustinTrudeau) January 23, 2021
M. Trudeau avait insisté vendredi sur la nécessité d’éviter les voyages non essentiels à l’étranger pour limiter la propagation du coronavirus et n’avait pas écarté la possibilité d’imposer une quarantaine obligatoire dans des hôtels aux frais des voyageurs à leur entrée au Canada.
M. Trudeau rappelle avec humour dans son tweet qu’un intrus s’était déjà invité à une de ses conférences de presse : son plus jeune fils de 6 ans, dont le visage était brièvement apparu à une fenêtre de la résidence du premier ministre, il y a un mois.
Agence France-Presse