L’Alberta peine à retenir ses talents

Les restrictions budgétaires du gouvernement de Jason Kenney ont touché de plein fouet le postsecondaire et le milieu de la santé.
Photo: Jeff McIntosh La Presse canadienne Les restrictions budgétaires du gouvernement de Jason Kenney ont touché de plein fouet le postsecondaire et le milieu de la santé.

Les coupes budgétaires limiteraient la capacité de l’Alberta à se développer, et la morosité ambiante ainsi que le manque de possibilités ne convainquent pas la jeunesse de rester.

« Les réductions budgétaires provinciales font des dégâts, ce qui signifie que, même si nous ne disposons pas encore de chiffres et de statistiques pour démontrer la tendance, nous pouvons être assez certains que notre capacité à attirer et à garder des professeurs et des étudiants de haut niveau sera très limitée à l’avenir », lance d’emblée Ricardo Acuña, président du syndicat du personnel enseignant de l’Université de l’Alberta.

Pascal Lupien, professeur en sciences politiques au Campus Saint-Jean depuis deux ans et demi, repartira en janvier pour l’Ontario. La situation critique et incertaine du Campus n’est pas étrangère à son départ. Du début de 2020 jusqu’à la mi-juin, « on parlait de la possibilité de le fermer. Quand on est au début de sa carrière universitaire, ce n’est pas le genre de chose que l’on souhaite entendre », déclare, dépité, M. Lupien.

Il explique que certains de ses collègues cherchent des emplois ailleurs. Il entend aussi certains de ses étudiants en sciences infirmières se demander s’ils ont un avenir en Alberta, si le gouvernement est toujours en train de couper dans le système », rapporte-t-il. Pourtant, l’universitaire l’assure, « ce sont des cerveaux dont on a besoin ».

L’Alberta vieillotte et rétrograde ?

« Il n’y a pas d’espoir sur le plan économique », confirme Ben Angus, 24 ans, né à Edmonton, issu de l’école d’immersion et étudiant en sciences politiques au campus nord de l’Université de l’Alberta.

Ben possède une double nationalité, canadienne et australienne, et prévoit de partir en Australie à la fin de ses études. « Beaucoup de mes amis manquent d’intérêt, ils ne veulent pas travailler pour un gouvernement conservateur », ajoute-t-il.

Rowan Ley, vice-président du syndicat des étudiants de l’Université de l’Alberta et président du Conseil des étudiants universitaires de l’Alberta, abonde dans ce sens. « Les jeunes Albertains disent que la culture de l’Alberta, ce n’est pas celle dans laquelle ils veulent vivre. C’est une province qui vit dans le passé et qui ne regarde pas vers l’avenir, affirme-t-il. Nous sommes la plus jeune province, mais toute l’économie est soutenue par le pétrole. »

À sa connaissance, une douzaine de jeunes professionnels ont déjà déménagé pour faire leur maîtrise et leur doctorat en Colombie-Britannique, en Ontario ou encore au Québec». Ce sont les programmes en maîtrise et doctorat qui font défaut en Alberta.

La raison : certains programmes ici, en Alberta, sont insatisfaisants et trouver, en plus, l’équivalent en français demeure encore plus difficile.

« Si l’Alberta veut avoir plus de représentation dans la fonction publique, nous avons besoin d’éduquer plus de jeunes professionnels francophones, et le Campus Saint-Jean est essentiel pour ça », souligne-t-il.

Jordan Lovrod, 22 ans, née en Alberta à Grande Prairie, issue des écoles d’immersion, a décidé en septembre 2020 d’aller à Vancouver pour y poursuivre sa maîtrise en informatique à l’Université de Colombie-Britannique (UBC), après une année passée au Campus Saint-Jean et trois années passées au campus d’Augustana, à l’Université de l’Alberta.

« L’une des raisons pour lesquelles je voulais partir, c’était à cause de l’ambiance dans les deux universités. L’ambiance à l’Université de Vancouver est très différente, car je pense que les gens y sont moins stressés à cause des coupes budgétaires », reconnaît-elle. Elle explique aussi que les possibilités d’emploi dans son domaine sont plus prometteuses dans la province voisine. « Il y a beaucoup de possibilités en technologie à Vancouver alors qu’il n'y en a pas du tout en Alberta », dit-elle.

En somme, l’Alberta peine à retenir ses talents, notamment ses jeunes, et la tendance migratoire commence à montrer des signes de changement.

Un avenir compromis ?

Pour la première fois, d’après un rapport publié en septembre 2020, l’Alberta a enregistré un solde migratoire négatif. « Il est rare que l’Alberta perde plus de résidents au profit d’autres provinces qu’elle n’en gagne », a déclaré dans les médias Blake Shaffer, économiste à l’École de politique publique de l’Université de Calgary.

 « Quand j’avais l’âge de mes étudiants, les jeunes quittaient le Québec pour l’Alberta, et non l’inverse. Envisager l’inverse était alors impensable », raconte le professeur.

Aujourd’hui, si la réalité change, il est encore trop tôt pour voir l’impact qu’auront la crise économique et les coupes budgétaires. En attendant, la morosité en Alberta se fait sentir.

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